Ceci n’est pas un beau bonjour

Ceci, dans la Presse+ du jour : «Ma mère a raison de se plaindre de la “petite bonjour” qui l’a frôlée la semaine dernière sur le trottoir, alors qu’elle marchait près du mont Royal.»

Ce «bonjour» n’a rien à voir avec la formule de salutation. Au Québec, il s’agit d’une personne, d’un sexe ou de l’autre. Le mot est souvent accompagné d’un déterminant qui en atténue la potentielle connotation négative : «le bonjour», «mon bonjour», cette «petite bonjour».

Citations à l’appui, la Base de données lexicographiques panfrancophone donne deux définitions de cet emploi : «Fam. Pour qualifier négativement qqn ou qqch. qui agace, énerve»; «Fam. (Exprimant tantôt un léger reproche, tantôt une certaine admiration, général. précédé de l’épithète petit). Enfant espiègle, turbulent, ou audacieux. […] Par ext., en parlant d’un adulte, ou même d’un animal.»

Avec cette imagination qui n’est heureusement qu’à lui, Léandre Bergeron, en 1980, considère ce bonjour comme un juron, mais «aimable» (!) : «Juron aimable qui s’emploie familièrement en parlant de personnes. Ex. : Ce bonjour-là, est-ce qu’i va pas arriver ? Ma petite bonjour, si tu me fais fâcher…» (p. 86)

Ah ! ce bonjour de Dictionnaire !

 

Référence

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Soutien à l’insulte

L’Oreille tendue aime beaucoup sacrer, et sacrer beaucoup. Elle a toute une série de textes là-dessus.

Le Tampographe / The Stampographer vient de lui faciliter la tâche : au lieu de dire des jurons (et des insultes diverses), pourquoi ne pas les imprimer et les réimprimer à répétition ?

Cela donne un coffret de 24 «injures québécoises», pour 65 euros.

Le Tampograhe / The Stampographer , «Étampes vulgaires. French Canadian Vulgar Stamps»

Le Tampographe / The Stampographer propose des explications et des traductions anglaises de quelques-uns de ces termes choisis. L’Oreille peut aussi offrir ses services pour…

plotte,

graine,

crosser,

criss,

tarla,

marde,

innocent,

poche,

char,

colon,

tabarnac,

épais,

ostie,

câlisse

et

niaiseux.

À votre service.

Parlons cheval

Soit le tweet suivant, de Yan Saint-Onge :

Dans ce cas-ci, l’expression en joual vert signifie beaucouptrès. Voici un autre exemple, qui va dans le même sens, tiré du roman C’t’à ton tour, Laura Cadieux, de Michel Tremblay (1973) :

Ah, okay, ça nous fait rêver pis toute, pis j’ai rien contre le rêve de temps en temps, mais moé j’sais ben que si Pit se mettrait à me dire le quart d’la moitié de ce que les hommes disent aux femmes dans les vues, j’me tordrais de rire en joual vert ! (p. 106)

Par ailleurs, on peut être en joual vert, voire en beau joual vert : fâché, mécontent, courroucé. Ce serait plus présentable que de se dire en crisse, en tabarnak, en câlisse, en estie, en sacrament, en ciboire, etc.

Cela étant, des mélanges sont possibles, histoire de bien marquer le coup, comme chez le Maxime Raymond Bock des Noyades solitaires (2017) :

Il atteignait la fin de la quarantaine, pétri d’une toute-puissance professionnelle, intellectuelle et morale, mais il ne pouvait que constater, et ça le mettait en hostie de beau joual vert, que ses enfants étaient des mécréants (p. 21).

On aura reconnu ce joual; c’est un cheval. Mais pourquoi diantre est-il vert ?

P.-S.—Pierre Corbeil propose une graphie en un seul mot, joualvert (2011, p. 44). À première vue, cela étonne, mais est alors plus visible le lien possible entre joualvert et calvaire.

P.-P.-S.—Usito offre l’étymologie suivante : «Depuis 1930 […]; déformation de (parler) cheval “baragouiner, s’exprimer d’une manière inintelligible”; locution relevée dans la langue populaire en France au 19e s.»

 

Références

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011, 186 p. Ill. Troisième édition.

Raymond Bock, Maxime, les Noyades secondaires. Histoires, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 369 p.

Tremblay, Michel, C’t’à ton tour, Laura Cadieux. Roman, Montréal, Éditions du jour, coll. «Romanciers du jour», R-94, 1973, 131 p.

Citation (en quelque sorte) religieuse du jour

Marcel Rioux, les Québécois, 1974, couverture

«Les Québécois doivent détenir une espèce de prix international dans le domaine du jurement. Certains anthropologues y verraient probablement une illustration de l’ambivalence du sacré. Depuis toujours, ce spécimen d’humanité a appris à nommer les choses sacrées et à les considérer comme les plus importantes de sa vie terrestre et éternelle. Elles représentent une espèce de summum indépassable. Quand il est à l’Église ou qu’il récite ses prières, ces mots sacrés qu’il entend ou prononce sont revêtus d’une aura religieuse. Quand, dans sa vie profane, il voudra exprimer une émotion forte, les mots sacrés se présenteront presque naturellement à lui. Son vocabulaire étant souvent limité, le mot sacré exprimera un superlatif. “C’est beau en Christ”, «Baptême que cette fille-là est bien faite”. Parlant de quelqu’un qui est en colère, il dira qu’“il est en hostie”. Ce n’est que lorsqu’il se fâchera lui-même, que tout ira mal, que le Québécois injuriera le ciel et qu’il “sortira tout ce qu’il y a dans l’église et dans les cieux”. Sa faculté d’invention ne connaît alors plus de bornes. Commençant par les “hosties carreautées” et passant par les “tabernacles de tôle” il ira jusqu’à “chier sur les quatre poteaux du ciel”. Tous les saints du ciel — il en invente au besoin — et la Sainte Vierge en particulier, en prendront pour leur grade.»

Marcel Rioux, les Québécois, Paris, Seuil, coll. «Microcosme. Le temps qui court», 1974, 188 p., p. 46.