L’Oreille tendue ne prend pas de résolution du nouvel an, mais cela ne l’empêche pas d’en suggérer aux autres, par exemple aux dirigeants du secteur radio de la Société Radio-Canada. La voici : que l’on y étouffe dans l’œuf la pratique du tutoiement en ondes.
Pendant longtemps, le tutoiement a été absent de la langue radio-canadienne, à l’exception bien évidemment des dramatiques et, parfois, des émissions sportives (l’élégance des hockeyeurs devant les micros est inégalement répartie). Ce choix est parfaitement illustré les fins de semaine quand les Garneau, Richard et Stéphane, le père et le fils, se vouvoient en ondes, alors qu’on peut croire que ce n’est pas le cas le reste du temps. C’est la tradition à la SRC : la distance, la politesse — le vouvoiement.
Depuis quelque temps, ça se gâte. La semaine dernière, pipolisation oblige, Catherine Perrin et Isabelle Boulay n’avaient que le tu à la bouche, de même que Patrick Masbourian et un de ses collaborateurs. Le cas le plus extrême est celui de Dominique Poirier, dont le passage de la chaîne télévisée d’information continue RDI à la radio de la Première chaîne de Radio-Canada s’est accompagné d’une montée en flèche de la deuxième personne du singulier. À l’écouter, on a l’impression que son émission est enregistrée dans sa cuisine.
On s’étonne devant pareille transformation de la langue à la SRC. Sans être le sanctuaire de la correction linguistique que l’on imagine chez certains, c’était malgré tout un lieu où l’on était tenu à un certain nombre de règles, dont le refus de la familiarité. Contrairement au pompiste, à la caissière ou à quelques-uns des étudiants de l’Oreille, on savait, chez les annonceurs de Radio-Canada, qu’on ne tutoie pas tout le monde en tout temps. Cela est-il en train de changer ?
Il est vrai que l’on ne devrait peut-être plus s’étonner de rien d’une société d’État qui nous permet de tout savoir des érections de Paolo Noël.
Cette œuvre est sous Licence Creative Commons Internationale Attribution-Pas d'Utilisation Commerciale 4.0.
Un autre phénomène de familiarité mal placée semble s’étendre: celui des anciens journalistes devenus politiciens (ou d’autres femmes et hommes publics) qui s’adressent aux journalistes (anciens collègues ou amis) en utilisant leur prénom. Jean-François Lisée, devenu minitre(s), répond à l’animateur de Pas de midi sans info: « Bonjour Michel… » Il aurait au moins pu dire Bonjour Michel C. Auger. Ça ne va pas jusqu’au « tu », mais l’effet est le même. Si des ministres sont copains-copains avec des journalistes, on aimerait bien le savoir (ça oui!) mais sans être obligé de l’entendre.