Extrême un jour, extrême toujours

Trampoline extrême (titre de la la Presse+)

Il y a longtemps que l’Oreille tendue a à l’œil le mot extrême (voir ici, par exemple). Il y a même une catégorie à lui réservée (c’est par là).

À l’occasion, l’Oreille se demande si le mot est toujours aussi populaire. C’est généralement à ce genre de moment qu’elle tombe sur des titres comme ceux-ci.

«Perquisition extrême : les policiers récupèrent le cellulaire qu’un détenu avait avalé» (@beaudoinsop, 21 novembre 2017).

«Ceci est la plus longue et la plus extrême rampe de mise à l’eau au monde !» (la Presse+, 30 septembre 2017)

«Un PDG adepte de vélo extrême» (la Presse+, 25 juillet 2017).

«Finances personnelles extrêmes» (la Presse+, 22 avril 2017).

«À cet égard, je salue l’ouverture d’esprit de Denys Arcand qui a accepté de complètement abandonner son œuvre afin qu’elle subisse une transformation extrême. Ce ne sont pas tous les auteurs qui accepteraient cela» (la Presse+, 4 mars 2017).

Cela rassure l’Oreille, en quelque perverse sorte.

«Veggie burger extrêmes», publicité

Autopromotion 330

Un segment de l’émission Plus on est de fous, plus on lit !, qu’anime Marie-Louise Arsenault à la radio de Radio-Canada, est consacré à la définition de mots beaucoup présents dans l’espace public.

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion d’y réfléchir à débat, à expert, à authenticité et à porte-parole.

Cet après-midi, entre 14 h et 15 h, elle abordera le mot transparence.

Elle se servira notamment de ce texte, qu’elle a publié le 3 septembre 2013.

 

[Complément du jour]

On peut (ré)entendre l’entretien ici.

De (grand-)mère en (petite-)fille

Catherine Lalonde, la Dévoration des fées, 2017, couverture

«on fait pas des moumounes dans la famille»

Ne vous laissez pas avoir : même s’il y a des comptines et des berceuses dans la Dévoration des fées, ça joue très dur chez Catherine Lalonde.

Pour aller vite : le livre est composé de poèmes en prose, à défaut de meilleur terme, aucun (sauf un) ne dépassant une page, regroupés en cinq parties. Ça s’ouvre, à la campagne, sur un récit d’accouchement, que vous n’oublierez pas, et sur la mort (p. 12-14). Ça ne va guère aller mieux par la suite.

«La p’tite», née avec la mort de sa mère, Blanche, est élevée par sa grand-mère, Grand-maman, entourée de quatre frères et demi, aux prénoms évangélicobibliques : Jean-Jude («JJ»), Pierre-Joseph («le ti-cul»), Luc, Matthieu et Jacques («le mongol», «celui qui compte à moitié», p. 15). Sa vie n’est pas placée sous les meilleurs auspices : saleté, pauvreté, inceste, «cathédrale de crachats et de glaire» (p. 62). Les premiers mots qu’elle a entendus disaient déjà tout : «Fuck. / C’est une fille» (p. 19). Avec l’aïeule, à qui on doit ce jugement sans appel, on rit peu : «Tonnerre de joie, aussitôt encagé en souvenir dans les têtes de la trâlée cerbère» (p. 69).

On la voit grandir, «la p’tite». Son corps change («On ne fera pas une scène des premières menstrues», p. 74), elle découvre le plaisir, seule ou pas. «Bonne fille ? Sage ? Non. Sauvage, tourbillonne, en désordre maximal» (p. 76). Va-t-elle, «Comme moi, fuck, comme toutes» (dixit sa grand-mère, p. 81), rentrer dans le rang ? C’est peu plausible.

Rupture(s), pour le quatrième segment. Elle quitte Sainte-Amère-de-Laurentie pour Surréal : «La p’tite hulule de joie sous les éclairs, dans une sublime dilution. Bienvenue en ville» (p. 89). C’est une fête :

La vie est un spectacle. Assise sur le toit de l’église gratte-ciel — elle grimpe par l’échelle de secours, ou d’entretien des tuiles et des cloches, on ne sait trop —, les pieds dans le vide, à côté de la croix mauve scintillante, elle reste fascinée par les autres, tous les autres qui défilent sans effort, à dix mètres du sol, sur les trottoirs pneumatiques, fascinée par leurs masques colorés sons et lumières. Magnifique faune d’effraies, une faune du dimanche : les cothurnes, scyllas et sombreros; les femmes de Noël nowhere en paillettes, lamé, triples faux-cils, bigoudis et scaphandres; les skins en stilettos, les enfants à barbe, les albinos peroxydés, les moujiks à crinoline, les topless à implants de cuirette, les ours volants virtuels, les sébums hygiéniques, les hermines irriguées au B-, les pompadours et les mohawks, les vendeurs de chars, les strip-teaseuses, les tatoués de bonne heure, tous devant cette jeune ô si jeune tigresse affamée lâchée lousse qui s’esclaffe Mon Dieu, c’est plein d’étoiles ! (p. 93)

Elle rentrera finalement «à la malmaison du malamour» (p. 114). À vous de l’y retrouver.

La langue de Catherine Lalonde mêle expressions populaires québécoises («grafignes», «garnotte»), mots rares ou techniques («vernix», «frairie», «agglutinat», «asonie») et néologismes («bécédaire», «balbutienne», «javellisage»). Les reprises et variations sont savamment enchevêtrées. L’univers littéraire de référence est clairement féminin : Lalonde évoque D. Kimm, Geneviève Desrosiers, Hélène Monette et Josée Yvon, mais elle fait résonner aussi bien Marguerite Duras que Marie-Claire Blais. (Blais : «Les pieds de Grand-Mère Antoinette dominaient la chambre» [p. 7]. Lalonde : «La p’tite vient s’asseoir aux pieds de l’aïeule, pose une main à son genou. La p’tite touche Grand-maman» [p. 122].)

Ne vous laissez pas avoir : lisez. Vous apprendrez, entre autres choses, le prénom de «la p’tite».

 

Références

Blais, Marie-Claire, Une saison dans la vie d’Emmanuel, Montréal, Quinze, coll. «Roman», 1978, 175 p. Édition originale : 1965.

Lalonde, Catherine, la Dévoration des fées, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 112, 2017, 136 p.

Accouplements 101

Jean-Simon DesRochers, les Inquiétudes, 2017, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

La langue nous arrive souvent chargée de préjugés ethniques, auxquels nous ne prêtons peut-être pas toujours l’attention nécessaire. Ci-dessous, on trouvera trois occurrences tirées de lectures de l’Oreille, deux récentes, l’une plus ancienne, d’expressions québécoises que l’on pouvait encore récemment entendre, l’une évoquant les Chinois, l’autre, les Juifs. Le travail des romanciers est de les faire entendre; le nôtre, de leur résister

Tremblay, Michel, Survivre ! Survivre !, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 1101-1251. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2014.

«La chose se produit avec une telle rapidité que Victoire n’a pas le temps de réfléchir à ce qu’elle fait. Elle voit la tête de son mari rebondir avant de comprendre qu’elle vient de lui donner une claque chinoise (si tu restes pas tranquille, moman va te donner une claque chinoise en arrière de la tête pis tu vas rester empesée pour le reste de la journée) dans ses cheveux gras et humides» (p. 1174).

DesRochers, Jean-Simon, les Inquiétudes. L’année noire – 1. Roman, Montréal, Les Herbes rouges, 2017, 591 p.

«Aimée, c’est toi qui as pris le sucre en poudre ?
Non, maman, c’est pas moi.
Pourquoi tu as du sucre en poudre autour de la bouche, d’abord ?
Parce que c’est Ovide qui m’en a donné.
Arrête de conter des menteries !
Mais…
Tais-toi ! Pis baisse les yeux !

Mettre ça su’l dos de ton p’tit frère qui est au ciel… Ça, ma p’tite Juive, tu l’f’ras pas deux fois… Attends que j’le dise à ton père, ma noire !» (p. 492)

Gottheil, Allen, «Nancy Neamtan», dans les Juifs progressistes au Québec, Montréal, Éditions par ailleurs…, 1988, p. 269-296.

«Lorsque j’habitais Saint-Henri, j’étais liée d’amitié avec une famille québécoise qui comptait trois jeunes filles, dont Huguette. Quand la petite gamine faisait des coups et que ses parents se fâchaient, ils l’apostrophaient d’une épithète que je ne comprenais pas, même après l’avoir entendue plusieurs fois. Un jour, j’ai pigé ce qu’ils grondaient : “Fais pas ta petite Juive !” Ça m’a surprise mais je ne savais trop comment réagir. Ça m’a pris du temps, peut-être un mois ou deux, avant de pouvoir dire à ces gens que moi, j’étais Juive. J’étais trop gênée, et lorsque je leur ai dévoilé mes origines, il n’y a pas eu de grosses discussions sur ce que cela pouvait représenter. Après, ils ont continué de la traiter de “petite Juive” sans toutefois faire d’association entre l’expression et moi. Soulignons que l’incident n’a aucunement changé nos rapports» (p. 285-286).

 

[Complément du jour]

Exactement dans le même sens que ce qui précède, ceci, sur Twitter :

http://twitter.com/TuThanhHa/status/927618769819750400

 

[Complément du 28 novembre 2017]

L’Oreille tendue a été interrogée plus tôt aujourd’hui par la journaliste Maya Johnson, du réseau de télévision CTV, sur l’utilisation de l’expression «travailler comme un nègre» par un député du parlement québécois, François Gendron. Ça se trouve ici.

Entrée à saveur de mardi matin

«À saveur économique»

À l’occasion (2009, 2010, 2011, 2013, 2014, 2015, 2017), l’Oreille tendue pratique un tri sélectif dans sa corbeille de à saveur, ce fléau québécois. Rebelote.

«Des histoires à saveur autochtone» (le Devoir, 28-29 octobre 2017, p. D5).

«Des casiers à saveur littéraire à l’école St-Viateur d’Amos» (l’Écho abitibien, 27 août 2017).

«Une bière à saveur “militante” créée par des microbrasseurs québécois» (Radio-Canada, 1er mars 2017).

«une nouvelle campagne [publicitaire] à saveur humoristique» (la Presse+, 9 octobre 2016).

«une murale à saveur patriotique» (la Presse+, 9 mars 2016).

«Méditation à saveur techno» (la Presse+, 10 octobre 2015).

«Quelques activités à saveur BD annoncées pour Québec en toutes lettres 2015» (Voir, 16 juin 2015).

«Une nulle à saveur de victoire, c’est comme un végéburger savoureux. C’est rare, mais bon. #WWC2015 #CAN» (@ballecourbe).

«Critique de Fin Finaud. Nouveau jeu-questionnaire à saveur culinaire… et prophétique» (@cathygo40).

«Pique-nique à saveur anglo-saxonne» (la Presse, 20 avril 2013, cahier Maison, p. 2).

À votre service.

(Merci à @machinaecrire pour la photo.)

P.-S.—Les contre-exemples sont rares. Citons celui-ci : «à teneur féministe» (la Presse+, 25 juillet 2017).