Oreille(s) en goguette

L’Oreille tendue est donc allée se promener. Notes.

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Adolescente, l’Oreille a séjourné quelques heures à Baie-Saint-Paul. Elle se souvient clairement y avoir entendu pour la première fois le mot gourgane. Elle y a récemment passé deux jours. Elle en rapporte plutôt le mot champignon, celui sur lequel on appuie. Touristes ou non, au volant, on ne ralentit pas. On n’est quand même pas en Nouvelle-Angleterre ici !

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Location de vélo, Baie-Saint-Paul, août 2013

Pour qui souhaite remplacer ses quatre roues par deux, il existe un service appelé Baiecycle (bécik => bicycle => bicyclette => vélo — de Baie-Saint-Paul). L’Oreille se demande ce qu’en penserait le créateur de jeuxdemotsdemarde.tumblr.com.

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Elle séjournait dans le bel, et cher, hôtel La Ferme. On y prétend qu’il faut dire «en Charlevoix». Snobisme.

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Au Musée d’art contemporain de la petite ville, une exposition de Marc Séguin. Sur l’un des murs, on peut lire ceci, de la commissaire invitée : «Peintre des failles d’une humanité à la fois démiurge et autodestructrice [etc.].» Une «humanité démiurge» ? Plus loin, il est question d’une «dimension de sublimité». Snobisme, bis. C’est la variante picturale de la langue de margarine.

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Parlant gastronomie et peinture, au menu d’un casse-croûte de La Malbaie, le hamburger est un hamberger. On peut supposer que cette graphie a été retenue pour évoquer la prononciation «hambeurgeur», fréquente chez l’autochtone. Ce n’est pas particulièrement réussi.

Hamburger ou Hamberger (La Malbaie) ?

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À table, ce matin-là, du fils cadet de l’Oreille : «Papa, tes yeux sont verts comme des câpres.» Elle est restée sans réponse.

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Toujours à table, le même soir, autre expérience, pas seulement linguistique : ce moment où ton fils de quinze ans te dit que sa sauce goûte la vodka et où tu lui demandes comment il connaît le goût de la vodka.

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Ceci, saisi dans les toilettes d’un restaurant Normandin de Donnacona, près de l’autoroute 40, entraîne deux questions : s’agit-il, «piles incluses», d’une information (utile) sur les mœurs sexuelles des habitants des environs ou de l’idée qu’on se fait des celles des voyageurs en transit ?

La sexualité selon Normandin

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Être en vacances, c’est, souvent, faire de la route. De nos jours, c’est aussi l’occasion, technologie oblige, d’écouter, en direct, le Masque et la plume ou, en différé, nombre de balados : les Lundis de l’histoire, Des Papous dans la tête, The New Yorker Out Loud, etc. C’est aussi le moment où entendre du Chateaubriand et se rendre compte de la boursoufflure un peu ridicule de son écriture.

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Et revoici l’Oreille chez elle.

Bref lexique québécois de l’imbibition

Tout le monde le dit : quand il fait chaud, il faut beaucoup boire.

Il peut toutefois arriver que l’on boive trop. Au Québec, cela se dit de plusieurs façons, au-delà des expressions du français hexagonal (bourré, paf, pompette, soûl, etc.).

Le buveur qui a cédé à l’excès peut y être en boisson (l’expression paraît ancienne), rond comme une bine (cette bine n’est pas la bine), paqueté (pas comme un club), parti, chaud. Il prend une brosse.

Un degré de moins et il est chaudasse ou gorlot (autre orthographe possible : gueurlot). Gorlot, il aura la gueule de bois.

Un degré de plus et celui qui prend un coup aura arrêté de lire ce texte avant d’être arrivé à la fin.

 

[Complément du 19 août 2013]

Un article du Devoir sur le dictionnaire en ligne Usito (10-11 août 2013, p. B2) rappelle l’existence de l’expression se paqueter la fraise. Dont acte.

 

[Complément du 11 septembre 2019]

À côté de chaudasse, on trouve chaudaille, notamment dans Querelle de Roberval (2018), de Kevin Lambert (p. 70, p. 108).

 

[Complément du 11 août 2020]

Dialogue entre une Française et un Québécois, dans la Trajectoire des confettis, de Marie-Ève Thuot (2019) :

«—Louis, tu m’écoutes ? Tu t’es pris une sacrée murge, dis donc.
— Une quoi ?
— Tu t’es bourré la gueule.
— Ah… Ici on dirait se soûler la face. Ou se paqueter la fraise. Ou virer une brosse. Ou…
— Comme tu veux. Pour moi, tu t’es bourré la gueule» (p. 77).

 

[Complément du 11 janvier 2021]

À côté de pompette, chaudaille et garleau, ajout du jour : «Ti-guedaille : Expression saguenéenne et jeannoise. Se dit d’une personne chaude qui a le vin gai» (J’ai bu, p. 98).

 

[Complément du 28 janvier 2021]

Dans quelques jours commencera le Défi 28 jours sans alcool. Il ne faudra pas confondre brosse et brosse.

Publicité pour le Défi 28 jours sans alcool

 

[Complément du 30 juillet 2022]

Il est une expression que l’Oreille tendue ignorait jusqu’à la lecture de Là où je me terre, de Caroline Dawson : «Derrière nous, les yeux écarquillés par la scène qui se jouait devant lui, il y avait un monsieur, encore un peu cocktail de son verre de vino dans l’avion, qui revenait paisiblement d’un voyage d’affaires» (p. 24). Être cocktail : c’est noté.

 

[Complément du 23 août 2022]

Trois ajouts, venus du roman la Bête creuse de Christophe Bernard (2017) : à l’opposé de celui qui «tient la boisson» (p. 209), il y a celui qui est «garlot» (p. 96) ou «chaudette» (p. 473).

 

[Complément du 26 février 2023]

Chaud comment ? Réponse de Kevin Lambert dans Que notre joie demeure (2023) : «chaud comme un poêle» (p. 82).

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Dawson, Caroline, Là où je me terre. Roman, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2022, 201 p. Édition originale : 2020.

Lambert, Kevin, Querelle de Roberval. Fiction syndicale, Montréal, Héliotrope, 2018, 277 p.

Lambert, Kevin, Que notre joie demeure, Montréal, Héliotrope, 2022, 381 p.

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.

Thuot, Marie-Ève, la Trajectoire des confettis. Roman, Montréal, Les Herbes rouges, 2019, 615 p.

À peu près aussi bien que bon

Samuel Cantin, Phobies des moments seuls, 2011, p. 134

Il y a un an, le fils aîné de l’Oreille tendue a passé quelques jours à Paris. Caméléon linguistique, il a réussi à se fondre dans la conversation ambiante sans trop de mal. Il n’y a qu’un signe d’appartenance non autochtone dont il n’était pas parvenu à se défaire : l’emploi passe-partout du mot correct.

Ce qui, chez un Hexagonal, aurait été bien ou bon était correct chez lui — un plat, un comportement, une œuvre d’art. Utilisant correct, il ne sous-entendait aucun (léger) vice caché. On lui demandait s’il appréciait son voyage et il répondait «Correct». Pour lui, ça allait.

On trouve plusieurs bons exemples des usages québécois de correct dans le roman Comme des sentinelles de Jean-Philippe Martel, ce mot qui marque la (quasi-)satisfaction : «un “gars correct” sur qui on pouvait à peu près compter» (p. 57); «Peut-être rien d’extraordinaire, là, mais correct, tu sais ?» (p. 91); «j’ai décidé qu’il n’y avait pas de quoi m’en faire, que ce n’était peut-être pas normal, mais que ça allait, là; que c’était correct» (p. 109); «Elle dit que c’est pas correct pour lui» (p. 124); «—Tu veux peut-être que je te le rappelle ? —Non, ça va être correct» (p. 169).

Synonymes : oui et tiguidou.

Antonyme : moyen.

Remarque : dans certains cas très spécifiques, correct peut avoir valeur d’antiphrase et marquer une désapprobation (qui refuse de s’avouer). Exemple : Les enfants de X refusent de parler à leur mère. C’est correct comme ça.

Prononciation : la prononciation du t final est facultative.

 

[Complément du 19 juin 2015]

Cet usage n’est pas tout récent. On le trouve dans une pièce de théâtre de Jean-Claude Germain montée en 1969, Diguidi, diguidi, ha ! ha ! ha ! : «Bon… C’est corrèque… tu peux rentrer pis t’déshabiller» (p. 48). Sens : ça va aller. (Graphie certifiée d’origine.)

Rebelote dans une pièce de 1971, Si les Sansoucis s’en soucient, ces Sansoucis-ci s’en soucieront-ils ? Bien parler, c’est se respecter ! : «Bon, ben çé corrèque… oubliez toute s’que j’ai dit…» (p. 144). Le mot a ici valeur de concession.

 

[Complément du 26 mars 2019]

En 1937, la brochure le Bon Parler français classait «Correct. O. K.», mis pour «Ça va», parmi les barbarismes (p. 20).

 

[Complément du 29 novembre 2021]

Dans Meurtre au Forum, on peut lire ceci :

«— […] je me préparais justement à te téléphoner pour te demander de venir me rencontrer au Forum.
— C’est correct. Le temps de m’habiller et je saute dans ma voiture. Je vais être là, dans au plus vingt minutes» (p. 4).

Meurtre au Forum date de 1953.

 

[Complément du 23 mai 2022]

Confirmation de la prononciation chez le Michel Ragabliati de Paul à Québec (2009, p. 37) : «Correc !»

 

[Complément du 4 avril 2024]

Il arrive, mais plus rarement, que correct soit employé adverbialement : «Je suis correct intelligent, mais je ne suis pas super intelligent non plus» (la Presse+, 4 avril 2024).

 

[Complément du 30 janvier 2024]

Comme adverbe encore, chez Camille Giguère-Côté, en 2024 : «quand même correct gros» (p. 41).

 

Illustration : Samuel Cantin, Phobies des moments seuls. Les carnets du docteur Marcus Pigeon, Montréal, Éditions Pow Pow, 2011, 157 p., p. 134.

 

Références

Le Bon Parler français, La Mennais (Laprairie), Procure des Frères de l’Instruction chrétienne, 1937, 24 p.

Germain, Jean-Claude, Diguidi, diguidi, ha ! ha ! ha ! [suivi de] Si les Sansoucis s’en soucient, ces Sansoucis-ci s’en soucieront-ils ? Bien parler, c’est se respecter !, Montréal, Leméac, coll. «Théâtre québécois», 24, 1972, 194 p. Ill. Introduction de Robert Spickler.

Giguère-Côté, Camille, le Show beige, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 40, 2024, 131 p. Ill. Précédé d’un «Mot de l’autrice». Suivi de «Contrepoint. Une anthropologue colorée au pays du beige», par Jean-Philippe Pleau.

Martel, Jean-Philippe, Comme des sentinelles. Roman, Montréal, La mèche, 2012, 177 p.

Rabagliati, Michel, Paul à Québec, Montréal, La Pastèque, 2009, 187 p.

Verchères, Paul [pseudonyme d’Alexandre Huot ?], Meurtre au hockey, Montréal, Éditions Police journal, coll. «Les exploits policiers du Domino Noir», 300, [1953], 32 p.

Y aller, ou pas

Des preuves existent : l’Oreille tendue a déjà été jeune. Elle visita la France.

Elle se souvient encore qu’on lui expliqua alors qu’il ne fallait pas dire aller à la toilette, comme il l’avait souvent entendu dans sa province natale, mais aux toilettes. Sinon, les Français, réputés peu friands de régionalismes, risquaient de ne pas la comprendre (ou de faire semblant de ne pas la comprendre).

Cette leçon lui est revenue à l’esprit l’autre jour à la lecture du courriel suivant, d’un de ses lecteurs, Colibrius :

Dans une grande quincaillerie de Trois-Rivières, hier, je dis :
«Mademoiselle, je cherche une toilette.»
Rougissante un peu, elle demande :
«C’est pour acheter ou pour aller ?»

Cette associée était confrontée à une ambiguïté bien réelle en ces lieux où elle travaille. Le courriel de Colibrius ne la lève d’ailleurs pas complètement.

Il y a caler et caler

Lac Saint-Jean, 6 maI 2013

Chez l’homme, telle l’Oreille tendue, la perte du cheveu, si par extraordinaire elle survient, n’est pas immédiate mais progressive. Au Québec, le (déjà) (futur) chauve commence par caler. (On notera l’emploi absolu du verbe.)

Exemple : «Dans le miroir, l’image qu’on lui renvoyait était à des lieues de ce qu’il avait connu de lui jusqu’à présent, ses traits remontés, ses cernes atténués. En se touchant le front il n’avait plus l’impression de piétiner et de caler» (Malgré tout on rit à Saint-Henri, p. 22-23).

Il peut aussi arriver à un lac de caler. On comprendra qu’il ne s’agit pas alors d’un glissement vers la calvitie. Le lac qui cale, ou est calé, n’est plus couvert de glace (à au moins 70 %). Bref, le printemps est arrivé.

Exemple saguenéen : «RT @c_gregoire: Le Lac-Saint-Jean est officiellement “calé”. Eau claire à 70 %. #rcsag» (@Hortensia68, 6 mai 2013).

Exemple poétique : «immédiateté de la perception::ce rocher n’a pas bougé depuis dix mille ans::je m’agite autour::la glace calera dans un bruit de déchirure» (@mxcote).

On ne confondra pas les deux sens.

 

[Complément du 8 août 2017]

Le 29 juillet, l’excellent Michel Francard consacrait sa chronique du quotidien le Soir (Bruxelles) au français de l’Acadie. Il écrit :

Une autre caractéristique du français acadien est la conservation de mots et d’expressions issus du vocabulaire maritime des colons, avec un sémantisme plus large que dans l’acception originelle. Tel est le cas du verbe amarrer, généralement employé avec le sens technique «fixer avec des amarres», mais qui signifie en Acadie «lier, attacher». Ou du verbe caler, issu du nom cale «espace situé entre le pont et le fond d’un navire», qui a pour signification technique «s’enfoncer dans l’eau (pour un navire)», mais connu en Acadie avec le sens «s’enfoncer dans la neige, la boue».

Ce sens de caler est aussi courant au Québec.

 

Référence

Grenier, Daniel, Malgré tout on rit à Saint-Henri. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 07, 2012, 253 p.