Divergences transatlantiques 050

L’Oreille tendue ne l’avait jamais noté : il y a (au moins) deux sortes de bullshit.

Il y a la québécoise : la bullshit, toujours au féminin, affectueusement appelée bull («C’est de la bull»).

Il y a la française, au masculin — parfois ? toujours ? : le bullshit. C’est du moins ce que laissent croire les trois exemples suivants (et récents).

https://twitter.com/OClairouin/status/892991721021296643

Le Monde, 9 août 2017 : «bullshit» au masculin

Wikipédia définit «le bullshit» (au masculin, donc) ici.

P.-S.—Bullshit a évidemment donné le verbe bullshiter, que l’on trouve, par exemple, dans la Nuit des morts-vivants de François Blais (2011) : «plutôt que de la bullshiter j’essayai de lui changer les idées» (p. 100).

 

Référence

Blais, François, la Nuit des morts-vivants. Roman, Québec, L’instant même, 2011, 171 p.

Voyage avec une oreille

L’Oreille tendue s’est absentée de son pavillon quelques jours en juillet-août, d’abord au Québec, puis aux États-Unis, avant d’y revenir. Elle ne s’est pas détendue pour autant. Notes.

Elle peine elle-même à y croire : après une interruption de presque sept lustres, pendant ses vacances, elle a refait du camping. C’était au Parc national d’Oka. Le scrabble en plein air, particulièrement son coup d’ouverture, ça s’est bien passé. Le dos de l’Oreille ne saurait en dire autant.

Au scrabble, à Oka, «vergers»

Pour aller dans ce parc, quand on est montréalais, il faut quitter les «districts urbains», quoi que soient les «districts urbains».

Un «district urbain» en ville / à Montréal

À Oka, il y a un camping et une plage. Des sources conjugales proches de l’Oreille ont fréquenté la seconde. Au retour, elles avaient une question linguistique : quel est le féminin de douchebag ?

Posture; du coup : le livre que lisait l’Oreille — le plus loin possible de la plage — a évidemment été publié en 2017 par des universitaires francophones.

Comment sentir, dans son corps, que l’on est aux États-Unis ? Les routes sont moins cabossées que celles du Québec. Le sel est partout. Les portions n’ont rien à voir avec l’appétit d’un humain normalement constitué.

Taux de change oblige, l’Oreille s’est contentée, cette année, de 18 trous de minigolf. (Elle a gagné, comme au scrabble.)

S’agirait-il, à Stowe, au Vermont, d’un hommage déguisé à un ancien chef du Parti québécois ?

Parizo Trails, Stowe, Vermont

Un samedi soir, dans le jardin familial, le fils cadet de l’Oreille pratique ses longues remises — c’est du football — en se filmant sur son iPad. On n’arrête pas le progrès.

Les vacances, c’est fait pour lire — et pour pratiquer ses longue remises —, mais c’est aussi fait pour se remplir les oreilles. Au menu, cet été, il y a eu la série de baladodiffusions S•Town. Le premier épisode — pardon : le premier «chapitre» — est longuet, mais l’information inattendue livrée au deuxième accroche l’auditeur pour de bon.

Dans le quotidien belge le Soir, l’excellent Michel Francard a consacré quatre livraisons de sa chronique «Vous avez de ces mots» au français parlé au Québec : sur les amérindianismes (1er juillet), sur les québécismes (7 juillet), sur les anglicismes (15 juillet), sur les néologismes (22 juillet). Lecture recommandée, où que l’on soit.

En tournée montréalaise pour cause de 375e anniversaire, la Comédie-Française a présenté Lucrèce Borgia : décor magnifique, musique justement hollywoodienne, jeu soutenu, mise en scène cohérente. On notera toutefois que Victor Hugo ce n’est pas exactement Marivaux. Amateurs de subtilité (textuelle) s’abstenir.

Au Musée McCord, on propose une courte rétrospective des 50 ans de caricature d’Aislin. Le catalogue, à lui seul, vaut le détour — à cause de son regard sans complaisance sur la politique, certes, mais aussi sur le sport et sur Montréal, pour cause de 375e anniversaire, bis.

 

Référence

Mosher, Terry, From Trudeau to Trudeau. Aislin. Fifty Years of Cartooning, Aislin Inc. Publications, 2017, 280 p. Ill. Introduction de Bob Rae.

Divergences transatlantiques 049

Soit un véhicule automobile : «Fourgonnette ou minibus servant au transport de personnes», dit le Petit Robert (édition numérique de 2014), qui considère le mot comme un anglicisme.

Pour ce dictionnaire, van est masculin, de même que pour Ian Manook (Yeruldelgger, p. 243) et que pour @iRumeurs.

Ce n’est pas le cas au Québec, où le mot est féminin, par exemple dans cet article préparé par la rédaction d’Urbania pour la Presse+ du 29 juillet 2017.

«Une van» (la Presse+, 29 juillet 2017)

Il est vrai que les Québécois sont souvent troublés par le genre des moyens de locomotion.

 

[Complément du 26 avril 2022]

C’est bien parce que le mot est anglais qu’il plaît tant aux personnages de Réparer les vivants, de Maylis de Kerangal : «Ils sont dans le van — jamais ils ne disent camionnette, plutôt crever» (éd. de 2020, p. 16).

 

Références

Kerangal, Maylis de, Réparer les vivants, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 5942, 2020, 298 p. Édition originale : 2014.

Manook, Ian, Yeruldelgger. Roman, Paris, Albin Michel, coll. «Le livre de poche. Policier», 33600, 2016, 646 p. Avant-propos inédit de l’auteur. Édition originale : 2013.

Des ans l’irréparable outrage

À compter de septembre, l’Oreille tendue donnera un cours sur le théâtre français du XVIIIe siècle. Elle est donc à (re)lire nombre de textes de et sur le théâtre des Lumières. Par la force de choses, elle tombe souvent, dans les comédies, sur le mot barbon : «Homme d’âge plus que mûr», explique le Petit Robert (édition numérique de 2014).

Quand elle était jeune, au Québec, on aurait parlé de croulant.

Ces deux mots, plus guère d’actualité, s’appliquent désormais à elle.

Histoires de marde

Commençons par ce tweet de @machinaecrire.

Tweet de @machinaecrire, 25 juin 2017

Enchaînons avec deux lectures récentes de l’Oreille tendue.

La première est celle du roman Autour d’elle (un autre livre sur l’adoption) de Sophie Bienvenu. On y trouve un «petit frère qui fait de la marde» (p. 16). On y sacre : «Ostie de câlisse de sacrament de vie de marde» (p. 62). Le syntagme de marde est présent plusieurs fois : «Tu voulais pas t’attacher, parce que c’est trop dangereux, à cause de ta famille de marde» (p. 91); «C’est encore un plan de marde dont j’ai le secret» (p. 149); «Ce n’était qu’une pensée fugace comme j’en ai beaucoup d’autres, un autre plan de marde mort dans le cocon» (p. 157); «Elle sait que si elle prend la main qui se tend vers elle, elle sera aspirée dans un vortex intersidéral de marde» (p. 204). Notons encore cette interrogation : «Ostie de guerrière à marde, tu continues à te battre contre qui ?» (p. 91)

La seconde lecture est celle du recueil de poésie Arroser l’asphalte de Philippe Chagnon (voir ici). Citons trois vers : «illusion de marde bien sûr» (p. 21); «les drosophiles ne se prennent pas pour de la marde» (p. 28); «sinon dans la marde jusqu’au cou» (p. 68).

Terminons avec cette diapositive, tirée d’une conférence que donnait l’Oreille devant des professeurs de cégep il y a six semaines.

Benoît Melançon, diapositive PowerPoint, 6 juin 2017

De quoi s’agit-il ? D’un passage où l’Oreille soulignait, Canadian French for Better Travel à l’appui, la polysémie du mot marde, mais où elle déplorait aussi son utilisation de plus en plus fréquente, notamment sur les ondes de la radio d’État, Radio-Canada, comme si ce mot pouvait désormais faire partie du registre relevé.

Oui, @machinaecrire a raison : la banalisation de (de) marde est chose faite.

Non, ce n’est pas la première fois qu’il est question de marde en ces lieux.

 

Références

Bienvenu, Sophie, Autour d’elle. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 206 p.

Chagnon, Philippe, Arroser l’asphalte. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2017, 91 p.

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011, 186 p. Ill. Troisième édition.