Guerre ouverte ?

À la une du Journal de Québec, le 6 janvier 2010 : «Montréal capitale du BS». Traduction : «Montréal capitale du Bien-être social».

Bien-être social ? Il s’agit d’une des appellations de l’aide gouvernementale québécoise aux démunis. Dans le langage bureaucratique, elle a disparu, remplacé par aide sociale. Dans la langue courante, bs reste populaire, tant pour désigner l’aide sociale que les personnes qui en bénéficient.

La Vieille Capitale, Québec, serait-elle en train d’attaquer celle qu’elle imagine être sa rivale, Montréal ?

Pour un vindictionnaire

Jean Dion, chroniqueur au Devoir, tient blogue depuis le 18 novembre 2009. Sous le titre «C’était bien mieux dans le temps», il fait dans la nostalgie : «irrécupérable supporter du passé, [il] se penche sur le temps qui fuit, inexorablement, mais qu’il aime pareil parce que ce n’est pas de sa faute (au temps, pas à Jean Dion)».

Ces jours-ci, il propose à ses lecteurs les premières entrées de son «vindictionnaire». (Pourquoi «vindictionnaire» ? Réponse : «je propose que nous nous concoctions notre propre répertoire pour nous venger de ces contrariétés qui se cachent derrière un anonymat trop commode».)

Son modèle est le Baleinié : dictionnaire des tracas, de Christine Murillo, Jean-Claude Leguay et Grégoire Oestermann, cette contribution à la néologie contemporaine dont il a déjà été question ici.

Premières entrées du vindictionnaire dionesque : gabuche, abaglou, fouchaner et, bien sûr, hordu(e).

Si l’on se fie aux commentaires à la suite de chacune des propositions, les lecteurs en redemandent.

Résolution du nouvel an

L’Oreille tendue ne prend pas de résolution du nouvel an, mais cela ne l’empêche pas d’en suggérer aux autres, par exemple aux dirigeants du secteur radio de la Société Radio-Canada. La voici : que l’on y étouffe dans l’œuf la pratique du tutoiement en ondes.

Pendant longtemps, le tutoiement a été absent de la langue radio-canadienne, à l’exception bien évidemment des dramatiques et, parfois, des émissions sportives (l’élégance des hockeyeurs devant les micros est inégalement répartie). Ce choix est parfaitement illustré les fins de semaine quand les Garneau, Richard et Stéphane, le père et le fils, se vouvoient en ondes, alors qu’on peut croire que ce n’est pas le cas le reste du temps. C’est la tradition à la SRC : la distance, la politesse — le vouvoiement.

Depuis quelque temps, ça se gâte. La semaine dernière, pipolisation oblige, Catherine Perrin et Isabelle Boulay n’avaient que le tu à la bouche, de même que Patrick Masbourian et un de ses collaborateurs. Le cas le plus extrême est celui de Dominique Poirier, dont le passage de la chaîne télévisée d’information continue RDI à la radio de la Première chaîne de Radio-Canada s’est accompagné d’une montée en flèche de la deuxième personne du singulier. À l’écouter, on a l’impression que son émission est enregistrée dans sa cuisine.

On s’étonne devant pareille transformation de la langue à la SRC. Sans être le sanctuaire de la correction linguistique que l’on imagine chez certains, c’était malgré tout un lieu où l’on était tenu à un certain nombre de règles, dont le refus de la familiarité. Contrairement au pompiste, à la caissière ou à quelques-uns des étudiants de l’Oreille, on savait, chez les annonceurs de Radio-Canada, qu’on ne tutoie pas tout le monde en tout temps. Cela est-il en train de changer ?

Il est vrai que l’on ne devrait peut-être plus s’étonner de rien d’une société d’État qui nous permet de tout savoir des érections de Paolo Noël.

Le temps (maudit) des rétrospectives

La fin d’année entraîne toujours sa foultitude de rétrospectives. Ces jours-ci, il y en a partout, pour 2009 comme pour l’ensemble des années 2000. La langue n’y échappe pas.

L’Oreille tendue a déjà signalé la liste des catchphrases et buzzwords de 2009 du New York Times, de même que les mots de l’année des éditeurs du dictionnaire Merriam-Webster (to admonish) et d’Oxford University Press USA (to unfriend).

Patrick Lagacé, sur son blogue de cyberpresse.ca, a organisé un sondage : corruption serait le mot de l’année 2009 au Québec.

Le Globe and Mail propose ses «mots de la décennie» ici, prononciation à l’appui. Comme on le verra — on l’entendra —, beaucoup de ces mots sont liés à l’air du temps technologique. Attention : site très mal foutu.

The New Yorker cherche — sans succès — une expression pour résumer les années 2000, «this unnameable decade». Le magazine ne doit pas connaître ego.com, la réponse de Céline Harvey à un concours organisé par Marie-France Bazzo en 2004 avec exactement le même objectif.

Le Devoir y va d’une entreprise différente : elle a choisi de consacrer un article par jour aux «Objets de 2009». Le premier, celui du 28 décembre, a le mérite de rappeler que certains de ces objets ont une dimension linguistique plus forte que d’autres : la cravate du criminel à cravate — la variété locale du criminel en col blanc — a pris un nouveau sens à cause des fraudes financières des dernières années; cet accessoire désuet de l’uniforme masculin a dorénavant fort mauvaise presse.

La contribution de l’Oreille à l’entreprise rétro-anthologique pour la décennie écoulée ? Elle tiendrait en un titre d’article : «Le modèle québécois : le Québec se veut un leader au niveau du festival.»