Autopromotion 071

L’Oreille tendue sera, autour de 9 heures, chez Catherine Perrin, à l’émission Médium large de la radio de Radio-Canada, pour proposer l’inclusion de quelques mots aux dictionnaires courants. Elle sera en compagnie d’Antoine Robitaille (le Devoir) et de Catherine Perreault-Lessard (Urbania).

Reprendra-t-elle les exemples évoqués hier ? On verra.

 

[Complément du jour]

Les trois invités devaient répondre à une quadruple commande.

Faire une suggestion de nom propre (choix de l’Oreille : Lady Gaga)

L’Oreille a fait cette proposition pour contester la décision de Laurence Laporte, directrice éditoriale du Petit Robert 2014, de ne pas retenir le nom de l’artiste dans la nouvelle version du dictionnaire. Mme Laporte a déclaré au Nouvel Observateur : «J’étais surprise du nombre de votes pour Lady Gaga. Je m’y suis opposée. On avait fait entrer Madonna sans problème. Mais Lady Gaga, ça me semblait un peu tôt. Voire un peu tard : on en entend moins parler, ces temps-ci.»

En date d’hier, @ladygaga avait 37 950 291 abonnés sur Twitter. Le Petit Robert 2014 lui a préféré Olivier Adam, Christine Angot et Marc Dugain. Bref, la culture lettrée parisienne de l’heure, oui; la culture populaire mondialisée, non.

Faire une suggestion de nom commun (choix de l’Oreille : snoro)

Sur le «sn(o)(ô)(au)r(o)(ô)(eau)(aud)», voir l’entrée du 17 décembre 2011 et les commentaires étymologiques qui la suivent.

Revoir une définition (choix de l’Oreille : tabernacle)

Pour un Québécois, la définition de ce mot dans le Petit Robert (édition numérique de 2010) est nettement insuffisante : «Petite armoire fermant à clé, qui occupe le milieu de l’autel d’une église et contient le ciboire.»

L’Oreille a beaucoup écrit sur ce juron, son favori. Les modifications qu’elle a proposées en ondes se retrouvent dans cette entrée du 2 septembre 2010.

Toutes les occasions étant bonnes de souligner la richesse phonétique et morphosyntaxique des jurons québécois, et de tabarnac / tabarnak en particulier, il fallait saisir celle-là.

Proposer un nom pour un nouveau dictionnaire (choix de l’Oreille : le Diderot)

Voilà la contribution de l’Oreille à la commémoration du tricentenaire de la naissance du codirecteur de l’Encyclopédie, Denis Diderot.

Créer une version québécoise de ce dictionnaire, le Diderot Québec, pourrait porter à confusion avec Hydro-Québec. On ne le fera pas.

On peut (ré)entendre l’entretien ici.

 

[Complément du 10 mai 2014]

Non.

Le Figaro, 9 mai 2014Source : le Figaro, 9 mai 2014.

 

[Complément du 4 septembre 2014]

La presse française, qui maîtrise mal les jurons québécois, raffole de «tabernacle». La preuve ? Ce site : http://cariboutabernacle.tumblr.com/. L’Oreille tendue est jalouse. (Merci à @PimpetteDunoyer pour le lien.)

 

[Complément du 10 février 2017]

Le duo français Volo lançait, le 27 janvier 2017, un album intitulé Chanson française, étiquette Play On (!) / Sony ATV. On y trouve la pièce «Tabarnak». La prononciation du mot est excellente. Merci.

Juron ressuscité ?

Il y a deux ans, l’Oreille tendue l’évoquait parmi les «versions édulcorées» des jurons québécois, les «sacres», mais sans trop croire à sa permanence. Y avait-il encore quelqu’un pour utiliser le mot «torpinouche» ?

Il semble que oui. «Torpinouche, un accident !» peut-on lire en titre dans la Presse du 2 avril (cahier Affaires, p. 9).

Ce «juron inoffensif», dixit Léandre Bergeron (1981, p. 159), survivra donc ailleurs que dans l’œuvre d’Albert Chartier.

Albert Chartier, «Délassements nocturnes», le Bulletin des agriculteurs, novembre 1955

«Délassements nocturnes», le Bulletin des agriculteurs, novembre 1955.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Chartier, Albert, Onésime. Les aventures d’un Québécois typique, Montréal, L’Aurore, coll. «Les p’tits comiks», 1, 1974, [s.p.] Ill. Présentation de l’auteur.

Familiarité de la pancarte

On a beaucoup vu de pancartes au Québec depuis un an.

Ci-dessous, cinq exemples, choisis pour leurs caractéristiques communes, dont les deux premiers sont tirés de l’actualité immédiate.

«Heille Agnès
Couper les moins nantis
C’est cheap en esti !» (le Devoir, 5 mars 2013, p. A3).

«Pauline
c’est pas
vargeux
ton
affaire» (le Devoir, 26 février 2013, p. A3).

«Line
mange un
osti d’charest
d’marde !
Les étudiants» (les Pancartes de la GGI).

«Bachand,
tes
hausses
de tarifs
fous-toi
les dans
le cul !» (les Pancartes de la GGI).

«Charest !!!
Décalisse
C’est tu clair» (le Devoir, 2-3 juin 2012, p. A1).

Ces caractéristiques ? Le tutoiement. L’interlocution directe («Heille»), soit par le prénom (pour les femmes : Agnès Maltais, Pauline Marois, Line Beauchamp), soit par le patronyme (pour les hommes : Raymond Bachand, Jean Charest). Le recours au juron («esti», «osti», «Décalisse») ou à la vulgarité («marde», «cul»).

Peut-on dire de ces pancartes qu’elles sont représentatives de l’ensemble de celles qu’on a vues pendant le Printemps érable et depuis ? Évidemment pas : il aurait été impossible de relever le contenu de toutes les pancartes alors brandies. Peuvent-elles servir, seules, de corpus pour essayer de comprendre le rapport des Québécois à l’autre ? Pas plus. Disent-elles néanmoins quelque chose de ce rapport ? Sans aucun doute : que la familiarité reste un des traits profonds de la société québécoise, jusque dans son langage politique.

Précautions pré-commentaires

On objectera à l’Oreille tendue que toutes les pancartes n’avaient pas recours à cette proximité supposée. C’est vrai : «Où s’en va le Québec ? / M. Charest, / je veux connaître / votre itinéraire» (les Pancartes de la GGI); «Charest / reculez» (le Devoir, 17 avril 2012, p. A5); «Charest / les / voyous / c’est / vous» (le Devoir, 25 mai 2012, p. A1).

On lui objectera que certains manifestants avaient un vrai sens de la formule, familiarité ou pas. C’est encore vrai : pour l’Oreille, «Mon père est dans l’anti-émeute» (les Pancartes de la GGI) est un texte de pancarte admirable.

On lui objectera enfin que la vulgarité avait un ton bonhomme. Là-dessus, l’Oreille ne sera pas d’accord. «1625 / moé l’cul» (les Pancartes de la GGI); « Charest / Ta yeule / On peut s’crosser tu-seuls» et «Charest / Salaud / Le peuple aura ta peau» (le Devoir, 2-3 juin 2012, p. A1 et la Presse, 16 juin 2012, p. A20); «Charest, en prison, échappe pas ton savon» (la Presse, 16 juin 2012, p. A20); «Étudiants / fourrés / Beauchamp / mal / baisée !» : non, ce ne sont pas des textes bonhommes.

L’orthographe de la CEIC

L’Oreille tendue ne saurait être partout; voilà pourquoi elle a des taupes. S’agissant de la Commission (québécoise) d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction — la Commission Charbonneau, du nom de la juge qui la préside —, là où règne le «croustillant», son informatrice est @NieDesrochers (merci).

En matière de jurons, celle-ci lui rapportait hier deux décisions orthographiques, dont l’une bien étonnante, dans le cadre de la transcription des débats télévisés de la commission.

La première : «“Tabarnak” ou “tabarnaque”, la #ceic opte pour la 2e orthographe.» C’est une décision qui, à l’écrit, se défend, mais elle n’est pas d’un très grand poids, dans la mesure où, à l’oral, nak et naque, c’est kif-kif. Nac aurait d’ailleurs tout aussi bien fait l’affaire. Chacun pourra continuer à dire selon son cœur.

La seconde : «Ah ? “Siboire” ? #ceic.» Cela attriste. La culture religieuse et la culture littéraire exigent, à l’écrit, «ciboire», et rien d’autre. À l’oral, c’est autrement complexe.

Les contribuables sont en droit de se demander si toutes les décisions de la CEIC sont, et seront, également fondées.

P.-S. — @curler101 voyait, dans ce «siboire», «le vin qui coulait à volonté» chez les témoins, d’où «six boires». On aimerait le croire.

Transcription d’écoute électronique (CEIC)

Merci à @PaulJournet

Se souvenir du Printemps érable

Collectif, Je me souviendrai, 2012, couverture

[Troisième texte d’une série sur les livres du Printemps érable. Pour une liste de ces textes, voyez ici.]

Je me souviendrai est un recueil collectif sur les grèves étudiantes de 2012 au Québec. Par sa perspective, il est plus proche d’Année rouge, le recueil de notes de Nicolas Langelier, que de Terre des cons, le roman de Patrick Nicol. Les auteurs retenus, souvent des acteurs du «Printemps érable», livrent leurs impressions immédiates, sans guère de recul. L’ouvrage a valeur de témoignage plus que d’interprétation, ce qui est un choix parfaitement légitime et qui s’explique par des raisons bien concrètes (les derniers textes retenus datent de juin 2012, à une époque où les grèves n’étaient pas terminées, et le livre a paru en août).

Que trouve-t-on dans Je me souviendrai ? Des citations (de Thoreau, de Gide, de Chomsky, de Malcolm X), des photos, des dessins, des bandes dessinées, des poèmes et des textes en prose, un «story-board», des articles de presse (de Stéphane Laporte, de Normand Baillargeon). La couleur dominante ? Le rouge. Les têtes de Turc ? Elles sont prévisibles : le premier ministre de l’époque, Jean Charest, «l’oligarche [sic] libéral» (p. 165); sa ministre de l’Éducation, Line Beauchamp (loin devant ses collègues du cabinet Michelle Courchesne et Raymond Bachand); les policiers; les médias; le «néolibéralisme», cet épouvantail du jour; Richard Martineau (un chouïa). Les lieux couverts ? Montréal et Québec; peu d’ouverture sur des luttes semblables à celle des étudiants québécois ailleurs dans le monde, ce qui étonne d’un livre édité en France (mais imprimé au Québec).

La plus grande variété règne dans ce florilège : c’est ce qui arrive quand on regroupe plus de soixante collaborateurs et qu’on suit chronologiquement ce qui s’est passé de décembre 2010 à juin 2012. À côté d’une très subtile bande dessinée de Djanice Saint-Hilaire («Terreur», p. 49-51), d’un récit de duel par téléphones «intelligents» interposés chez Simon Brousseau («N’a plus sommeil qui veut», p. 90-91) ou des illustrations de Jeik Dion (sans titre, p. 216 et p. 225), on lira donc les éructations de Jackie San («J’m’en sacre du titre de celui-là», p. 109-111) ou les plaintes au premier degré d’Antoine Corriveau (sans titre, p. 139-149 et p. 186-199). Les gros mots et les insultes ne manquent pas : «pour kicker la tête d’un dirigeant, faudrait d’abord que j’trouve le rectum dans lequel ladite tête est logée» (Adib Alkhalidey, «Moi j’suis un plus meilleur révolutionnaire», p. 219); «Je crie Oh Jean Charest / Ostie que tu me fais chier !» (Marie-Ève Muller, «Bouilloire», p. 227).

Peu de contributions laissent une impression durable : collées sur les évènements, elles permettent parfois de saisir des émotions fortes, mais leurs auteurs arrivent rarement à aller au-delà de cette sensation, l’«écœurantite» (p. 122 et p. 147), dans laquelle ils sont encore immergés. Certains sont pessimistes, d’autres moins (par exemple Samuel Matteau ou Laure Waridel). Des interrogations ? Oui. Des dissidences ? Non. Tous sont du même bord.

L’analyse est un plat qui se mange froid.

P.-S. — Sous la plume d’un professeur de sociologie montréalais, l’Oreille tendue découvre l’existence de «personnes racisées» (p. 242). Elle se demande, non sans une légère crainte, si elle en fréquente.

P.-P.-S. — Publier dans l’urgence ? Le lecteur en paie le prix : au moins une trentaine de fautes ou de coquilles.

 

Références

Collectif, Je me souviendrai. 2012. Mouvement social au Québec, Antony, La boîte à bulles, coll. «Contrecœur», 2012, 246 p. Ill.

Langelier, Nicolas, Année rouge. Notes en vue d’un récit personnel de la contestation sociale au Québec en 2012, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 02, 2012, 100 p. Ill.

Nicol, Patrick, Terre des cons. Roman, Montréal, La mèche, 2012, 97 p.