Divergences transatlantiques 021

Votre gâteau est bon ? Au Québec, il pourra être écœurant. En France, ce sera une tuerie.

Autrement dit, ce qui est dégoûtant peut ravir et l’assassinat peut donner la vie.

***

Brèves remarques sur ces deux mots.

Dans la Belle Province, le mot écœurant, quand il est mélioratif, se prononce souvent é—cœu—rant, avec trois accents toniques. Exemple d’utilisation : «[Les] photos sont écœurantes» (la Presse, 10 août 2001).

Selon des sources parisiennes proches de l’Oreille tendue, la tuerie est fréquemment alimentaire, mais pas seulement. Ce qu’elle désigne est génial et tout le monde se l’arrache.

Le jour même où l’Oreille découvre l’existence de ce mot, elle lit ceci chez François Bon : «Puis l’autre tuerie (mais pourquoi les autres ne le font pas ? – ni même iPad, même si fonctions proches…), l’adresse e-mail attachée à votre bécane.» Merci, François, de la confirmation.

 

[Complément du 8 décembre 2018]

Le toujours excellent Michel Francard consacre sa chronique de la semaine à «C’est une tuerie».

 

[Complément du 21 décembre 2023]

Une déclaration d’un gardien de but des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, publiée aujourd’hui dans le quotidien montréalais la Presse+, pourrait étonner : «Je suis juste vraiment bien quand je suis à la maison avec ma famille. C’est tout le temps simple. On a du fun, on s’écœure. On est vraiment tissés serré

S’écœurer serait donc positif : «Je suis juste vraiment bien»; «On a du fun.»

Dans ce contexte, s’écœurer pourrait avoir comme synonyme tirer la pipe : il s’agit bien de se mettre au défi, de se moquer, de se narguer, mais toujours amicalement.

Ne le prenez pas en mauvaise part.

Divergences transatlantiques 020

Soit la citation suivante, tirée de «Le voleur et le roi», de Pierre Lefevbre :

Comme beaucoup de personnages qui peuplent la mythologie grecque, le roi Midas n’est plus tellement une référence aujourd’hui. C’est dommage, surtout que son histoire commence par une brosse. Une vraie, une grosse (p. 55-56).

Qu’est-ce que cette brosse qui serait à l’origine d’un mythe grec ? S’agit-il d’une variété de celles dont parle le Petit Robert (édition numérique de 2010) ?

1. Ustensile de nettoyage, formé d’un assemblage de filaments (poils, fibres végétales ou synthétiques, fils métalliques) fixés sur une monture perpendiculaire.

2. Pinceau de peintre.

3. Balai.

4. Rangées de poils sur les pattes ou le torse de certains insectes (notamment pour recueillir le pollen).

Que nenni. Revenons au texte de Pierre Lefebvre :

C’est Silène, un satyre, un soûlon, le père adoptif de Dionysos qui la prend (p. 56).

Récapitulons : on prend une brosse; cela arrive à un soûlon. Voilà la clé de l’affaire : qui prend une brosse, donc, s’enivre. Même chez les Grecs.

 

Référence

Lefebvre, Pierre, «Le voleur et le roi. Troisième confession d’un cassé», Liberté, 295 (53, 3), avril 2012, p. 48-59. https://id.erudit.org/iderudit/66337ac

Exercice de traduction du mardi matin

Chad Harbach, The Art of Fielding, 2011, couverture

Henry Skrimshander, l’arrêt-court des Harpooners du collège Westish, dont on disait qu’il était destiné à une brillante carrière, devient incapable, du jour au lendemain, de lancer correctement la balle. C’est du baseball, et ça se passe dans le roman, déjà évoqué ici, The Art of Fielding de Chad Harbach (2011).

Skrimshander souffrirait de la «Steve Blass disease». Cette maladie, à laquelle un lanceur des Pirates de Pittsburgh a donné son nom, touche des gens, notamment des sportifs, qui, pour une raison inconnue, ne parviennent plus à faire ce à quoi ils excellaient.

Le joueur des Harpooners prend progressivement conscience de son mal. Il en arrivera à ne plus du tout lancer la balle, mais, au départ, il commet surtout des erreurs : ses lancers sont trop faibles ou trop puissants, trop hauts ou trop bas.

Un jour, il oblige son joueur de premier but à sauter dans les airs pour attraper un lancer imprécis : Rick O’Shea — qui ne commettra heureusement pas de ricochet — «snow-coned the ball with the fringe of his extra-long mitt».

Traduction littérale : il attrape la balle à l’extrémité («the fringe») de son gant allongé de premier but («his extra-long mitt»); la balle, blanche, se détache du bout du gant, comme une boule de glace de son cornet («snow-coned»).

Quelqu’un veut se risquer à une traduction moins littérale ?

P.-S. — Une autre occurrence ? «He snow-coned the near half of the ball […].»

 

Référence

Harbach, Chad, The Art of Fielding. A Novel, New York, Boston et Londres, Little, Brown and Company, 2012. Édition numérique. Édition originale : 2011.

Fil de presse 013

Logo, Charles Malo Melançon, mars 2021

Des livres sur la langue ? Il y en a pour tous les goûts.

Pour ceux qui se sentent menacés : 11 + 1 propositions pour défendre le français de Xavier Combe (Paris, L’Harmattan, 2011, 68 p.).

Pour ceux qui n’ont pas peur : Aventures et mésaventures des langues de France d’Henriette Walter (Paris, Honoré Champion, coll. «Champion classiques. Références et dictionnaires», 5, 2012, 304 p. Préface de Jean Pruvost).

Pour ceux qui aiment les lettres qui bougent : Anagrammes renversantes d’Étienne Klein et Jacques Perry-Slakow (Paris, Flammarion, 2011, 105 p.).

Pour ceux qui sont attentifs à leur corps : Histoire des expressions populaires relatives à l’anatomie, à la physiologie et à la médecine d’Édouard Brissaud (Genève, Slatkine reprints, 2012, 350 p. Réimpression de l’édition de Paris, 1899).

Pour ceux qui veulent bien prononcer : De la prononciation française depuis le commencement du seizième siècle, d’après le témoignage des grammairiens de Charles Thurot (Genève, Slatkine reprints, 2012, 2 vol., 1540 p. Réimpression de l’édition de Paris, 1881-1883).

Pour ceux qui défendent la francophonie : Privilège et rayonnement du français du XVIIIe siècle à aujourd’hui d’Axel Maugey (Paris, Honoré Champion, coll. «Champion Essais», 12, 2012, 280 p.).

Pour ceux qui ont voté ou qui vont voter : les Élections ou comment «s’eslire quelque manière de vivre» ? de Jean Pruvost (Paris, Honoré Champion, coll. «Champion. Les mots», 2012, 144 p.); Paroles, paroles. Formules de nos politiques de Frédéric Pommier (Paris, Seuil et France inter, 2012, 202 p.); les Mots du spectacle en politique du collectif Théâtrocratie (Montreuil-sous-Bois, Éditions Théâtrales, 2012, 94 p.).

Pour ceux qui savent ce que ponctuer veut dire : Esthétique de la ponctuation d’Isabelle Serça (Paris, Gallimard, 2012, 307 p.).

Pour ceux qui surfent incognito : Se nommer pour exister. L’exemple du pseudonyme sur Internet de Marcienne Martin (Paris, L’Harmattan, coll. «Nomino ergo sum», 2012, 220 p.).

Pour ceux qui causent «américain» : Dictionary of American Regional English (cinquième et dernier volume, Cambridge, Harvard University Press, 2012, 1296 p. Ill.).

Pour ceux qui veulent se rappeler le bon vieux temps : Manuel des difficultés les plus communes de la langue française, adapté au jeune âge, et suivi d’un recueil de locutions vicieuses de Thomas Maguire (Québec, Fréchette & cie, 1841; édition numérique, Project Gutenberg, 2012). Dans un ouvrage récent, Chantal Bouchard a longuement analysé ce manuel (Méchante langue. La légitimité linguistique du français parlé au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Nouvelles études québécoises», 2012, 178 p.).

Pour ceux qui apprécient l’anaphore : Anaphore et anaphoriques : variété des langues, variété des emplois, collectif sous la direction de Camille Denizot et Emmanuel Dupraz (Rouen, Publications des universités de Rouen et du Havre, coll. «Cahiers de l’ERIAC», 4, 2012, 370 p.).

Pour ceux qui veulent apprendre de nouvelles langues : From Elvish to Klingon. Exploring Invented Languages, collectif sous la direction de Michael Adams (New York, Oxford University Press, 2011, 304 p.).

Pour ceux qui tendent l’oreille : Mots en toc et formules en tic : petites maladies du parler d’aujourd’hui de Frédéric Pommier (Paris, Seuil, coll. «Points. Le goût des mots», P2721, 2011 [2010], 216 p.).

No problemo

Le problème irrite. Or personne n’aime être irrité. Solution : à défaut de faire disparaître le problème (la chose), masquer le mot.

En France, cela a donné souci, comme dans Y a pas de souci ou sur Twitter.

Du problème et du souci

Au Québec, problème a été éradiqué depuis longtemps. Problématique a pris sa place. On y trouve les problématiques «des punaises de lit», «de handicap», «du poids» (le Devoir, 25 janvier 2007, p. A7), «des commotions cérébrales» (la Presse, 22 octobre 2009, cahier Sports, p. 1).

L’école de la Belle Province raffole de la problématique.

«Cette rencontre de parents s’adresse principalement aux parents dont les enfants éprouvent des difficultés académiques ou une quelconque problématique» (Commission scolaire de Montréal, 4 février 2004).

«La création de ce nouveau cours vise à introduire l’intervenant à la problématique de l’évaluation des besoins de l’individu visé par l’intervention afin d’adopter les approches permettant de bien répondre aux besoins identifiés par l’évaluation. Également l’intervenant est fréquemment mis en contact avec des rapports d’évaluation. Il importe qu’il soit outillé pour qu’il puisse s’approprier leur contenu» (Université de Montréal, mars 2004).

Le mot a même envahi le vocabulaire de la plomberie. En 2010, l’Oreille tendue avait chez elle un plombier ennuyé par un conduit («Ma problématique, c’est ce tuyau-là»). Le 30 août de la même année, sur Twitter, @Ant_Robitaille rapportait une phrase entendue dans la salle d’audience de la commission Bastarache : «On a une problématique de toilette. Ça prendrait un débouche.»

Jusqu’à hier, l’Oreille ignorait qu’on pût «ressentir une problématique». Pourtant, c’était écrit dans le journal : «Dix problématiques ressenties par les nouveaux entrepreneurs» (la Presse, 30 avril 2012, cahier Affaires, p. 2).

Dont acte.

P.-S. — Problématique sévit aussi dans l’Hexagone. Autant qu’au Québec ? L’Oreille ne le croit pas, mais elle peut se tromper.

 

[Complément du 11 décembre 2022]

Souci est aussi usité au Québec. Exemple récent et assez spectaculaire, tiré d’un tweet de Pierre-Yves Lord :

https://twitter.com/PYLord/status/1601779913300004864