«Évitant de regarder Suzy en face, il se mit à parler : sa voix haute, un peu ébréchée, semblait produite par coups de glotte oxydée, et son récit pullulait de pauses pénibles, virgules et points-virgules pendant lesquels il avalait un peu de salive en grimaçant, avec un douloureux grincement de siphon et de longs aller-retour de pomme d’Adam. Son discours achevé, il renifla en s’aidant de la base de son pouce, point final discret, avant d’examiner en silence un de ses pieds. Suzy le considérait avec curiosité.»
Jean Echenoz, Lac. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1989, 188 p., p. 85.
Lisant Gens du milieu de Charles-Philippe Laperrière (2018), l’Oreille tendue avait eu a la puce à l’oreille devant la phrase suivante :
Depuis plusieurs mois, Connor agit en tant que second intervenant dans la réadaptation d’une masse croissante de clients, parmi quoi S. Dorion (p. 140).
Ce «parmi quoi» évoquait, pour elle, un romancier admiré.
Puis, quelques plages plus loin, elle lit une allusion directe à un roman lui aussi admiré, du même auteur :
Au moment du décès, sur la table de nuit, à côté du vaporisateur de naxolone intact, se trouvaient un verre d’eau, de l’aspirine, des lunettes à monture de corne, le roman Cherokee de Jean Echenoz où était glissée la photo d’un garçon de douze ans aux cheveux bouclés, aux traits tout fins, et quatre euros cinquante centimes (p. 165).
Tout s’explique.
[Complément du 10 juin 2018]
Charles-Philippe Laperrière est en entrevue dans la Presse+ du jour. Remarque de l’intervieweuse, Chantal Guy : «Il y a du Michon et du Echenoz chez Laperrière, qui avoue avoir voulu être en dialogue avec ces écrivains qu’il admire […].» Merci.
La 43e livraison d’Épistolaire vient de paraître (2017, 292 p., ISSN : 0993-1929). L’Oreille y parle de cartes postales. Il y est notamment question — on ne se refait pas — de Jean Echenoz et de numérique.
Table des matières
Haroche Bouzinac, Geneviève, «Avant-propos», p. 5-6.
«Éros dans la lettre»
Walbecq, Éric, «Introduction», p. 9-14.
Obitz-Lumbroso, Bénédicte, «Le je(u) amoureux dans les lettres érotiques de Beaumarchais», p. 15-24.
Sifferlen, Gwenaëlle, «Extraits érotiques de la correspondance de Juliette Drouet à Victor Hugo», p. 25-35.
Leclerc, Yvan, «Flaubert, obscénités épistolaires d’une jeune homme», p. 37-47.
Johnston, Marlo, «Les lettres érotiques de Guy de Maupassant», p. 49-70.
Seillan, Jean-Marie, «Huysmans correspondancier érotique. Le corps et les mots», p. 71-82.
Goujon, Jean-Paul, «Un correspondant masqué : Pierre Louÿs», p. 83-92.
Fuligni, Bruno, «“Monsieur le commissaire…” Lettres à la police sur les affaires de mœurs», p. 93-101.
Walbecq, Éric, «Willy, Curnonsky, Louÿs et leurs belles amies», p. 102-116.
Dupouy, Alexandre, «L’enchanteur pornographe», p. 117-126.
Di Folco, Philippe, «The Dirty Letters. Petite histoire de la correspondance érotique entre James Joyce et Nora Barnacle», p. 127-134.
«Perspectives»
«Autour des lettres. Entretien avec Annie Ernaux. Propos recueillis par Karin Schwerdtner», p. 137-149.
De Vita, Philippe, «Georges Méliès épistolier. Projection et bricolage d’une résurrection», p. 151-167.
«Chroniques»
Melançon, Benoît, «Le cabinet des curiosités épistolaires», p. 171-173. Sur la carte postale à l’ère du numérique.
Morello, André-Alain, «État présent des études sur la correspondance de Marguerite Yourcenar», p. 175-196.
Charrier-Vozel, Marianne, «Vie de l’épistolaire», p. 197-202.
Cousson, Agnès (édit.), «Bibliographie», p. 203-251. Contributions de Déborah Roussel, Luciana Furbetta, Benoît Grévin, Clémence Revest, Athéna David, Anaïs Guittonny, Andrzej Rabsztyn et Benoît Melançon.
«Recherche»
«Comptes rendus», p. 255-286.
[Complément du 21 mars 2019]
[Complément du 25 juillet 2023]
Le texte de l’Oreille tendue sur la carte postale à l’ère du numérique est maintenant disponible, en format PDF, ici et là.
L’Oreille tendue, qui, ses lecteurs le savent, est une fan de l’écrivain, n’a pas vu cette exposition, mais son réseau international de taupes ouvre l’œil.
Voilà pourquoi elle a pu étudier attentivement, à distance, cet exemplier, «Le zeugme et autres appariements incongrus».
Elle est heureuse de pouvoir dire qu’elle avait repéré, toute seule comme une grande, l’«hôtel chinois» et l’«allure confuse». Elle n’en est pas peu fière.
On vous pose des questions comme celles-ci : «Parlons de votre passion pour la géographie. D’où vient-elle ? Y voyez-vous un rapport avec la pensée postmoderne et le primat de l’espace, avec le Spatial Turn d’Edward Soja, par exemple ?»; « Est-ce que vous n’avez jamais pensé qu’il y avait beaucoup de noms, et qu’on pouvait par exemple choisir un nouveau nom pour peupler un peu plus son œuvre ?»; «C’est ce qui fait la transfictionnalité de votre œuvre, n’est-ce pas ?» On vous cite Umberto Eco (et sa «coopération interprétative»), Werner Herzog, Charles Gounod, Édouard Pailleron, Marcel Proust, Dante, Foucault (et son «hétérotopie»), Walter Benjamin et Georg Simmel (et leurs flâneurs). On vous cause «mort de l’auteur», «intertextualité», «autoparodie».
Pourtant, vous restez poli.
Il faut être Jean Echenoz pour avoir cette bienveillance, lui qui répondait récemment aux questions de la revue numérique En attendant Nadeau, à l’occasion de l’exposition parisienne qui lui est consacrée.
Morceaux choisis : «La psychologie des personnages ne m’intéresse pas»; «l’espace offre des histoires»; «je n’ai pas très envie de parler des choses heureuses».