De la non-pomme de terre

Françoise Major, Dans le noir jamais noir, 2013, couverture

Elle est le cœur : on peut en avoir gros sur la patate.

Elle marque l’échec : «Cam Barker, troisième joueur repêché en 2004, a fait patate» (la Presse+, 10 juin 2015).

Elle symbolise l’erreur : «Shakespeare dans les patates ? La Fille du temps / Josephine Tey» (Jeu, 29, 4e trimestre 1983, p. 155).

Elle a de la valeur, car elle indique qu’il ne faut pas abandonner, qu’il faut tenir bon : «D’origine inconnue, l’amusante locution [«lâche pas la patate»] a de la gueule, et même une chanson» (le Devoir, 8-9 mars 2014, p. F6). Oui, c’est un zeugme.

Elle désigne les frites : on va «manger une patate» (Attaquant de puissance, p. 22). On parle aussi de patate(s) frite(s).

Elle peut désigner l’endroit même où on consomme lesdites frites : «De toute manière, Germain avait dû aller à la patate du coin. Trois hot-dogs all dressed, une frite, un coke pis des jokes plates à la serveuse» (Dans le noir jamais noir, p. 14); il en rentre sentant «bon la patate» (p. 15). La Presse a jadis consacré un reportage à ce type d’établissement; l’Oreille tendue le relevait le 4 juillet 2011. C’était de saison.

On ne confondra pas ces frites et la patate chaude : «S’il y a consensus, c’est plutôt sur les tergiversations du gouvernement qui ne semble absolument pas savoir où il s’en va avec ses skis ou comment se débarrasser d’une patate chaude qu’il a lui-même fait chauffer» (la Presse, 25 février 2013, p. A14). Le Petit Robert (édition numérique de 2014) condamne cet usage : au sens de «se défausser d’une affaire embarrassante», ce serait un «calque de l’anglais».

Le premier sens de patate est utilisé des deux côtés de l’Atlantique. Pas les autres.

P.-S. — Les patates pilées ? De la purée. En robe de chambre / des champs ? Cuites au four.

 

[Complément du 19 juillet 2024]

La patate est une pataterie, et vice versa : «Sans oublier Chez Henri, la célèbre pataterie locale, qui avait son kiosque de poutine au trou no 2» (la Presse+, 19 juillet 2024).

 

Références

Hotte, Sylvain, Attaquant de puissance, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 2, 2010, 219 p.

Major, Françoise, Dans le noir jamais noir. Nouvelles, Montréal, La mèche, 2013, 127 p.

Divergences transatlantiques 038

Sieste. Vie hôtelière. Dans le reste du monde, synonyme de repos. Au Québec, synonyme de fornication, peut-être même d’adultère. Tarif sieste au Môtel Chez Robert et Céline.

P.-S. — L’Oreille tendue était à la radio hier, où elle parlait d’un bar à sieste. On ne confondra pas cette entreprise parisienne avec l’infrastructure adultérine dont il est question ci-dessus.

P.-P.-S. — La définition de la sieste québécoise est tirée du Dictionnaire québécois instantané (2004, p. 205).

 

[Complément du 11 août 2020]

Dans le polar Eight Million Ways to Die, Lawrence Block parle, pour ce genre d’établissement destiné aux couples en chaleur, de «hot-pillow joint», là où a cours le «hot-sheet trade». Et que ça saute !

 

[Complément du 26 septembre 2021]

Georges Simenon aborde aussi le sujet dans l’Amie de madame Maigret (1952) :

Dans ces hôtels-là, on réserve le plus souvent les chambres du premier étage pour les couples de rencontre, qui montent pour un moment ou pour une heure.
— Il y a toujours les chambres du «casuel», répondit-elle, employant le terme consacré (éd. de 1974, p. 57).

 

[Complément du 4 septembre 2023]

Variation simenonienne sur le même thème : «Il entra dans un bureau de l’hôtel et rougit quand le gardien de nuit lui demanda : — C’est pour la nuit ou pour un moment ?» (la Première Enquête de Maigret, p. 439)

 

Références

Block, Lawrence, Eight Million Ways to Die. A Matthew Scudder Crime Novel, New York, Avon Books, 2002. Édition numérique. Édition originale : 1982.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Simenon, Georges, l’Amie de madame Maigret, Paris, Presses Pocket, coll. «Presses Pocket», 1066, 1974, 187 p. Édition originale : 1952.

Simenon, Georges, la Première Enquête de Maigret, dans les Essentiels de Maigret, Paris, Omnibus, coll. «Tout Simenon», 2011, p. 387-506. Présentation de Benoît Denis. Édition originale : 1949.

 

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Fin de la promenade

«Les Québécois ont fait le tour du Bloc», titrait joliment le Devoir du 18 mars 2015 (p. A7).

Ce Bloc, c’est un parti politique, le Bloc québécois. Comment peut-on en «faire le tour» ?

Le bloc au Québec désigne le pâté de maisons. Qui en fait le tour est en promenade (généralement brève).

Celle des Québécois autour du Bloc québécois serait donc terminée.

Dont acte.

Divergences transatlantiques 036

Un lecteur de l’Oreille tendue croise, l’autre jour, la camionnette d’un exterminateur. Comment celui-ci présente-t-il ses activités? «Gestion parasitaire.» La camionnette se trouvant devant un établissement de santé, ce lecteur se demande si le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, Gaétan Barrette, n’y était pas à l’œuvre, lui qui considère qu’il y a trop de gestionnaires dans ce type d’établissement.

Pour sa part, l’Oreille a un faible pour l’expression «Lutte raisonnée contre les nuisibles», découverte quai des Grands-Augustins à Paris. Elle ne sait cependant pas ce que Gaétan Barrette classerait dans la catégorie des «nuisibles» ni ce qui est «raisonné» pour lui.

En fait, elle aime mieux ne pas le savoir.