Variations sur le casque

Casques de football miniatures

Soit la phrase suivante, tirée du roman la Bête creuse (2017) :

«Un casque de bain gueulait, proche de la vitre, dans son casque de moto» (p. 127).

Ce casque de bain occupe, tel le tata d’hier, un des barreaux inférieurs de l’échelle de la bêtise. Oui, il s’agit d’un être humain. (Pas le casque de moto.)

Le français du Québec connaît d’autres usages populaires du casque.

Qui se fait parler dans le casque ne l’apprécie généralement pas : on se fait alors dire ses quatre vérités, rabrouer, voire crier dessus. Cela peut être partagé, comme chez la dramaturge Anne-Marie Olivier :

Si t’es pas capable de te servir de ta tête, sers-toi de tes muscles, juste de tes muscles, pis après tout ça, on va se parler, on va se parler dans «face, on va se parler dans l’cass», parce que le pire dans tout ça, c’est que je t’haïs pas, gros cave — mais arrête. Arrête d’avoir peur de tout ce qui est pas toi (Venir au monde, p. 54).

Qui en a plein son casque en a assez, marre et jusque-là. Exemples ici.

P.-S.—On notera que casque se prononce volontiers cass.

P.-P.-S.—Du groupe musical Avec pas d’casque, il a jadis été question .

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Olivier, Anne-Marie, Venir au monde, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 14, 2017, 101 p. Précédé d’un «Mot de la metteure en scène», Véronique Côté. Suivi de «Contrepoint. Tenir bon», par Catherine-Amélie Côté.

Espèces de tata(s)

La reine Elizabeth II et le prince Philip, 2 juin 1953

Soit le mot tata, à considérer sous ses deux espèces.

Il peut être péjoratif. Le tata se tient sur les barreaux inférieurs de l’échelle de la bêtise. Pierre DesRuisseaux lui donne niais et benêt pour synonymes (Trésor des expressions populaires, p. 295).

Il peut aussi désigner une salutation de la main : «il y a Reilly et Ouellet qui font des tatas à l’arrière pour qu’on ne les oublie pas» (Athlétique, 20 septembre 2018).

Ce n’est pas tout à fait la même chose, même si on peut avoir l’air tata en faisant des tatas.

 

Référence

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Contribution électorale

L’Oreille tendue, à ses heures, aime à se considérer comme un service public. Voilà pourquoi, à la demande générale (n=0), elle a décidé de contribuer à la campagne électorale québécoise. Elle offre ci-dessous son aide aux électeurs (et aux autres) qui auraient pu être troublés par le vocabulaire des chefs des quatre principaux partis politiques en lice.

Philippe Couillard : coupures

François Legault : ayoye

Jean-François Lisée : câlicer

Manon Massé : viarge

Jurons gazeux

Francis Desharnais et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, 2012, p. 65, détail

Soit les phrases suivantes :

«Ça peut sembler onirique en soda, mais le fait est que le musicien y trouve la matière de compositions à la fois riches et apaisantes» (le Devoir, 22-23 septembre 2018).

«Tout ça règle pas mon soda de problème de spatio-jet de marde» (Motel Galactic, p. 12).

«Soda ! C’est compliqué !» (Motel Galactic. 2, p. 65)

Ce soda n’est évidemment ni la «Boisson gazeuse contenant des arômes, des sirops de fruits et des édulcorants», ni l’«Eau traitée à laquelle on a ajouté du gaz carbonique pour la rendre artificiellement gazeuse» dont parle le dictionnaire numérique Usito.

C’est un de ces mots employés, au Québec, au lieu de jurons d’un meilleur cru.

Faites l’exercice : remplacez ces soda par crisse. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

P.-S.—En effet, ce n’est pas la première fois que nous croisons pareil sacre inoffensif (voir ici, ou encore là).

 

Références

Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic, Montréal, Éditions Pow Pow, 2011, 107 p.

Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, Montréal, Éditions Pow Pow, 2012, 101 p.

L’étable lexicale

Bœuf, gravure de Jos. Scholz, 1829-1880, Rijksmuseum, Amsterdam

Les amateurs de hockey connaissent le joueur réputé pour sa taille et son poids : «Un autre bœuf de l’Ouest devient le premier choix de l’organisation» (le Journal de Montréal, 15 septembre 2018). Oui, c’est de la langue de puck.

Ceux de football savent que, dans certaines situations de course, il vaut mieux mettre «du bœuf» sur la ligne offensive. Peu importe sa provenance, semble-t-il : taille et poids suffisent.

Il y a ces bœufs sportifs. Il y a aussi les beus des forces de l’ordre : «On a eu une maudite armée de bœufs sur le dos et tout ce que je sais, c’est qu’on s’est retrouvés menottés, Lewis et moi, et jetés à l’arrière d’une voiture de police» (Hockey de rue, p. 71). Ce beu-là est donc un poulet.

Le beu peut aussi être automobile : «J’ai été impressionné par les montagnes Rocheuses et les interminables cols que la pauvre Coccinelle traversait de peine et de misère sur son petit “beu” […]» (les Yeux tristes de mon camion, p. 40). Explication d’Ephrem Desjardins : «Sur un véhicule à transmission automatique, vitesse la plus basse ou 1re vitesse» (Petit lexique […], p. 46).

Qui a une face de bœuf n’inspire guère la sympathie : «Nos récits, nos photos refouleront les seuils qu’il aura fallu passer, les étapes indistinctes, le piétinement, les battements du cœur, les faces de bœufs des fonctionnaires, le contact visuel avec des inconnus, les accès de découragement» (Montréal-Mirabel, p. 70-71).

Cette face de bœuf peut aussi bien être un air de bœuf : «Albertine arbore son air de beu habituel […]» (la Grande Mêlée, p. 816).

Au cours du débat électoral tenu à Montréal la semaine dernière, une citoyenne a posé une question d’un ton bourru. Elle n’a pas été convaincue par les réponses qu’on lui a données («Pas tellement») et elle n’a pas regretté son expression faciale.

«Face de boeuf», tweet de Les Perreaux, 14 septembre 2018

En revanche, de beu, pour caractériser la bravade, peut avoir valeur positive : «Au milieu de l’étonnement et de l’horreur qu’il a lus sur le visage du soldat, Édouard a cru deviner une espèce de respect, d’admiration peut-être, devant son front de beu, sa provocation. Son courage. Tenir tête, c’est le secret de tout ! Et la tenir haute !» (la Traversée du malheur, p. 1279)

Tant de bœufs, si peu de jours.

 

Illustration : gravure de Jos. Scholz, 1829-1880, Rijksmuseum, Amsterdam

 

Références

Bouchard, Serge, les Yeux tristes de mon camion. Essai, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 303, 2017, 212 p. Édition originale : 2016.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Huglo, Marie-Pascale, Montréal-Mirabel. Lignes de séparation. Récit, Montréal, Leméac, 2017, 152 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Skuy, David, Hockey de rue, Montréal, Hurtubise, 2012, 232 p. Traduction de Laurent Chabin. Édition originale : 2011.

Tremblay, Michel, la Grande Mêlée, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 659-836. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2011.

Tremblay, Michel, la Traversée du malheur, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 1253-1389. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2015.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture