L’Oreille tendue rougit. Deux fois, elle est devenue personnage de fiction (en quelque sorte).
La première fois, c’était en 2000, sous la plume de Bernard Andrès, dans l’Énigme de Sales Laterrière :
— Une rhétorique où élocution et invention rhétoriques s’entremêlent, une elocutio fondée sur l’encyclopédie des savoirs, toute une triade des figurae ad docendum, ad delectandum et ad movendum ! s’enflamme Bernier sous l’œil goguenard de Melançon.
Mais Marc-André n’a que faire des sourires en coin. Il persiste et signe en renchérissant sur les idées de son ancien professeur :
— Messieurs, ce n’est pas une université que nous devrions avoir dans la province, mais au moins deux ! Ou trois ? Une à Québec, pour détrôner le Séminaire, une autre à Montréal, pour damer le pion aux sulpiciens et, pourquoi pas, une autre aux Trois-Rivières ?
— Comme vous y allez, Maître Bernier ! lance d’Estimauville qui connaît la fougue et les ambitions de la jeunesse lettrée. Et où recruterions-nous nos enseignants par ici ?
— Mais n’en voilà-t-il pas un devant nous ? répond benoîtement Melançon.
— Eh bien, pourquoi pas, mon ami ? reprend l’autre. Vous à Montréal et moi aux Trois-Rivières.
— La devision [sic] du petit monde universitaire ! plaisante Gamelin (p. 518-519).
Sa deuxième transsubstantiation est plus récente. Dans Dixie (2013), de William S. Messier, elle lit :
Il y a même le vieux Melançon qui scande les vers de la chanson en rinçant le moteur de sa chainsaw (p. 139).
(Les lecteurs de l’École de la tchén’ssâ reconnaîtront l’allusion.)
Si jamais elle meurt, l’Oreille mourra heureuse.
[Complément du 6 septembre 2019]
L’ami et ex-collègue François Hébert publie Miniatures indiennes. Cela a beau se dire Roman, on y croise des êtres de chair(e). La scène se déroule pendant la période des initiations de début d’année :
Il y a du tapage dans le corridor. Des rois passent, des médecins sadiques, des collègues, des vampires au menton dégoulinant de ketchup, des bagnards enchaînés, des démarcheurs, les professeurs Melançon et Mélancon, des chiens forcés de japper, des clowns, des Hare Krishna, des mendiants, des courtisanes à demi nues (p. 65).
Le lecteur qui connaît l’Université de Montréal n’aura pas de mal à reconnaître l’Oreille dans le premier des deux M., et Robert Mélançon dans le second.
[Complément du 13 juin 2022]
L’Oreille a longtemps donné à l’Université de Montréal un cours d’histoire de la littérature. Elle y a aussi donné des cours de littérature française du XVIIIe siècle. Or, lisant l’Amour des maîtres (2011), de Mélissa Grégoire, elle tombe sur ces deux passages :
Aucun cours n’était aussi brillant, substantiel, provocant que celui de Julien Élie, aucun professeur ne lui arrivait à la cheville, sauf un peut-être qui semblait se passionner pour l’histoire littéraire mais dont l’enseignement, donné dans un grand amphithéâtre, avait quelque chose d’impersonnel (p. 102).
Le lendemain, dans le cours de Littérature du XVIIIe siècle, Louis s’est assis à côté de moi […]. […] tandis que le professeur Beauchamp entrait dans la classe, j’ai continué de chuchoter à son oreille : «À l’avenir, parle donc pour toi !» Le professeur s’est assis, en faisant craquer sa chaise, a ouvert son livre et a commencé à lire son exposé d’une voix monocorde : «Madame de Staël se méfie de la solitude, elle insiste sur la nécessité de la conversation…» (p. 127)
Une «voix monocorde», vraiment ?
Références
Andrès, Bernard, l’Énigme de Sales Laterrière, Montréal, Québec Amérique, 2000, 871 p.
Grégoire, Mélissa, l’Amour des maîtres, Montréal, Leméac, 2011, 245 p.
Hébert, François, Miniatures indiennes. Roman, Montréal, Leméac, 2019, 174 p.
Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.