Divergences transatlantiques 030

Jo Nesbø, le Bonhomme de neige, 2008, couverture

Soit la date de tombée ou l’échéance, appelée parfois deadline.

Un Québécois dira un deadline.

L’Oreille tendue découvre qu’il n’en est pas de même dans l’Hexagone.

«“L’exil, des diasporas à la littérature mondiale”, déjà beaucoup de belles propositions mais la deadline approche !» (@cyrilverlingue)

«Et ils n’étaient rien d’autre, ces soldats de l’information qui occupaient le hall : des prisonniers de guerre immobilisés par une deadline» (le Bonhomme de neige, p. 254).

«Deadline. n.f. — moment auquel quelque chose doit avoir été réalisé (prononcer “dèdelaïne”)» (le Dico des mots qui n’existent pas […], p. 86).

Elle s’en étonne. Elle ne devrait peut-être pas.

 

Références

Nesbø, Jo, le Bonhomme de neige. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 575, 2008, 583 p. Traduction d’Alex Fouillet. Édition originale : 2007.

Talon, Olivier et Gilles Vervisch, le Dico des mots qui n’existent pas et qu’on utilise quand même, Paris, Express Roularta Éditions, 2013, 287 p.

Non, beaucoup, très

Soit la phrase suivante, tirée du Devoir du 23 décembre 2013 : «Pas de souci, ça électrise en titi […]» (p. B8).

En titi ?

On trouvait deux fois la même expression dans le deuxième tome de Motel Galactic (2012), la bande dessinée de Francis Desharnais et Pierre Bouchard, dont une fois sur une pancarte (p. 9; voir aussi p. 8).

Francis Desharnais et Pierre Bouchard, Motel Galactic, 2012, p. 9.

On l’entendait également dans une publicité télévisée récente d’une chaîne de restaurants. Une mère la suggérait à son jeune fils, qui était horrifié à l’idée de l’utiliser.

Son sens ? Le contraire du (pe)ti(t) : beaucoup, très, et voire même très beaucoup.

On comprend le jeune garçon : l’expression est bien faible en terre de sacres. (Elle est faible en titi.)

P.-S. — Le Petit Robert (édition numérique de 2014) connaît cette «locution adverbiale» régionale («Canada»), mais pas son étymologie. Il paraît peu plausible de la chercher du côté du «nom masculin» titi, «Gamin déluré et malicieux», d’essence parisien.

 

[Complément du 2 janvier 2014]

Débat animé sur Twitter l’autre jour au sujet de l’origine de l’expression en titi. Tous s’entendaient pour dire qu’il s’agit d’un superlatif et d’une euphémisation — mais de quoi ?

@PimpetteDunoyer, dans les commentaires ci-dessous, penchait pour «en estie», forme elle-même euphémisée de «en hostie». @beloamig_ cita le Dictionnaire québécois-français. Mieux se comprendre entre francophones de Lionel Meney : «ce serait une variété atténuée de “en maudit”» (p. 1739). Appuyée sur la tradition familiale, Anne Marie Messier, aussi dans les commentaires, proposait «en sapristi», expression venue, elle, de «sacristi», sans «e» (le Petit Robert, édition numérique de 2014).

(Sur un registre plus léger, @Voluuu évoquait «en ouistiti» et @desrosiers_j, «Nefertiti».)

Cela mène à d’autres interrogations. Utiliser un euphémisme à la place de «en estie» peut se comprendre. C’était peut-être vrai aussi, mais à une autre époque, de «en maudit». Mais on ne voit guère pourquoi un euphémisme serait nécessaire à la place de «en sapristi».

Au risque de la répétition : tant de questions existentielles, si peu d’heures.

 

Références

Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, Montréal, Éditions Pow Pow, 2012, 101 p.

Meney, Lionel, Dictionnaire québécois-français. Mieux se comprendre entre francophones, Montréal, 1999 et 2003.

Divergences transatlantiques 029

«Garnir (les claies d’élevage des vers à soie) de petites cabanes de branchage où les vers feront leurs cocons» ? Encabaner, dit le Petit Robert (édition numérique de 2014).

S’enfermer ? S’encabaner, entend-on parfois au Québec : il arrive qu’on s’y réfugie dans sa cabane (maison). Exemple publicitaire sur le modèle d’une prière : «Tu ne t’encabaneras point» (le Devoir, 25 novembre 2013, p. A5).

On ne confondra évidemment pas.

Divergences transatlantiques 028

L’Oreille tendue s’intéresse à la langue du hockey.

Pour désigner le bagarreur, les expressions n’y manquent pas : armoire à glace, dur à cuire, homme fort, policier, matamore, gorille, batailleur, goon, bully (et donc boulé dans la langue de Pierre Bouchard, ex-justicier des Canadiens de Montréal). Par euphémisme, on dit parfois joueur robuste ou fougueux, gros bonhomme ou encore gros gaillard.

On dit aussi taupin : la créature humaine qui répond à ce nom est réputée plus forte, plus solidement bâtie, que la moyenne de ses congénères.

Le taupin québécois n’est donc ni un «Soldat qui pose des mines sous terre», ni un coléoptère, ni un «Élève qui se prépare à Polytechnique» (le Petit Robert, édition numérique de 2014).

Il ne faut pas confondre, surtout pas sur la glace.

P.-S. — Y a-t-il plus imposant qu’un taupin ? Évidemment : c’est le méchant taupin.

Crise d’identité

L’Oreille tendue est casanière. Il y a peu, elle est néanmoins allée assister à une table ronde dans une librairie montréalaise.

Un des intervenants y a déclaré : «J’essaie de me mettre dans leurs shorts.»

Pour rendre l’expression compréhensible aux non-natifs du Québec, il faut indiquer que short peut y désigner, selon les contextes, une «Culotte courte (pour le sport, les vacances)» (le Petit Robert, édition numérique de 2014) ou des sous-vêtements (un slip ou une petite culotte).

Dans le cas qui nous intéresse, il n’est pas question de sport. Qui s’imagine dans les shorts de quelqu’un essaie de se mettre à sa place.

On pourrait être troublé à moins.

 

[Complément du 20 novembre 2021]

En revanche, cette déclaration lue sur Twitter relève du registre sportif : «Norlinder s’est fait sortir de ses shorts par Granlund.» «Se faire sortir de ses shorts» ? Quand un joueur de hockey se fait déjouer par un adversaire sans y pouvoir quoi que ce soit par manque de rapidité. Personne ne veut «se mettre» dans ces shorts-là.

P.-S.—Oui, c’est de la langue de puck.

 

[Complément du 1er août 2022]

Ne pas se sentir / être gros dans ses shorts évoque un sentiment d’inquiétude, voire de peur. Exemple tiré de la Bête creuse de Christophe Bernard (2017) : «Monti, qui s’appelait pas Monti pour rien, mon petit, mon p’tit, mon Ti, Monti, c’est comme ça que les autres orphelins avaient trouvé son surnom, était vraiment pas venu gros dans ses shorts» (p. 18).

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture