Divergences transatlantiques 015

Tout un chacun le sait : les mômes des uns sont les couilles des autres. En matière de reproduction humaine, les gosses français sont les fruits de la génération, alors que les gosses québécoises en sont un des agents actifs. Rien là de neuf.

Histoire d’être grivois à peu de frais, on s’est souvent amusé à inventer des phrases à double sens, du genre J’ai embrassé ses gosses. On peut pourtant se demander si les risques de confusion sont réels. Quand le père courroucé de la pièce Un reel ben beau, ben triste de Jeanne-Mance Delisle (1980) déclare «L’hostie d’cochon, m’as y arracher les gosses avec mes dents !» (p. 94), peut-on vraiment croire qu’il souhaite s’en prendre à la progéniture de cet «hostie d’cochon» ? Contexte, tout est contexte.

Pourquoi rappeler aujourd’hui cette évidence lexicale universellement (re)connue ? Parce que le titre d’un texte récent d’Annick Farina est un peu trop vague. Quel est l’exemple principal étudié dans «L’utilisation des marques lexicographiques au Québec : un choix politique» (2010) ? Le mot gosse, précisément, ce «mot “tabou”» dans les dictionnaires jusque dans les années 1980 (p. 77), qui n’est pourtant qu’un «petit mot assez inoffensif» (p. 84). Un conseil de l’auteure mérite d’être cité : «De même qu’on ne rédige pas un essai médical sur les “inflammations de la gosse”, une personne qui recevra un coup de pieds dans les testicules ne dira pas “aïe, j’ai mal aux gonades”» (p. 79). En effet.

Deux remarques linguistiques, pour conclure. On ne confondra pas gosses et gosser. En France, gosse est épicène, pas au Québec, où en son sens sexué, il n’existe qu’au féminin.

P.-S. — Dans le même ouvrage collectif, signalons l’étude de Mirella Conenna, «Le québécois dans la valise : les dictionnaires à usage touristique», consacrée à six «mini-dictionnaires» (p. 139), malheureusement rédigée avant la sortie du Parler québécois pour les nuls (2009), le joyau de Marie-Pierre Gazaille et Marie-Lou Guévin.

 

[Complément du 26 août 2018]

Qui part (rien que) sur une gosse ne se dirige vers l’entrejambe de personne. L’expression désigne une mise en action (trop ?) rapide, un démarrage vif. Exemple dramatique tiré de J’aime Hydro, de Christine Beaulieu (2017) : «Le 11 octobre 2016, je suis partie rien que sur une gosse, pas trop préparée» (p. 159). Oui, vous avez bien lu : une femme peut partir rien que sur une gosse.

 

Références

Beaulieu, Christine, J’aime Hydro, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 13, 2017, 253 p. Illustrations de Mathilde Corbeil.

Conenna, Mirella, «Le québécois dans la valise : les dictionnaires à usage touristique», dans Sergio Cappello et Mirella Conenna (édit.), Dizionari. Dictionnaires. Dictionaries. Percorsi di lessicografia canadese, Udine, Forum, coll. «Collana di studi del Centro di Cultura Canadese», 2, 2010, p. 127-140.

Delisle, Jeanne-Mance, Un reel ben beau, ben triste, Montréal, Éditions de la pleine lune, coll. «Théâtre», 1980, 179 p.

Farina, Annick, «L’utilisation des marques lexicographiques au Québec : un choix politique», dans Sergio Cappello et Mirella Conenna (édit.), Dizionari. Dictionnaires. Dictionaries. Percorsi di lessicografia canadese, Udine, Forum, coll. «Collana di studi del Centro di Cultura Canadese», 2, 2010, p. 75-96.

Gazaille, Marie-Pierre et Marie-Lou Guévin, le Parler québécois pour les nuls, Paris, Éditions First, 2009, xiv/221 p. Préface de Yannick Resch

De la binette

Marcienne Martin, Dictionnaire des pictogrammes numériques et du lexique en usage sur Internet et les téléphones portables, 2010, couverture

Sous la signature de Marcienne Martin, les Éditions L’Harmattan viennent de faire paraître un Dictionnaire des pictogrammes numériques et du lexique en usage sur Internet et les téléphones portables (2010, 154 p.).

Dans le communiqué de presse, il est précisé que ce dictionnaire «a un caractère non exhaustif étant donné les possibilités illimitées que possède une langue en cours de création». Question, dès lors : pourquoi publier un dictionnaire papier d’un objet aussi mobile, voire éphémère, que les pictogrammes numériques et que le lexique lié à une technologie particulière ? Un site Web interactif ne serait-il pas plus approprié ? Devant un objet qui change aussi rapidement, pourquoi se limiter à un ouvrage imprimé condamné à une prévisible obsolescence ?

Mince consolation : on peut acheter le PDF du livre. (De là à le lire sur son téléphone, c’est une autre histoire.)

P.-S. — Binette ? Plutôt qu’émoticône, c’est la traduction que proposait dès 1995 l’Office québécois de la langue française du mot «smiley».

La langue du baseball à travers les âges (genre)

Note. Ce jeudi 4 novembre est un journée sportivement chargée pour l’Oreille tendue : entrevue dans la Presse (cahier Au jeu, p. 5), lancement sur Cyberpresse d’un jukebox numérique auquel elle a collaboré, réflexion ci-dessous sur l’évolution de la langue du sport. [18 novembre 2010 : depuis la mise en ligne du billet qui suit, le jukebox numérique a été retiré du site de Cyberpresse.]

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Un lecteur non averti pourra être étonné à la lecture de la phrase suivante, tirée des Caprices du sport. Roman fragmenté, que vient de faire paraître Renald Bérubé : «merci, Sandy Amoros, ex-Royal de Montréal, voltigeur de gauche d’origine cubaine appelé en fin de match à jouer à la vache par mesure défensive» (p. 138). Jouer à la vache ? L’amateur de baseball québécois comprendra instantanément : jouer sur l’herbe du champ extérieur, là où on pourrait sans mal imaginer des vaches en train de brouter.

C’est que chaque sport a son vocabulaire, et celui-ci évolue. Voici deux exemples, s’agissant du baseball, le plus beau des sports.

Dans ses 2000 mots bilingues par l’image, l’abbé Étienne Blanchard, entre autres sujets, offre un glossaire du baseball, la «balle au camp». (Il y a aussi un glossaire du «hoquet», le hockey. Ils sont joliment désuets l’un comme l’autre.)

Abbé Étienne Blanchard, 2000 mots bilingues par l'image, 1920, p. 59

Sur le baseball, on apprend plein de choses par l’image (p. 58-59). Même s’il ressemble phonétiquement à umpire, il faut délaisser le mot empailleur pour arbitre (fig. 3). En bon apôtre de «la soudure des mots composés» (p. 3), Blanchard propose champdroit, champgauche et centrechamp, alors qu’on dirait aujourd’hui champ droit, champ gauche et champ centre (fig. 8). Notre receveur est le gobeur de l’abbé — «C’est le terme usité en France dans le jeu de thèque»; son corselet ou sa poitrinière, notre plastron (fig. 2 et 9).

Les trois pages de la section «Termes de la balle au camp (Baseball)» (p. 106-108) regorgent, elles aussi, de trouvailles (oubliées). Une balle mouillée (spit ball) est un crachat. Les physiciens risquent d’être troublés par certaine courbe de la courbe (curve); s’agit-il d’une balle droite ? Le lapin de 1920 (grounder) est plus joli que le roulant d’aujourd’hui. Pourtant, le baseball de l’époque paraît plus violent que le nôtre : on peut être tué sur but (out on base) ou fusillé (strike out).

Le même Étienne Blanchard consacrera une page de sa Stylistique canadienne à des «Termes divers» de sport, surtout de baseball, lapin inclus (p. 96). Passons.

Venons-en au Vocabulaire français-anglais des jeux de hockey[,] de tennis et de balle aux buts (base-ball) publié à Québec en 1937 «avec la bienveillante autorisation de la Société du parler français».

Vocabulaire français-anglais des jeux de hockey[,] de tennis et de balle aux buts (base-ball), 1937, couverture

La Société, comme l’abbé Blanchard avant elle, n’aime pas le mot baseball. Sa balle aux buts n’aura cependant pas plus de succès que la balle au camp de l’autre. Les rédacteurs du Vocabulaire accordent à ce sport plus d’importance (15 pages) qu’au hockey (6 pages) et qu’au tennis (7 pages). Leurs choix n’ont pas tous été entendus, mais plusieurs sont devenus courants : champ droit, champ gauche, champ centre, receveur, plastron, courbe. Pas de lapin, mais un coup rasant.

Une chose est sûre : parmi les animaux du sport, aucun de ces textes ne connaît la vache.

P.-S. — Une fois n’est pas coutume : prenons le Petit Robert en défaut. À plastron, on lit «Vêtement de protection, au hockey. Plastron de receveur» (édition numérique de 2010). Or tout le monde devrait le savoir : le receveur existe au baseball, pas au hockey.

Profitons-en aussi pour prendre l’abbé Blanchard en défaut : le vocabulaire proposé p. 58-59 n’est pas tout à fait le même que celui des p. 106-108.

 

[Complément du 13 juillet 2012]

L’Oreille tendue plastronne (à tort ou à raison). Elle avait signalé par courriel leur erreur aux gens du Robert. Que lit-elle dans l’édition papier du Petit Robert 2012 ? «Plastron : Vêtement de protection, au hockey, au baseball. Plastron de receveur.» Voilà qui est mieux.

 

[Complément du 8 septembre 2021]

L’Oreille tendue vient de mettre la main sur une version antérieure, mais identique, de la partie consacrée au baseball, sous le titre Vocabulaire français-anglais du jeu de balle aux buts (baseball). Elle date de 1935.

Bibliothèque et Archives nationales du Québec en offre une autre version, numérisée celle-là, aussi de 1935.

Vocabulaire français-anglais du jeu de balle aux buts (baseball)

 

Références

Bérubé, Renald, les Caprices du sport. Roman fragmenté, Montréal, Lévesque éditeur, coll. «Réverbération», 2010, 159 p.

Blanchard, abbé Étienne, 2000 mots bilingues par l’image, Montréal, L’Imprimerie des marchands limitée, 1920, 112 p. Ill.

Blanchard, abbé Étienne, Stylistique canadienne. Cinquième édition du Manuel du bon parler, Montréal, Éditions Bernard Valiquette, [1940], 111 p.

Vocabulaire français-anglais des jeux de hockey[,] de tennis et de balle aux buts (base-ball), Québec, La librairie de l’Action catholique, 1937, 29 p. «Publié avec la bienveillante autorisation de la Société du parler français, qui a rédigé ce Vocabulaire.»

Vocabulaire français-anglais du jeu de balle aux buts (baseball), Québec, L’action sociale (limitée), 1935, 15 p. «Hommage de la Société du Parler français au Canada (Université Laval, Québec).»

Les français

On voit français standard, français international, français de France, voire français hexagonal, pour désigner le lexique du français réputé le plus général. Dans un tout récent Dictionnaire des belgicismes, on parle plutôt de français dit «de référence», défini comme «celui que décrivent les grammaires et les dictionnaires usuels du français, à l’exclusion de tout ce qui pourrait avoir un caractère marqué, de par son origine régionale ou les restrictions de son emploi».

Voilà qui est nettement mieux.

P.-S. — On trouve un extrait du dictionnaire ici et un quiz, «Parlez-vous belge ?», .

 

Référence

Francard, Michel, Geneviève Geron, Régine Wilmet et Aude Wirth, Dictionnaire des belgicismes, Louvain-la-Neuve et Paris, De Boeck et Duculot, coll. «Langue française – Ouvrages de référence», 2010. Ill. Préface de Bruno Coppens.

Fournée automnale

Logo, Charles Malo Melançon, mars 2021

Au Québec, la langue fait encore et toujours écrire.

Un collègue de l’Oreille tendue, Karim Larose, l’auteur de la Langue de papier. Spéculations linguistiques au Québec (1957-1977) (2004), publie chez Nota bene, avec Karine Cellard, le premier des trois tomes d’une anthologie, la Langue au quotidien. Les intellectuels et le français dans la presse québécoise. Anthologie. Volume 1. Les douaniers de la langue (1874-1957).

Chez Boréal, Martin Pâquet et Marcel Martel lancent Langue et politique au Canada et au Québec. Une synthèse historique.

Être huron, inuit, francophone, vietnamien… Propos sur la langue et l’identité, de Louis-Jacques Dorais, paraîtra chez Liber.

Jean-Louis Major, au début d’Appartenances. Essai en pièces détachées (Éditions David), raconte ce que le français a représenté pour lui dans l’Ontario de sa jeunesse.

Enfin, après, entre autres titres, Anatomie du québécois (1996 et 1999), l’Incroyable Aventure de la langue française racontée depuis sa naissance à Rome jusqu’à sa greffe réussie en Amérique (2002 et 2003) et les Anglicismes de la vie quotidienne des Québécois (2006), Jean Forest publie son deuxième glossaire. Il y a eu le Grand Glossaire des anglicismes du Québec (2008); voici un livre au sous-titre absurde, le Grand Glossaire du français de France. Mots, sens et expressions qui font défaut au français du Québec (Triptyque). (S’il faut en croire le compte rendu paru dans le Devoir du 14-15 août 2010, p. E8, l’expression faire une pipe «ferait défaut au français du Québec»…)

Des heures de lecture en perspective.