Retour inattendu

Cinquante jeunes militants du Parti québécois et du Bloc québécois viennent de rédiger une lettre dans laquelle ils mettent en cause certains choix en matière de défense de l’idée de souveraineté politique du Québec. Le Devoir l’a publiée lundi.

Un des signataires, interviewé à la radio de Radio-Canada hier matin, plutôt que de faire comme tout le monde depuis une vingtaine années et de dire souveraineté, a parlé d’indépendance. Serait-ce l’effet de l’Halloween ? Voilà un fantôme qu’on n’avait pas vu depuis longtemps.

 

[Complément du 4 novembre 2010]

Semaine faste ! Dans le Devoir du 3 novembre, la réponse de 136 militants aux 50 signataires de la lettre : «Gouverner en souverainiste et faire l’indépendance» (p. A9).

 

[Complément du 8 avril 2013]

Belle-mère de son état, Bernard Landry est cité dans le Devoir de ce matin : «Utilisons les bons mots. Regardons les choses en face : nous voulons l’indépendance nationale» (p. A3), aurait-il déclaré dans le cadre des États généraux sur… la souveraineté. L’ancien premier ministre du Québec lirait-il l’Oreille tendue ? (Il y a longtemps que celle-ci s’interroge sur la disparition d’indépendance au bénéfice de souveraineté.)

 

[Complément du 11 février 2014]

Peut-être y aura-t-il bientôt des élections au Québec. Le Parti québécois, en tout cas, est déjà en campagne. Il a lancé récemment une publicité intitulée «L’indépendance, ça dépend de nous».

Interprétation du Conseil de la souveraineté (!) : «Son président, Gilbert Paquette, croit qu’avec ce choix sémantique le PQ exprime plus clairement son objectif qu’avec le terme souveraineté» (la Presse, 10 février 2014, p. A7).

Interprétation du parti : «Le président du PQ, Raymond Archambault, soutient, lui, que les mots souveraineté et indépendance sont des synonymes […]» (ibid.).

Voilà qui est plus clair. Ou pas.

Aveu matinal, avec paronomase (détails)

Marie-Pascale Huglo, la Respiration du monde, 2010, couverture

L’Oreille tendue n’a pas toujours été l’élève qu’elle aurait dû être. De tel cours de littérature suivi au cégep, elle ne garde presque aucun souvenir (intellectuel), sauf celui de l’insistance du professeur à mettre en lumière une paronomase de Jacques Ferron : folie / fiole. (Ça se trouve dans «Retour à Val D’Or».)

Ce souvenir refait surface à la lecture du plus récent roman de Marie-Pascale Huglo, la Respiration du monde : «Rosie, elle, saurait devenir sorcière. Elle saurait mettre de l’ordre dans la remise et de la folie dans les fioles, corser l’eau-de-vie, rechercher les plantes rares, seulement voudrait-elle cueillir et planter au rythme des saisons, laisser s’épanouir les ferments, épouser le cycle des métamorphoses ?» (p. 85)

Même trente-cinq ans plus tard, devenue professeure à son tour, une élève peut faire revivre quelque chose d’un cours suivi distraitement.

P.-S. — Passant du roman de Marie-Pascale Huglo au «e-carnet» de Catherine Mavrikakis, l’Éternité en accéléré, l’Oreille tombe sur ceci :

C’est pourquoi, dans mes cours, j’ai des sentiments ambigus, qui vont du courroux à la bienveillance amusée, lorsque les étudiants se lèvent, sortent, arrivent en retard, partent plus tôt. Je ne me permettrais jamais de faire cela, parce que l’on m’a appris la politesse, mais je ne soupçonne pas ceux et celles qui ne tiennent pas en place ou qui regardent leurs courriels en faisant semblant de prendre des notes de ne pas m’écouter. Je préfère penser que, pour certains, la compréhension demande une «écoute flottante», une écoute qui n’est pas fidèle, qui se disperse pour mieux revenir à son objet toujours fuyant, impossible (p. 42-43).

Cela va dans le même sens que ce que l’Oreille raconte, ou du moins elle veut le croire, et la rassure.

 

[Complément du 10 août 2018]

Et de trois : «la solitude est l’aliment / de mes nuits / de mes songes / de mes livres / de mes pensées / de mes folies en fioles / de dulcine chimique signifié millésime» (Yvon d’Anjou, Quelques arpents de ruines, p. 33).

 

Références

Anjou, Yvon d’, Quelques arpents de ruines. Poésie, Montréal, Les Éditions de l’Étoile de mer, 2016, 136 p. Préface de Lucien Francœur.

Ferron, Jacques, «Retour à Val D’Or», dans Contes du pays incertain, Montréal, Éditions d’Orphée, 1962. Repris dans Contes. Édition intégrale. Contes anglais. Contes du pays incertain. Contes inédits, Montréal, HMH, coll. «L’arbre», 1976 (1968), p. 11-12.

Huglo, Marie-Pascale, la Respiration du monde. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 165 p.

Mavrikakis, Catherine, l’Éternité en accéléré. E-carnet, Montréal, Héliotrope, «Série K», 2010, 278 p.

Übercapitale ?

L’Oreille tendue l’a dit à plusieurs reprises depuis le 24 juillet 2009, en multipliant les exemples : le Québec aime tellement les capitales qu’il en compte plusieurs.

Il y a pourtant plus grand et plus fort que la capitale : il y a la métropole.

Simon Brault, le président de Culture Montréal, s’inquiétait cette semaine du fait que «Montréal métropole culturelle» reste encore à construire. Il a écrit là-dessus une lettre ouverte publiée dans le Devoir (15 septembre 2010, p. A11) et sur Cyberpresse, en plus de donner une entrevue à Nathaëlle Morissette (la Presse, 15 septembre 2010, cahier Arts et spectacles, p. 6).

Pour lui, la capitale des capitales — la métropole — est à faire.

Si on y arrive, les capitales perdront nécessairement de leur lustre, repoussées dans l’ombre par plus grand qu’elles. Si on n’y arrive pas, elles seront toujours là pour nous consoler de notre absence de grandeur. N’est-ce pas à cela qu’elles servent, d’abord et avant tout ?

Âme nordique

C’est affaire de latitude : les Québécois seraient proches des Scandinaves. Cela explique peut-être pourquoi ils aiment tant les sagas.

Une fois de plus, celle des wagons de métro de Montréal retient l’attention. Dans deux journaux, le même texte, une lettre d’opinion, sous des titres différents : «Pourquoi cette saga ?» (la Presse, 14 juillet 2010, p. A14); «La saga des voitures de métro» (le Devoir, 14 juillet 2010, p. A7). À la radio de Radio-Canada, le même jour : «cette saga-».

On a les grands récits qu’on mérite.

Fil de presse 007

Logo, Charles Malo Melançon, mars 2021

Le numérique a besoin de mots.

Philip B. Corbett tient le blogue After Deadline du New York Times. Il y conseille les journalistes, et les lecteurs, sur les questions de langue («grammar, usage and style»). Il recommandait récemment d’utiliser tweet — le substantif et le verbe — avec circonspection. (On le lui a reproché.)

En janvier dernier, le secrétaire d’État français chargé de la coopération et de la francophonie a lancé le concours «Francomot», rapporte le Monde du 30 mars : «les étudiants et élèves étaient invités à envoyer par mail [!!!] des équivalents français à cinq termes anglophones : “chat”, “buzz”, “tuning”, “newsletter” et “talk”». Les gagnants ? (On vous reprochera leur utilisation.) Ramdam (buzz), bolidage (tuning), éblabla et tchatche (chat), infolettre (newsletter) et débat (talk).

Comme à chaque année, les dictionnaires annoncent l’entrée de mots dans leur nomenclature. (On ne saurait le leur reprocher.) Le Petit Larousse accueille, entre autres nouveautés lexiconumériques, agrégateur, carnet d’adresses, Google, nerd, pop-up et Wikipédia. Dans le Petit Robert ? Geek et réalité augmentée.

La langue bouge, comme de toute éternité elle a bougé.