La clinique des phrases (115)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit cette phrase, tirée d’un roman policier québécois :

Il lui arrivait d’aller prendre un verre avec des collègues, de participer à un tournoi de baseball ou à une partie de pêche, mais il ne se sentait proche d’aucun des fêtards qui remplissaient son verre ou lui criaient de se grouiller le cul afin d’atteindre le deuxième but avant le champ arrière de l’équipe adverse.

Les amateurs de sport le savent : il n’existe pas de champ arrière au baseball; c’est un terme de football. En revanche, en langue de balle, on connaît le champ extérieur.

On pourrait donc imaginer la phrase suivante :

Il lui arrivait d’aller prendre un verre avec des collègues, de participer à un tournoi de baseball ou à une partie de pêche, mais il ne se sentait proche d’aucun des fêtards qui remplissaient son verre ou lui criaient de se grouiller le cul afin d’atteindre le deuxième but avant le champ extérieur de l’équipe adverse.

Elle resterait bizarre. Il faudrait la modifier plus profondément :

Il lui arrivait d’aller prendre un verre avec des collègues, de participer à un tournoi de baseball ou à une partie de pêche, mais il ne se sentait proche d’aucun des fêtards qui remplissaient son verre ou lui criaient de se grouiller le cul afin de ne pas être retiré au deuxième but par le champ extérieur de l’équipe adverse.

À votre service.

Langue de balle. Sixième manche

Ozzie Smith préparant un double jeu

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Sixième texte d’une série.)

Les lanceurs et les frappeurs s’affrontent, certes, mais ils ne sont pas seuls sur le losange et au champ extérieur; des joueurs en défensive sont là, à attendre le moment d’intervenir.

Les voltigeurs patrouillent le champ extérieur. Ils sont trois, à gauche, au centre et à droite. En français populaire du Québec, on dira volontiers qu’on joue à la vache pour désigner cette partie du terrain, située entre la clôture, elle-même annoncée par une piste d’avertissement, et le champ intérieur ou avant-champ.

Les voltigeurs de centre ont souvent beaucoup de terrain à couvrir; voilà pourquoi ce sont des marchands de vitesse. Pour des raisons assez peu claires, c’est au champ gauche que naîtraient les idées les plus inattendues. Pendant longtemps — l’Oreille tendue n’est pas allée vérifier récemment —, les voltigeurs de droite avaient assez mauvaise réputation; ce n’était pas toujours les meilleurs éléments en défensive de l’équipe.

Qu’attend-on de ces joueurs ? Qu’ils jugent bien les balles, qu’ils fassent de bons relais — ce qui exige d’avoir un bon bras —, qu’ils ne ratent pas l’intercepteur (quand il y a des coureurs sur les sentiers), qu’il coupent le coureur sur un but ou au marbre (ce qui n’est pas très fréquent). On félicitera un joueur qui plonge pour attraper une balle basse pour son vol au sol. Les attrapés ou catchs les plus difficiles sont ceux que l’on fait dos au marbre.

À l’avant-champ, on trouve de gauche à droite, du point du vue du frappeur, le troisième but, l’arrêt-court, le deuxième but et le premier but. Au Québec, le but peut-être un coussin; en France, une base. On appelle parfois l’arrêt-court, au Québec, l’inter; on peut même, à l’occasion, le dire diminutif. Sur l’échelle de la valeur défensive, le joueur de premier but est l’équivalent du voltigeur de droite : indispensable, mais ce ne sont pas toujours les meilleurs athlètes. (Il a été question du receveur .)

Les doubles jeux sont l’ami des lanceurs : faire d’une pierre deux retraits. Certains sont automatiques; d’autres demandent plus d’efforts pour réussir à bien les tourner. Meilleur encore, mais beaucoup plus rare, il y a le triple jeu : le triple retrait vaut bien sûr mieux que le double. Dans le doute, il est plus sûr de s’abstenir : un retrait sûr, sur un choix de l’intérieur, c’est un retrait; ce n’est pas à dédaigner.

Dans la mesure du possible, les joueurs en défensive devraient éviter de jongler avec la balle ou de l’attraper du bout du gant; cela pourrait donner des sueurs froides à leur entraîneur, voire mener à une erreur. Ils sont appelés à capter des ballons, des chandelles ou des flèches, mais aussi à intercepter, saisir ou gober des roulants, ces balles que l’abbé Étienne Blanchard a suggéré de nommer des lapins et la Société du parler français, des coups rasants. Sur leur revers, c’est un peu plus compliqué, surtout si la balle fait un bond capricieux ou si elle a des yeux. Ils doivent réagir rapidement, que la balle soit en jeu ou dans le territoire des fausses balles. Si, par extraordinaire, ils volent un coup sûr, un double, un triple ou un circuit, on les louange (à juste titre). Les joueurs retirés par leurs bons offices constituent des retraits; on Québec, on les dit morts. Chaque année, les meilleurs joueurs défensifs reçoivent un gant doré.

Les stratégies varient selon le nombre de coureurs et leur position. On ne joue pas de la même façon avec des coureurs aux extrémités (le premier et le troisième but), les buts remplis, les sentiers déserts, etc. Les entraîneurs conservateurs jouent le livre; ils fondent leurs décisions sur la tradition que ce livre (imaginaire) contiendrait.

De la même façon qu’il y des civilisations de l’oral, il y a des sports du livre.

 

Illustration : Ozzie Smith préparant un double jeu

Langue de balle. Cinquième manche

Bill Lee, The Wrong Stuff, 1984, couverture

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Cinquième texte d’une série.)

«Seul le lanceur sait.»
Serge Bouchard, Quinze lieux communs

Dans son livre De l’utilité de l’ennui. Textes de balle (voir le compte rendu de l’Oreille tendue ), Andrew Forbes accorde un rôle central aux lanceurs. Il leur consacre un chapitre complet, «Vriller dans l’espace», où l’on trouve des phrases comme celles-ci : «Les lanceurs sont des êtres spéciaux»; «Ils sont des superhéros […].» Or la batterie est composée d’un lanceur et d’un receveur, le second envoyant des signaux au premier. À ce titre, et pas seulement, le receveur joue un rôle crucial dans le déroulement du match et on ne devrait jamais l’oublier. Ancienne receveuse, l’Oreille sait de quoi elle parle.

Il y a différents types de lanceurs. Certains sont droitiers, d’autres gauchers (une patte gauche, un southpaw). Des élans sont compacts; d’autres, pas. (Motion est aussi attesté, sous l’influence de l’anglais.) On peut lancer par-dessus l’épaule ou de trois-quart. Le partant fait partie de la rotation : il a des départs de façon régulière. (On ne confondra pas la rotation des lanceurs avec la rotation de la balle ni avec la coiffe du rotateur.) Le releveur, en longue relève comme en courte relève, s’amène au monticule quand ses services sont requis. La longue relève est ingrate : sauf quand il s’agit de remplacer un artilleur blessé, on ne quitte souvent l’enclos des releveurs que dans une cause perdue, le partant ayant failli à la tâche. La courte relève est exigeante et excitante : le pompier ou closer est appelé à fermer les livres, à protéger ou à sauvegarder le match. Cela ouvre plusieurs possibilités : qui sera le lanceur de décision ? On lance de moins en moins de match complet.

Dans son arsenal, son répertoire de tirs, le lanceur a intérêt à en maîtriser plus d’un, surtout s’ils sont décevants : la rapide, la courbe, la courbe lente, la glissante, la tombante, la papillon, la balle fronde, la balle fourchette, le changement de vitesse, etc. Certains tirs trompent plus facilement les frappeurs que d’autres : la sous-marine, la balle lente ou la balloune (salutations à Pascual Perez). Une balle qui a de l’effet est réputée avoir de la zoune. Parmi les qualités d’un lanceur, il y a le bon bras, le contrôle (qui est une forme de visou), le mordant et la vélocité (rien de tel qu’une balle de feu ou une garnotte). À une époque, on pratiquait parfois la balle mouillée; ce n’était pas bien. Étienne Blanchard proposait d’appeler cette balle un crachat; il n’a pas été entendu.

Qu’attend-on du lanceur ? Qu’il connaisse bien la zone des prises (malheureusement, tous les arbitres n’ont pas la même). Qu’il défie les frappeurs — il peut même les mystifier avec ses offrandes — quitte à lancer à l’intérieur et à les repousser s’ils se placent trop près du marbre. Qu’il les envoie à la pêche. Qu’il vise les coins ou, carrément, qu’il lance à l’extérieur si la situation l’exige. Qu’il évite les buts sur balle, sauf s’ils sont intentionnels; dans certains cas, il vaut mieux, en effet, lancer autour d’un frappeur plutôt qu’en plein cœur du marbre. Qu’ils passent dans la mitaine le plus grand nombre possible de frappeurs; le retrait sur des prises simplifie la vie de tout le monde en défensive. Qu’il garde les sentiers déserts en affrontant le minimum de frappeurs. Qu’il force ses adversaires à se compromettre. Qu’il soigne sa moyenne de points mérités — qu’il la garde basse. Qu’il ait un bon geste avec des coureurs sur les sentiers.

Que doit-il éviter ? Il ne faut pas qu’il soit irrégulier; sinon, on ne sait jamais à quoi s’attendre. Les balles ne doivent pas être frappées solidement contre lui. Laisser une balle suspendue au dessus du marbre, c’est toujours une mauvaise idée. Un point a beau être non mérité, ce n’en est pas moins un point contre sa propre équipe. S’il est en retard dans le compte — s’il a donné plus de balles que de prises à un frappeur —, cela favorise son adversaire, qui peut se permettre d’être patient au bâton. Un mauvais lancer peut faire avancer les coureurs; c’est dangereux. (Quand c’est le receveur qui merde, on parle de balle passée.)

Le moment de gloire du lanceur est de trois ordres. Dans un blanchissage ou jeu blanc, son adversaire rentre bredouille au banc, dans l’abri des joueurs. S’il lance un match sans point ni coup sûr, il aura muselé l’autre équipe, mais il peut néanmoins lui avoir permis d’avoir des coureurs sur les sentiers. Le match parfait — fait de manches parfaites — est le summum de la réussite : personne n’aura même atteint le premier but. Pour le dire avec la mère de l’Oreille tendue, cela est rare comme de la marde de pape.

 

Illustration : couverture du livre de Bill Lee, un analyste subtil du travail des lanceurs, The Wrong Stuff (1984)

 

Références

Arcand, Bernard et Serge Bouchard, Quinze lieux communs, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1993, 212 p.

Forbes, Andrew, De l’utilité de l’ennui. Textes de balle, Montréal, Éditions de Ta Mère, 2017, 196 p. Édition originale : 2016. Traduction de Daniel Grenier et William S. Messier. Édition numérique.

Lee, Bill, with Richard Lally, The Wrong Stuff, New York, Viking Press, 1984, 242 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de balle. Quatrième manche

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(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Quatrième texte d’une série.)

À chaque présence (au bâton), le frappeur, qu’il soit droitier, gaucher ou ambidextre, quitte le cercle d’attente, il s’éloigne du préposé au bâton et il s’installe dans la boîte ou le rectangle des frappeurs. À quoi pense-t-il ? (Il est aussi, bien sûr, des frappeuses. On peut imaginer qu’elles vivent les mêmes interrogations.)

Qu’il y ait ou non des hommes sur les buts — ce sont des coureurs en position de marquer —, le frappeur souhaite le plus souvent faire contact avec la balle et la mettre en jeu. Il n’a pas nécessairement besoin de se casser la tête, de frapper d’aplomb ou sur le nez. Simplement étirer les bras ou frapper du bout du bâton fait parfois l’affaire pour placer la balle en lieu sûr.

Le frappeur peut frapper la balle en l’air : retroussée ou soulevée, elle partira en flèche ou donnera lieu à un ballon ou à une chandelle. Il vaut mieux qu’elle tombe dans l’allée ou à l’entre-champ que dans le gant du voltigeur. S’il l’envoie au sol, c’est un roulant; la proposition d’Étienne Blanchard, un lapin, n’a pas été entendue, pas plus que celle de la Société du parler français, un coup rasant. Si le roulant, avec ou sans yeux, perce l’avant-champ, c’est bien.

Dans les airs ou au sol, cela pourrait valoir au frappeur un simple (dans quelques cas, à l’avant-champ), un double, un triple ou un circuit. Tout ça dans un même match ? Cela s’appelle un carrousel.

Il existe plusieurs formes de la longue balle (le circuit). D’un seul élan, d’une seule claque, d’une seule cogne, d’une seule frappe, le frappeur peut changer le cours d’un match. Quand les buts sont remplis — qu’il y a trois hommes sur les buts —, c’est un grand chelem (l’Oreille tendue se souvient d’en avoir frappé un, au champ opposé, il y a un demi-siècle). Personne ? Le circuit est en solo. (Il n’y a pas d’expression spéciale pour le circuit avec deux ou trois coureurs sur les sentiers.)

Le circuit est le plus souvent frappé derrière la clôture, ce qui peut mener à une description comme celle-ci : «Puis [Gibson] dévisse une garnotte dans les gradins du champ droit» (le Devoir, 19 janvier 2016, p. B6). En 1988, Kirk Gibson a frappé avec beaucoup de puissance (il l’a «dévissé») le non moins puissant tir du lanceur adverse (sa «garnotte»). On dit que, dans certains stades, la balle voyage bien (c’est le cas en altitude, bref à Denver, au Colorado); cela favorise les frappeurs de puissance. Peu importe les conditions atmosphériques : il est bon de la sortir du stade. «Bonsoir, elle est partie !» aime s’égosiller un commentateur québécois.

Le circuit à l’intérieur du terrain, qui est généralement l’œuvre d’un marchand de vitesse, est rare. Dans The Great American Novel, Philip Roth en évoque un, un «inside-the-mouth grand-slam home run», qu’il est difficile d’oublier (éd. de 1980, p. 120).

En bon coéquipier, le frappeur peut se sacrifier, de deux façons. Dans les deux cas, il faut que les coureurs avancent d’un but, voire viennent marquer.

Il peut tenter un amorti ou un amorti surprise, soit le long de la ligne du premier (but), soit le long de la ligne du troisième (bis); vers le lanceur, ce n’est pas recommandé. Tout le monde ne maîtrise malheureusement pas cette technique. Ce coup retenu, quand il est déposé sans être complètement retenu, peut se transformer en coup filé, histoire de prendre la défensive à contre-pied.

Le ballon sacrifice est moins spectaculaire, mais pas moins efficace. Il s’agit d’envoyer la balle suffisamment loin du marbre — pas besoin d’aller à la clôture, mais c’est ce qu’il y a de plus simple : un long ballon est souvent bénéfique.

Si le frappeur ne touche pas à la balle, d’autres possibilités s’offrent à lui pour rejoindre les sentiers : être atteint par un lancer, soutirer un but sur balles, également nommée passe gratuite. Il existe même un cas où une balle passée sur une troisième prise lui donne l’occasion de foncer vers le premier but; c’est assez peu courant (sans jeu de mots).

Si le lancer ne lui convient pas, le frappeur peut retenir son élan — pas d’élan complet, donc, ni même de demi-élan — ou se contenter de protéger le marbre. Cette dernière pratique mène à une fausse balle : certaines sont expédiées dans les estrades, d’autres bondissent hors ligne. Ce n’est pas optimal, mais ça évite — ou reporte — un retrait.

Une chose est sûre : la patience ou la discipline au bâton est toujours bénéfique. Il faut savoir attendre son tir. On espère du frappeur qu’il produise des points, quand ce n’est pas le point victorieux. Il est responsable de pousser ses coéquipiers au marbre; il ne doit pas les laisser sur les buts ou mettre fin à une manche. Être trois en quatre flatte l’ego, mais ce n’est pas ce qu’on attend : des points, c’est mieux. Dans le meilleur des mondes possibles, le frappeur répartit ses coups aux trois champs. Il sait quand frapper derrière le coureur et quand étirer un simple en double (ou un double en triple). Il doit éviter de tomber ou de sombrer dans une léthargie; si, par malheur, cela lui arrive, il doit pouvoir la secouer ou en sortir.

Tous les frappeurs ne sont pas égaux. La position de chacun dans l’ordre ou l’alignement ou le rôle des frappeurs est révélatrice : on attend plus d’un quatrième frappeur que d’un neuvième. Se situer dans le haut, le milieu ou le bas de la formation n’a pas la même valeur. Le frappeur d’urgence ou frappeur substitut ou frappeur auxiliaire ou frappeur suppléant prend la place d’un coéquipier. Le frappeur désigné remplace celui qu’on suppose incapable de frapper, le lanceur. (Il y a des exceptions.) Certains ont une excellente moyenne au bâton; d’autres, pas.

Le frappeur veut frapper. Le lanceur veut l’en empêcher. Celui-ci essaie de jouer de finesse. Il peut forcer son adversaire à aller à la pêche sur un mauvais tir, à fendre l’air (s’élancer dans le vide, passer dans le beurre). S’il voit qu’il a un trou dans son élan, il peut essayer d’exploiter cette faiblesse et de le déjouer. S’il parvient à le menotter, il peut en résulter un bâton fracassé. Le retrait sur trois prises est son meilleur ami. C’est plus facile s’il est en avance sur le frappeur que s’il est en retard; voilà pourquoi il importe d’éviter les comptes complets (trois balles, deux prises). Forcer un frappeur à se compromettre dans un double jeu (ou double retrait), ce n’est pas mal non plus.

On le voit : avoir un bon œil ne suffit pas pour réussir au bâton.

 

Références

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Roth, Philip, The Great American Novel, New York, Farrar, Straus & Giroux, 1980, 382 p. Édition originale : 1973.

Langue de balle. Troisième manche

Jacques Poulin, Chat sauvage, 1998, couverture

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Troisième texte d’une série.)

 

«Une vingtaine de pages plus loin, toutefois, il fut de nouveau question de baseball. Une petite phrase me fit sursauter :

C’était la prise quatre.

J’étais atterré. Comme des millions d’amateurs de sport en Amérique, je savais très bien que le nombre de prises, au baseball, était limité à trois. Je refermai le roman, éteignis la veilleuse et me remis à la fenêtre. Le regard perdu dans la nuit, je me mis à penser aux nombreux traducteurs qui vivaient en France, de l’autre côté de l’Atlantique, et qui traduisaient des romans américains. Ils avaient toute ma sympathie, car je savais à quel point leur métier était difficile, et l’envie me vint de leur écrire une lettre.

Je voulais leur dire qu’il y avait au Québec, depuis peut-être un siècle, un grand nombre de gens qui pratiquaient le baseball et le football américain, et qu’ils le faisaient en français. Un français qui avec les années était devenu élégant et précis, grâce au travail de traduction accompli par les commentateurs sportifs de la radio et de la télé. C’est pourquoi je leur donnais un conseil, à titre de collègue : lorsqu’ils devaient traduire un roman américain contenant des passages sur le baseball ou le football, ils avaient intérêt à consulter un des nombreux Québécois qui vivaient à Paris ou ailleurs en France. Si cette démarche ne leur convenait pas, ils n’avaient qu’à donner un coup de fil à la Délégation du Québec : même la téléphoniste était en mesure de leur indiquer les traductions exactes. Pour ma part, j’étais disposé à réviser leurs textes tout à fait gratuitement, pour être enfin débarrassé des inepties qui encombraient la version française des romans américains.»

Jacques Poulin, Chat sauvage. Roman, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 1998, 188 p., p. 115-116.