Le zeugme du dimanche matin et d’André Major

André Major, l’Hiver au cœur, éd. de 1992, couverture

«Il passa l’après-midi à lire, adossé à la tête du lit, des pages de la correspondance de Flaubert, malgré l’envie très forte qu’il avait de se rendre chez Huguette pour prendre une bouchée et surtout de ses nouvelles.»

André Major, l’Hiver au cœur, Montréal, Bibliothèque québécoise, 1992, 93 p., p. 41. Présentation de Jean-François Chassay. Édition originale : 1987.

Merci à notre fournisseur de zeugmes québecquois.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Ah ! Les jeunes !

Le discours commun le dit depuis au moins vingt-cinq siècles : «Le niveau baisse.» (C’est un peu plus compliqué que cela.) Les premiers coupables de cette constante dégénérescence seraient les jeunes (qui que soient «les jeunes»). Ce serait particulièrement le cas en matière d’écriture et de langue.

Dans la livraison du 5 avril 2014 de l’émission radiophonique Place de la toile, ci-devant diffusée sur France Culture, Élisabeth Schneider, qui a consacré une thèse à ce sujet, démonte ces idées reçues à partir d’une étude des «usages de l’écrit de lycéens» français. Elle aborde le numérique (SMS, Facebook), mais pas que.

En vrac (et en oubliant plein de choses passionnantes)…

«Les jeunes» n’ont jamais autant écrit.

«Les jeunes» ont une réflexion sur leurs modes d’écriture.

L’écriture numérique des «jeunes» influence — continuité, contamination — leur écriture papier.

L’écriture papier des «jeunes» influence — bis — leur écriture numérique.

«Les jeunes» pratiquent l’«écriture de soi».

«Les jeunes» font parfaitement la distinction entre la langue qu’ils utilisent dans les situations informelles entre eux et la langue exigée socialement, notamment par l’école. Cette remarque, fondée sur une étude du Centre national de la recherche scientifique qu’elle cite brièvement en fin d’émission (celle-ci peut-être ?), rejoint les conclusions de David Crystal (2008) et d’Anaïs Tatossian (2010).

À écouter ici.

P.-S. — «Les jeunes» se soumettent volontiers à l’«effet Cyrano» (écrire pour un autre). Rostand au goût du jour.

 

[Complément du 5 janvier 2015]

La Presse+ du 1er janvier 2015 présente les services d’«assistance à la séduction» de Guillaume Dumas du site Datective.ca : «“Tout le monde est pareil sur ces sites. Il faut savoir se démarquer. Comprendre ce qui fait rire les femmes, moi, je fais ça 40 heures par semaine, alors c’est sûr que j’ai un peu d’avance !”, poursuit cet “aspirant Cyrano” du web.»

Cyrano sur le Web

 

Références

Bernicot, J., A. Goumi, A. Bert-Erboul et O. Volckaert-Legrier, «How do Skilled and Less-Skilled Spellers Write Text Messages ? A Longitudinal Study», Journal of Computer Assisted Learning, 17 mars 2014. http://onlinelibrary.wiley.com/enhanced/doi/10.1111/jcal.12064/

Clément-Schneider, Élisabeth, «Économie scripturale des adolescents : enquête sur les usages de l’écrit de lycéens», Caen, Université de Caen, thèse de doctorat, octobre 2013, 503 p. http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00911228

Crystal, David, Txtng : The Gr8 Db8, Oxford, Oxford University Press, 2008, 256 p. Ill.

Tatossian, Anaïs, «Les procédés scripturaux des salons de clavardage (en français, en anglais et en espagnol) chez les adolescents et les adultes», Montréal, Université de Montréal, thèse de doctorat, novembre 2010, xxviii/214 p. https://doi.org/1866/6843

Religion et onomastique du 450

L’Oreille tendue ne veut pas se vanter, mais il lui arrive de quitter son île et de s’aventurer dans le 450. Pas plus tard que l’autre jour, elle s’est ainsi retrouvée dans une église de la Couronne nord pour y assister à un baptême. (Ce serait trop long de vous expliquer.)

Elle en tire deux remarques (il faut bien que le 450 serve à quelque chose).

Satan, si l’Oreille en croit le diacre-clown qui officiait (le mot est fort), existerait. Il faudrait en effet y renoncer publiquement. (Dans un autre baptême, tenu il y a cinq lustres, un prêtre a demandé à l’Oreille de renoncer à Satan «et à ses pompes». Il attend toujours sa réponse.) Y a-t-il d’autres moments dans la liturgie où il est question aujourd’hui de Satan ? L’Oreille s’interroge.

Comme il fallait bien s’occuper, elle en a profité pour lire le Semainier paroissial. Quelle belle mine onomastique ! Une brève étude de cet édifiant document révèle que la lettre a est de toutes la plus populaire dans l’immédiate banlieue francophone montréalaise, tant chez les garçons (deux Noah, Mikaël, Dilan, Mattéo, Malik, Xavier) que chez les filles (Camille, Alessia, Koralie, Julianna, deux Léa, Charlie, Rosalie, Annabella, Camélia, Jade, Adèle). En matière de consonnes, on les aime dures, c ou k (Camille, Mikaël, Koralie, Kyle, Loïc, Camélia, Malik). Les noms avec trait d’union sont rares (une seule occurrence : Emma-Rose), ce qui ne veut pas dire que les noms composés le soient (Mélyanne; parmi les parents, une Alexianne). Le prénom favori de l’Oreille ? Makayla : trois a, un k.

C’est une fille.

P.-S. — À côté de ces petits noms fleuris, il y avait aussi une Florence, un Olivier, une Émilie. Cela détonnait.

 

[Complément du 14 janvier 2016]

Qu’aurait pensé Diderot de cette vague onomastique, lui qui écrivait à Grimm, le 6 novembre 1769, qu’«on abaisse l’âme de ses enfants en leur donnant des noms bas et saugrenus» ?

 

Référence

Diderot, Denis, Correspondance, Paris, Éditions de Minuit, 1955-1970, 16 vol. Éditée par Georges Roth, puis par Jean Varloot.

Liste de (parfois vieilles) lectures recommandées

Il y a les choses que l’Oreille tendue lit tout de suite. Puis il y a les choses qu’elle envoie sur la plateforme Readability, histoire de les lire plus tard sur son iPad — et qu’elle ne lit pas tout de suite (euphémisme). Au cours des derniers jours, elle y est retournée voir. D’où les dix suggestions ci-dessous, pas toutes fraîches, dans le désordre et anglais (pour la plupart).

• Pour dialoguer, il faut un terrain argumentatif commun. Démonstration de Malcolm Gladwell à partir de la tuerie de Waco en 1993.

• Pour créer la plus grande bibliothèque numérique publique aux États-Unis, la Digital Public Library of America (DPLA), il faut quarante personnes inspirées par le XVIIIe siècle. Récit de l’historien Robert Darnton.

• Pour animer les villes, il faut une volonté politique. Proposition du philosophe Daniel Weinstock.

• Pour enseigner la création littéraire, il faut réfléchir hors des lieux communs. Mise au point de Laure Limongi.

• Pour enseigner la création littéraire, il faut peut-être refuser d’enseigner la création littéraire. Plaidoyer de Kenneth Goldsmith. Où il est également question de plagiat.

• Pour voir le Web créer (presque) tout seul des identités, il faut y mettre du temps : dix ans, par exemple. Expérience, à partir de gmail, de Matthew J. X. Malady.

• Pour voir Facebook créer tout seul des profils des gens qui n’y ont pas de compte, il faut connaître le fonctionnement de la bête. Visite guidée (glaçante) de Natasha Lomas.

• Pour comprendre ce qui distingue le courriel et la lettre, il faut ne pas avoir peur des paradoxes. Présentation de celui de Shaun Usher.

• Pour ne rien rater de la Coupe du monde 2014, il faut être sensible aux choix vestimentaires des entraîneurs. Comparaisons d’Ian Crouch.

• Pour se rendre compte de la caducité de certaines pratiques universitaires, il faut participer à des colloques. Questions et réponses de Larry Cebula.

• Pour écrire, à l’université, il faut (parfois) écrire des choses qu’on ne publiera jamais. Conseil (utile) de Nate Kreuter.

P.-S. — Il y a plusieurs textes tirés du magazine The New Yorker ? Oui.

Citation dictionnairique du jour

Voltaire, buste

 

«[Un] dictionnaire sans citations est un squelette» (Voltaire, lettre à Duclos, 11 août 1760, Best D 9135, vol. 106, p. 42).

Voltaire, Correspondence and Related Documents, Oxford, The Voltaire Foundation, coll. «The Complete Works of Voltaire», 1968-1977, vol. 85 à 135. Édition définitive par Theodore Besterman. Abréviation : Best D.