Éloge du simple

Hier, en première page du Devoir : Gabriel Nadeau-Dubois «effectue une mineure en philosophie» à l’Université de Montréal. Effectuer une mineure ? Pourquoi pas, tout simplement, faire une mineure ? Ou s’est inscrit à une mineure ? Effectuer est de ces verbes qui révèlent ceux que l’on n’a pas voulu utiliser même s’ils font parfaitement l’affaire.

L’Oreille tendue ayant diffusé cette citation du Devoir sur Twitter, sa collègue @LucieBourassa a réagi en rapportant cet emploi d’effectuer à d’autres choix de nature semblable : problématique mis incorrectement pour problème, quitter pour partir, débuter pour commencer.

Dans ses «Dix commandements» (de rédaction et de présentation des devoirs universitaires), l’Oreille prône pour sa part un retour, quand cela s’applique, aux verbes être et avoir, mais ses élèves ont été formés à courir le synonyme (ou ce qui semble en tenir lieu) de ces verbes.

La langue médiatique et la langue scolaire se méfient de la simplicité. La langue publicitaire n’est pas en reste, qui est friande de préciosités lexicales. Un seul exemple : «Espaces de vie inédits sur le canal», proclame tel site, pour vendre ses condos près du Canal de Lachine (merci à @PimpetteDunoyer).

L’Oreille ne se leurre pas : effectuer le passage de la complication inutile à la simplicité bienvenue risque d’être bien difficile.

Transfert automobile

L’Oreille tendue, au volant, surveille ses angles morts depuis presque quarante ans. Elle sait qu’elle doit se méfier de cette «zone dans laquelle le tir, l’observation sont rendus impossibles (par un écran, etc.)» (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

Elle ne savait pas, jusqu’à tout récemment, que la même expression désignait dorénavant le fait d’avoir oublié quelque chose.

Elle a eu la puce à l’oreille quand, en séminaire, un de ses collègues a reconnu ne pas avoir couvert une question dans sa bibliographie; c’était resté «dans son angle mort».

Le Devoir du 4 mars lui donne à penser que ce sens de l’expression est relativement courant : «La professeure admet qu’un des angles morts de l’étude concerne la nouvelle surveillance critique instaurée par le Web» (p. B7).

Tout cela était manifestement resté dans l’angle mort de l’Oreille.

 

[Complément du 18 septembre 2016]

Exemple tiré du Devoir du 16 septembre 2016 : «Cela étant, je crois que la richesse de la diversité réside dans la faculté des uns d’ouvrir le regard des autres sur des phénomènes qui se situent dans leur angle mort» (p. A9).

Trouble de l’Oreille

L’Oreille tendue essaie d’être sensible aux modulations de la langue. Elle ne peut donc qu’être troublée quand d’autres signalent un phénomène qu’elle-même n’a pas remarqué.

Exemple : la popularité, dit-on, de l’expression dans le fond.

Cela a commencé avec @NathalieCollard :

«Pourquoi tout le monde commence ses phrases par “Dans le fond…” ? #observationdusamedi.»

Cela a continué avec @AMBeaudoinB et @Hortensia68 :

«@benoitmelancon Avez-vous déjà tendu votre oreille vers “dans le fond” ? Introduit le discours soigné des gens un peu mal à l’aise…» (@AMBeaudoinB).

«@AMBeaudoinB @benoitmelancon Depuis quelques années, lors des exposés oraux, le “dans le fond” est un fléau très répandu» (@Hortensia68).

«@Hortensia68 @benoitmelancon N’est-ce pas ? À chaque début de session, j’avertis mes étudiants que je le remarquerai. C’est une épidémie !» (@AMBeaudoinB).

Cela est de nouveau chez @NathalieCollard :

«J’écoute la radio. J’entends “Dans l’fond” aux deux minutes. Ce tic de langage est devenue une plaie.»

L’Oreille est inquiète. Elle a certes trouvé cette expression dans le blogue OffQc | Quebec French Guide et dans une vidéo célèbre de Solange te parle, «Solange te parle québécois». Pourtant, pour elle, ce n’est pas un «fléau», une «épidémie» ou une «plaie».

Serait-ce qu’elle devient dure de la feuille ?

P.-S. — Dans le fond, non : Solange ne te parle pas québécois.

 

[Complément du 9 mars 2013]

Commentaire, reçu par courriel, d’un professeur de cégep québecquois : «Je l’atteste : l’usage de “dans l’fond” est abusif chez nos étudiants du collégial, et ailleurs sans doute.» L’inquiétude de l’Oreille grandit.

 

[Complément du 28 septembre 2016]

Selon un correspondant de l’Oreille, la source du mal serait glandulaire.

Spin ta langue

Au Québec (et au-delà), on a beaucoup entendu parler ces derniers jours du zèle de quelques fonctionnaires de l’Office québécois de la langue française. (On se prend parfois à penser que l’OQLF est l’Office québécois de la langue fantasmée.)

Il a d’abord été question d’un restaurateur auquel on reprochait d’avoir, pour parler de cuisine italienne, utilisé le mot «pasta». (Voilà pourquoi la levée de boucliers qui a suivi l’annonce de cet écart linguistique s’est appelée le «pastagate».) Un autre, a-t-on appris depuis, dans sa brasserie d’inspiration parisienne, avait désigné ses toilettes par «W.-C.» (pour le parisianisme «water-closets») et ses steaks par… «steaks» (au lieu de «biftecks»); cela n’a pas été apprécié. Pas plus, chez un troisième, que le fait de trouver le mot «exit» sur une décoration murale.

Le zèle des fonctionnaires concernés a été condamné par tous, y compris par l’OQLF et par la ministre responsable de la Charte de la langue française, Diane De Courcy.

En revanche, sauf erreur, on n’a pas entendu la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Marie Malavoy, rabrouer les fonctionnaires qui ont autorisé au moins une école montréalaise à participer au programme «SPIN ton stress». Elle aurait dû.

Le recours à l’anglais et au tutoiement intempestif, à l’école, est bien plus déplorable que la présence d’un mot italien sur le menu d’un restaurant italien.

Marguerite Blais, députée de la circonscription Saint-Henri-Sainte-Anne

Prémonition ?

Le Sommet sur l’enseignement supérieur du gouvernement du Québec s’est terminé tout à l’heure. Qu’aura-t-il enfanté, outre un mécontentement généralisé ? Des chantiers.

En 2004, on pouvait lire ceci dans le Dictionnaire québécois instantané, à l’article «chantier» : «Forme conviviale du sommet. Chantier sur l’éducation» (p. 38).

Plus ça change, moins c’est différent.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture