Raideur inattendue

Arseniq33, Dansez, bande de caves, 2008, pochetteArseniq33, Dansez, bande de caves !, 2008, pochette

Soit les deux exemples suivants :

«J’te parle foule pine à ’planche ben raide
J’te parle dans ’face
Paye moué une bière si j’en ai plein mon cass
D’la langue de bois, celle d’Ottawa»
(Arseniq33, «J’use d’la langue», Dansez, bande de caves ! 15 ans d’arseniq33 [1992-2007], 2008)

«De toute évidence, une telle performance de [Marie-Philip] Poulin ne surprend plus personne. On a d’ailleurs compris, après la partie, qu’elle avait joué malgré un vilain rhume. “Je suis congestionnée ben raide !”, a-t-elle lâché en fin de conférence de presse. Ça ne l’a pas empêchée d’inscrire un tour du chapeau» (la Presse+, 30 janvier 2025).

Ben raide ? Dans le français populaire du Québec : complètement, totalement, mais aussi, selon Pierre DesRuisseaux, brusquement, abruptement (p. 36).

À votre service.

 

Référence

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Chantons la langue avec Arseniq33

Arseniq33, Dansez, bande de caves, 2008, pochetteArseniq33, Dansez, bande de caves !, 2008, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Arseniq33, «J’use d’la langue», Dansez, bande de caves ! 15 ans d’arseniq33 (1992-2007), 2008

 

J’use d’la langue
J’use d’la langue
J’use d’la langue

J’parle en enfant d’chienne de chien d’fusil
Enfirouapé de condition
Que j’parle depuis longtemps mais sûrement
Trop lentement mais sûrement
J’parle avec le grave accent d’la grenouille
Pognée dans misère
La langue des locataires
L’accent aigri c’t’un accent surcomplexe

J’use d’la langue que j’m’expresse le mieux avec tabarcriss

J’use d’la langue
J’use d’la langue
J’use d’la langue

J’te parle foule pine à ’planche ben raide
J’te parle dans ’face
Paye moué une bière si j’en ai plein mon cass
D’la langue de bois, celle d’Ottawa

Dans mon Amérique Arythmique du Nord
Y a du monde qui parle comme moué
Un peup’ pogné dans slush, pogné dans neige
Pogné dans slush, pogné dans neige, pogné dans marde

«Que reste-t-il de lui dans la tempête brève
Qu’est devenu mon cœur, navire déserté
Hélas ! Il a sombré dans l’abîme du rêve»
[Émile Nelligan]

J’use d’la langue que j’m’expresse le mieux avec tabarcriss

J’use d’la langue
J’use d’la langue
J’use d’la langue

J’récite mes cantouques, j’les récite en batêche
J’aurais signé mon nom au bas du manifeste
Calvaire du colonisé
On travaille avec c’qu’on est
Les mémoires d’l’alouette en colère
On les a tu oubliées ?
C’est tu ça une question claire ?
Ah laisse faire chu trop paqueté

J’use d’la langue que j’m’expresse le mieux avec

J’use d’la langue

 

P.-S.—Vous avez l’oreille : il a déjà été question d’Arseniq33 ici.

 

Ne pas décéder

Pierre Assouline, le Nageur, 2023, couverture

L’Oreille tendue recule rarement devant une bataille perdue d’avance. Par exemple, elle préfère mourir à décéder.

Dans le Nageur (2023), Pierre Assouline préférerait lui aussi un autre terme que décéder :

[Alfred Nakache] a bien été arrêté par la Gestapo à Toulouse le 20 décembre 1943 sur l’accusation de «propagande antiallemande» puis déporté dans deux camps successifs qui n’étaient pas des camps de vacances, et où sa femme et sa fille sont, comme l’a inscrit un fonctionnaire, décédées. Il pourrait le contresigner. Quoique, «décédées»… L’euphémisme est délicat, dans la pure tradition de l’administration, pour dire qu’elles ont été assassinées.

 

Référence

Assouline, Pierre, le Nageur, Paris, Gallimard, coll. «Blanche», 2023, 256 p. Édition numérique.

Citation outrée du jour

Adeline Dieudonné, Reste, 2023, couverture

Ceci, dans Reste (2023), le plus récent roman d’Adeline Dieudonné :

Le monde d’Hugo ne m’intéressait pas parce qu’il me rendait triste. Il m’a fallu plusieurs mois après notre séparation pour identifier exactement l’origine de cette tristesse. C’était son vocabulaire. Management, CEO, implémenter, data, digitalisation, customer, gestion des flux, expérience client, ressources humaines, target. Un vocabulaire de nazi. Hugo et moi ne parlions pas la même langue. Pourtant c’était un homme intelligent. Peut-être que c’est ça aussi qui me rendait triste. Toute cette intelligence gâchée.

Jusqu’à «nazi», l’Oreille tendue était assez d’accord avec cette détestation de la place des mots (anglais, notamment) de la gestion dans l’univers linguistique contemporain.

P.-S.—On ne confondra évidemment pas ce que dit un personnage et ce que pense sa créatrice.

 

Référence

Dieudonné, Adeline, Reste. Roman, Paris, Éditions de l’Iconoclaste, 2023. Édition numérique.

La phrase presque parfaite du jour

Schéma sur la réingénierie, l’efficience et l’efficacité, la Presse, 15 décembre 2003

«Avec une programmation resserrée autour de projets-phares centrés sur ce qui fait sa valeur ajoutée pour gagner en agilité et en efficacité pour un impact plus grand, l’OIF est désormais dotée d’un nouveau cadre stratégique 2023-2030.»

On pourrait penser que cette phrase, tirée d’un quotidien montréalais de cette fin de semaine, comporte tous les fétiches linguistique du management : «projets-phares», «valeur ajoutée», «agilité», «efficacité», «impact», «cadre stratégique».

De quoi l’Oreille tendue se plaint-elle alors ? Pourquoi pinaille-t-elle ? Elle déplore seulement l’absence d’«efficience». Pourquoi se priver de «pour gagner en agilité, en efficacité et en efficience» ? Cela aurait été si beau.