La langue de puck en 1958

René de Chantal, «Défense et illustration de la langue française. Gouret ou hockey», le Droit, 1er mai 1958, titre

René de Chantal (1923-1998) a été professeur de littérature, administrateur universitaire, diplomate et chroniqueur de langue. En 1958, dans le Droit (Ottawa), il consacre trois textes à la langue de puck.

Dans sa première chronique, le 1er mai, il cite longuement une lettre du père X, «professeur de français dans un collège de la province de Québec», qui s’interroge sur les mots du sport en français, sur leur rapport à l’anglais, sur la façon de les construire. Comment faire pour que, «chez la jeunesse trépidante de vie», on accepte un lexique français fait «de termes exacts, précis, vifs pour répondre au besoin de l’action» ?

Dans sa réponse initiale, se reconnaissant «un peu profane en la matière», le chroniqueur reprend les propos du commentateur sportif Michel Normandin dans un texte de 1957 («Il est […] impérieux que nous soyons plus français que les Français […]»), lui-même citant Étienne Blanchard. Le texte s’achève sur une question : qui doit-on suivre, les professeurs, comme René de Chantal, ou les rédacteurs et commentateurs, comme Normandin ?

Le 8 mai, le professeur donne ses choix. Il apprécie «mise en échec» (pour «body-checking»), «se replier» et «repli» (pour «back-checking» — mais pas «replié», et plutôt que «retraite»), et «garder le but» (mais ni «gauler» ni «gauleur», mentionnés par le père X). Il ne connaît pas d’équivalent à «cross-checking» («arrêt croisé» est «peut-être la moins mauvaise» solution). Il propose «tir envolé» pour «slap shot», alors que son correspondant retenait «lancer frappé», voire, tout simplement, «frappé».

La troisième chronique, le 15 mai, est destinée à comparer le vocabulaire québécois et le vocabulaire français du hockey : défenses / arrières, bâton / crosse (canne, en Suisse), rondelle (disque, caoutchouc) / palet, mise au jeu / engagement (citation de Beaumarchais à l’appui), tricoter / dribbler, lancer / shooter, lancer / tir (ou shoot), retour / rebond, compter un but / marquer un but, couvrir un joueur / marquer un joueur, tour (ou truc) du chapeau / coup du chapeau, punition / pénalité, égaler / égaliser, semi-finales / demi-finales, période supplémentaire / prolongation. Pour la période, les choix ne manquent pas, d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique : engagement, strophe (!), stance (!!), tiers-temps, reprise. On dit aujourd’hui punition pour mauvaise conduite; René de Chantal trouvait que punition de méconduite rendait «admirablement» misconduct penalty.

René de Chantal s’appuie sur des travaux de linguistique ou de lexicographie (Georges et Robert Le Bidois, Ferdinand Brunot, Jacques Pignon, «qui fut mon professeur de vocabulaire en Sorbonne»), sur des dictionnaires (Robert, Larousse, Harrap, Quillet, Bénac), sur des vocabulaires français (le Rugby, l’Encyclopédie des sports modernes, le Hockey sur gazon, l’Art et la pratique du hockey [sur gazon]) et sur «le programme d’un match de hockey auquel [il a] assisté dernièrement au Palais des sports de Paris» ! Écrivant de Paris, il a même interrogé un «jeune joueur de hockey français» et «quelques Canadiens qui ont l’occasion de jouer au hockey ici».

Conclusion ?

Si les mêmes expressions ne coïncident pas toujours des deux côtés de l’Atlantique, le vocabulaire canadien-français est, règle générale, fort honnête […]. Il faudrait faire profiter les sportifs français de nos trouvailles. […] Si ce n’est déjà fait,  le Canadien qui rédigerait, dans une langue correcte, un petit ouvrage sur notre sport national, rendrait service, non seulement à ses compatriotes, mais aussi aux Français qui s’intéressent de plus en plus à ce magnifique sport.

Dont acte.

P.-S.—Il est même question du détail.

P.-P.-S.—René de Chantal a beau être «profane», le 15 mai, il évoque «le sensationnel Doug Harvey» et Maurice Richard.

 

Références

Chantal, René de, «Défense et illustration de la langue française. Gouret ou hockey», le Droit, 1er mai 1958, p. 2.

Chantal, René de, «Défense et illustration de la langue française. “Back-checking” et “slap shot”», le Droit, 8 mai 1958, p. 2.

Chantal, René de, «Défense et illustration de la langue française. Termes de hockey. En France, on shoote», le Droit, 15 mai 1958, p. 2.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Normandin, Michel, «La langue des sports», Vie française, 12, 1-2, septembre-octobre 1957, p. 34-46.

Benoît Melançon, Langue de puck. Abécédaire du hockey, 2014, couverture

Encore une histoire de poche

L’Oreille tendue — Dieu sait pourquoi — vous entretient souvent de poche. Elle vous a parlé d’une chose poche, de la poche abritant un fou, de l’enveloppe cutanée des testicules. Aujourd’hui, ce sera la petite poche, qui paraît exister en deux variétés.

Dans le domaine du sport, mettre quelqu’un dans sa petite poche désigne le fait de dominer quelqu’un outrageusement. Dans le match des Canadiens de Montréal — c’est du hockey — du 28 décembre 2021, le défenseur David Savard a habilement déjoué un rival du Lightning de Tampa Bay, Victor Hedman. Il lui a fait prendre une tasse de café. Réaction, sur Twitter, d’un journaliste de la Presse+ :

 

 

Toujours au hockey, les personnes âgées — l’Oreille, par exemple — se souviendront que, en 1981, un gardien de but des Canadiens, Richard Sévigny, avait annoncé, avant une série contre les Oilers d’Edmonton, que son coéquipier Guy Lafleur allait mettre Wayne Gretzky «dans sa petite poche». Mal lui en prit.

Lisant Morel (2021), de Maxime Raymond Bock, l’Oreille découvre que l’expression peut avoir un sens diamétralement opposé et marquer l’affection.

Morel a tenu à apporter un petit coffre à outils pour cette entreprise, sur lequel André est resté assis tout au long du voyage à l’arrière de la Station, c’est un exploit qu’il n’ait pas chialé continuellement, le cul sur la poignée de métal, ce doit être l’influence de sa grand-mère Madeleine, qui, avec ses formules magiques et ses bonbons au beurre, l’a dans sa petite poche de tablier depuis toujours (p. 212-213).

Tant de mystères, si peu d’heures.

P.-S.—Il manque encore au plus fort la poche. Ce sera pour un autre jour.

P.-P.-S.—L’Oreille tendue a présenté Morel le 12 janvier 2022.

 

Référence

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.

De la dompe

L’espion qui m’a larguée / dompée, affiches, 2018

Dans des aventures antérieures, nous avons vu trois sens du verbe domper. Il est possible, pour une personne qui n’est plus amoureuse, d’en domper une autre (ici, ). Le verbe peut aussi désigner le fait de déposer quelqu’un (de ce côté, de l’autre). Il peut encore renvoyer à une pratique fort déplaisante au hockey; c’est alors de la langue de puck.

Il existe, à côté du verbe, un substantif : la dompe, en français populaire du Québec, c’est la décharge publique, le dépotoir.

«Entre le boisé et le champ, à une minute de marche, il y a la dompe, des tas d’immondices faites de conserves, de raccords de plomberie, de bouteilles brunes, de cendres, de chiens abattus, de pelures, de ciseaux cassés. Une fois par semaine, quelqu’un y met le feu pour l’hygiène» (Dée, p. 12).

«Ici, des rivières de hontes, de peines et de saletés, des rivières de rats, des dompes bourbeuses qui serpentent à travers les vies tranquilles de leurs riverains» (l’Habitude des ruines, p. 186).

Ce n’est généralement pas là qu’on laisse l’être non aimé : amoureusement, il est peu courant de domper à la dompe. De même, on ne voit pas pourquoi quiconque voudrait domper la puck à la dompe. En revanche, on peut plus facilement domper quelqu’un à la dompe.

À votre service.

 

Références

Delisle, Michael, Dée, Montréal, BQ, 2007, 128 p. Édition originale : 2002.

Voyer, Marie-Hélène, l’Habitude des ruines. Le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec, Montréal, Lux éditeur, 2021, 211 p. Ill.

Rugosité hockeyistique

Papier d’émeri

Les Canadiens de Montréal affrontent actuellement les Panthers de la Floride — c’est du hockey. Des sources conjugales proches de l’Oreille tendue ont été fort étonnées d’entendre, au Réseau des sports, le joueurnaliste Benoît Brunet vanter le papier sablé de l’équipe de Sunrise.

Qu’est-ce que ce papier sablé ? En langue de puck, l’expression désigne des joueurs qui ne font pas dans la dentelle : ils sont là pour leur jeu rugueux.

Ken Dryden emploie l’équivalent anglais, «sandpaper», dans sa biographie de Scotty Bowman (p. 355).

Oui, le papier sablé est un des outils favoris de la petite peste.

 

Références

Dryden, Ken, Scotty. A Hockey Life Like no Other, Toronto, McClelland & Stewart, 2019, viii/383 p. Ill. Traduction : Scotty. Une vie de hockey d’exception, Montréal, Éditions de l’Homme, 2019, 439 p. Préface de Robert Charlebois.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Du pétard

Paul Verchères, Meurtre au hockey, [1953], couverture

En 2001, Shaka les chantait :

Méchants pétards, méchants pétards, méchants pétards
Méchants pétards, méchants pétards, méchants pétards

En 1972, Trevanian parlait de «beau pétard» (p. 11).

Dans les deux cas, il s’agissait de louanger la plastique de personnes du sexe.

L’expression est plus ancienne encore. On la trouve en 1953 chez Paul Verchères :

Le grand vieux se pencha vers son compagnon et lui dit assez haut, pour que les filles l’entendent :
— Deux beaux pétards, hein Aristide (p. 25).

Ce sera tout pour l’instant.

P.S.—Il a été question du contact des langues chez Trevanian ici et de la langue de puck chez Verchères .

 

[Complément du 6 décembre 2021]

«Les deux pétards» de Richard Desjardins (l’Existoire, 2012) sont une «déesse» et un «loup alpha en cuir d’agneau». On les retrouvera morts dans une chambre d’hôtel :

Le coroner lit le verdict
Ça s’est passé vers les minuit
Je suis formel catégorique
Nos beaux pétards
Sont morts d’ennui

 

Références

Desjardins, Richard, «Les deux pétards», l’Existoire, disque audionumérique, étiquette Foukinic, 2012, 5 minutes 1 seconde.

Shaka, «Méchants pétards», disque audionumérique, étiquette Guy Cloutier Communications, PGC-CD-132 DJ, 2001, 3 minutes 1 seconde.

Trevanian, The Main, New York, Harcourt Brace Jovanovitch, 1972. Réédition : New York, Jove, 1977, 332 p.

Verchères, Paul [pseudonyme d’Alexandre Huot ?], Meurtre au hockey, Montréal, Éditions Police journal, coll. «Les exploits policiers du Domino Noir», 300, [1953], 32 p.