Divergences transatlantiques 057

Un Dictionnaire des francophones, évolutif, numérique, collaboratif et gratuit, doit être lancé en septembre 2019. Dans une vidéo publicitaire, Valère, 25 ans, de la Côte-d’Ivoire, explique le sens de l’expression avoir la bouche sucrée : «Se dit de quelqu’un qui est beau parleur, qui aime flatter.»

 

La belle-mère de Diderot, au XVIIIe siècle, disait de lui qu’il avait une «langue dorée». Explication du Dictionnaire de l’Académie française, édition de 1762 : «On dit fig. & fam. de quelqu’un qui parle facilement & élégamment, que C’est une langue dorée

Le sucre des uns serait-il l’or des autres ?

Supplément alimentaire

Soit la phrase suivante, de l’excellent Olivier Bouchard, sur Athlétique Montréal, le 28 juin :

«Caufield a […] des mains de fée dans des gants de soie et un tir du Tonnerre de Zeus. Pardon, des tirs : revers, tir du poignet, tir frappé sur réception… Le Tonnerre de Zeus, la Foudre d’Odin, la Lance d’Athéna, alouette et un chausson avec ça.»

Un non-amateur de hockey — Cole Caufield est un jeune joueur récemment repêché par les Canadiens de Montréal — pourrait avoir du mal avec la variété de ses tirs. C’est de la langue de puck et c’est expliqué ici.

Un non-amateur de mythologie ira voir sur Wikipédia pour Zeus, Odin et Athéna.

Et le «chausson» dans tout ça ?

Dans le Dictionnaire québécois instantané qu’elle cosignait en 2004 et qui vient de paraître en livre de poche, l’Oreille tendue offrait la définition suivante de chausson aux pommes :

Pour des raisons qui se perdent dans la nuit de l’histoire de la boulangerie et de la restauration rapide, le chausson aux pommes est le symbole du superflu et de la demande (jugée) exorbitante. L’expression a quitté le domaine alimentaire pour conquérir le terrain culturel. Emma trompe son bon mari Charles avec Léon Dupuis, puis avec Rodolphe Boulanger. Et elle voudrait être heureuse ! Un chausson aux pommes avec ça ? (p. 38)

Autre exemple (p. 186) : «Aujourd’hui, ils se donnent la main pour promouvoir une culture rave propre, saine et sans drogue. Un chausson aux pommes avec ça ?» (la Presse, 10 juillet 2001)

À votre service.

 

Références

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, éd. de 2019, couverture

Divergences transatlantiques 056

Élisabeth Benoit, Suzanne Travolta, 2019, couverture

Suzanne Travolta, l’intrigant roman d’Élisabeth Benoit paru en 2019, se déroule à Montréal. Plusieurs lieux y sont clairement évoqués : «notre chère rue Waverly» (p. 22); «Mike et moi partagions un bureau au premier étage du bâtiment principal, boulevard René-Lévesque (Mike disait Dorchester)» (p. 49); «Il fallait être montréalais comme l’était Ray pour aimer ainsi de toute son âme la laideur du boulevard Saint-Laurent, qui était une des plus belles choses que Ray ait vues de sa vie» (p. 153). Les expressions québécoises y sont nombreuses, par exemple «être dans le champ» ou «virer sur le top». On y entend de l’anglais.

Le lecteur n’est donc pas étonné de voir désigner des chaussures de sport par l’expression running shoes. Le site Français de nos régions a bien mis en lumière, cartes à l’appui, la concurrence, en Amérique du Nord, de ce mot avec espadrilles, sneaks / sneakers, shoe-claques voire baskets.

En revanche, l’Oreille tendue n’a pas souvenir d’avoir jamais entendu le mot au féminin : «infectes running shoes roses» (p. 91), «une de ses running shoes roses» (p. 142), «sa running shoe» (p. 143). Or le Petit Robert (édition numérique de 2018) va dans le même sens qu’Élisabeth Benoit : «N. f. Chaussure de sport pour la course à pied.»

Deux communautés séparées par une langue commune, la France et le Québec ?

P.-S.—Pendant que nous y sommes : l’endroit où l’on mange est un diner (sans accent) plutôt qu’un dîner (avec) (p. 173).

 

Référence

Benoit, Elisabeth, Suzanne Travolta. Roman, Paris, P.O.L, 2019, 251 p.

Accouplements 136

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Dans le plus récent numéro du magazine Lettres québécoises (174, été 2019, p. 67), Samuel Mercier rend compte, sous le titre «Un vieux con sympathique», d’un recueil d’entretiens de l’historien Denis Vaugeois avec le professeur Stéphane Savard. À certains moments, le critique marque son exaspération : «tous ces éléments nous donneraient parfois envie de mettre un coup de mailloche au vieux siffleux, ou du moins de lui dire de dégager enfin qu’on respire dans cette triste province dont le récit historique ressemble trop souvent à une tablée de la Société Saint-Jean-Baptiste».

Le jour où l’Oreille tendue lisait ce compte rendu, elle voyait tomber ceci dans son fil Twitter :

 

 

La mailloche des uns est le maillet des autres.

Autopromotion 439

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, éd. de 2019, couverture

En 2004, avec Pierre Popovic, l’Oreille tendue publiait un Dictionnaire québécois instantané. Une édition de poche vient de paraître, toujours chez Fides.

 

[Complément du 9 mai 2021]

Sur sa chaîne YouTube, Sébastien Bailly rendu compte de deux livres de l’Oreille tendue, Dictionnaire québécois instantané (édition originale : 2004; édition de poche : 2019) et l’Oreille tendue (2016). Merci, l’ami.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.