Chantons la langue avec Rock et Belles Oreilles

RBO, I want to pogne, 1989, disque 45 tours

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Rock et Belles Oreilles, «I want to pogne», 1989

 

I want to pogne
I want to pogne
Is it the reason that I speak in English ?
I want to pogne

I want to pogne
I want to pogne
I do not want to speak my tongue
I just want to pogne

I know I have a big accent eh
I know I’m not assez différent
But I want to pogne (I want to pogne)
And I have composed that song

I know the mathématiques
America is a big market
If there is more public
There is more money in my pocket-te

I want to pogne
I want to pogne
I am the Judas of the French Canada
I want-te to pogne

Frog in the USA
Frog in the USA
I’m gonna be the number one
254-6011

Icitte is a small marché
Icitte there is no débouché
I want to become very gros
And lâcher ma run de journaux

’Cause I prefer the Billy Idol
Than Jean Nichol
(Whoa, Lady Mary)
Solo’s

Pogne, pogne, po-pogne, pogne
Pogne, pogne, po-pogne, pogne
Pogne, pogne, po-pogne, pogne
Pogne, pogne, po-pogne, pogne

Frog in the USA
Frog in the USA
If they discover my origine
It’s all finish maudine

Don’t want to go in France
Don’t want to talk like the Français
’Cause I prefer the hamburger
Than the café au lait

I want, I want, I want to pogne
I want, I want, I want to pogne (encore)
I want, I want, I want to pogne
I want, I want, I want to pogne (yé)

I want to pogne (I want, I want)
I want to pogne (I want)
Is it the reason that I speak in English ? (I want, I want)
I want to pogne (I want)

I want to pogne (I want, I want, I want to pogne)
I want to pogne (I want)
I do not want to speak my tongue (I want, I want)
I just want to pogne (I want, I want)

I want to pogne (I want, I want)
I just want to pogne (I want, I want)
I want to pogne (I want to pogne)

 

Citation néologique du jour

Voltaire, buste

«Ni néologisme, ni servitude; mais la néologie convient aux Républiques : elle rendit la langue grecque complète et sonore; elle enrichit journellement la langue anglaise, lui a donné ce caractère mâle qui la distingue, et qui la rend propre aux discussions politiques. Un écrivain anglais est un homme libre, comme l’a dit Voltaire; un écrivain français doit l’être également. La langue que nous parlerons sera plus célèbre que celle des grands hommes du siècle de Louis XIV; et je ne vois pas pourquoi on sacrifierait aux talents les progrès que doit faire le génie de la liberté. Notre ordre social pouvant varier tous les neuf ans, il faut que notre langue soit susceptible de fournir les signes qui désigneront ces altérations.»

Bayard de la Vingtrie, Voyage dans l’intérieur des États-Unis, Paris, Batilliot, 1797, p. viij-ix.

Chantons la langue avec French B

Dessin de French B sur Apple Music

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

French B, «Je me souviens» / «Je m’en souviens», 1989

 

Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one

Je me souviens
Je me souviens

[Voix de Charles de Gaulle] Vive le Québec, Vive le [Voix de femme] Canada
[Voix de Charles de Gaulle] Vive le Québec, Vive le [Voix de femme] Ca-Canada
[Voix de Charles de Gaulle] Vive le Qué-Québec, Vive le Québec libre !
[Voix de Robert Charlebois] Sacrament !

Je me souviens
Je me souviens

J’m’en souviens d’la langue
D’la langue de Lepage
Pis celle de Tremblay
Et je parle la langue
De Ferron, de Gauvreau et de PDG
J’me souviens à mort
Du Vent du Mont Schärr !
M’as être encore pris pour tapiner Paris
Parce que la chicane est poignée dans cabane

Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one

Je me souviens
Je me souviens

J’m’en souviens d’la langue
De la langue des french kiss
J’m’en souviens encore
Mais pour combien de temps ?
J’m’en souviens tellement
Je la mettrais dans le vinaigre
Pour qu’elle dure plus longtemps
T’en souviens-tu d’la langue ?
Do you remember when we were French ?

Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens

 

P.-S.—Outre les paroles chantées par French B, on entend aussi des phrases en anglais et en français (Jacques Parizeau, Robert Bourassa, etc.).

P.-P.-S.—La formule «la langue de x» est commune, notamment au Québec.

P.-P.-P.-S.—En 2018, Johanne Melançon — pas de lien avec l’Oreille tendue — a étudié cette chanson et son vidéoclip : «Des lieux de mémoire sont […] convoqués par les paroles et par les images; ces événements historiques et ces symboles sont rappelés à la mémoire pour nourrir un discours engagé, cherchant à sensibiliser à une certaine urgence d’agir» (§ 9).

 

Référence

Melançon, Johanne, «La chanson québécoise, vecteur de l’histoire, de la mémoire et de l’identité», dans Marc Bergère, Hélène Harter, Catherine Hinault, Éric Pierre et Jean-François Tanguy (édit.), Mémoires canadiennes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. «Des Amériques», 2018, p. 197-206. https://doi.org/10.4000/books.pur.138885

 

Néologismes négatifs du jour

«Solidarité féministe contre le violarcat», graffiti, 2016

Tout va mal ? Les néologues sont d’accord avec vous, en anglais comme en français.

Le gouvernement états-unien est dominé par des potes oligarques ? Parlez de broligarchy.

La pollution s’associe au pouvoir ? Dénoncez les pollutocrates.

Le harcèlement des femmes noires fait rage ? Méfiez-vous du misogynoir.

Le déni climatique épouse la misogynie ? Fuyez la pétromasculinité.

La violence sexuelle rejoint le patriarcat ? Vous devez vous en prendre au violarcat et à la manosphère, voire à la raposphere.

Les frontières entre le travail et la vie personnelle s’effacent ? Prémunissez-vous contre le blurring.

Un richard explique à un pauvre comment sortir de la pauvreté ? Ne le laissez pas richespliquer.

Le travail que vous pratiquez vous déplaît ? Peut-être souffrez-vous de ressentéisme.

Certaines personnalités politiques mésusent des réseaux sociaux ? Désabonnez-vous des trolliticiens.

À votre service.

Les (non-)langues de Montréal

Trois couvertures de livres de Ricochet

Il y a plusieurs lustres, l’Oreille tendue a collaboré aux travaux du groupe de recherche Montréal imaginaire (bibliographie ici). Dans ce contexte, elle a lu beaucoup de romans anglomontréalais.

Cette expérience lui est revenue récemment, quand elle a lu trois romans republiés (malheureusement sans tout le soin éditorial nécessaire) par les éditions Véhicule Press, à l’enseigne de Ricochet Book. Il s’agit de romans policiers montréalais écrits en anglais et longtemps tombés dans l’oubli.

Que peut-on tirer de ces trois œuvres sur le plan de la représentation romanesque des langues de Montréal au début des années 1950 ?

The Mayor of Côte St. Paul (1950), de Ronald J. Cooke, fait se rencontrer deux jeunes Canadiens, Cherie Williams, de la Nouvelle-Écosse, et l’apprenti écrivain Dave Manley, du Manitoba. Sur la rue Saint-Laurent, ils peuvent entendre une variété de langues étrangères («A variety of foreign languages», p. 112) — mais pas de français. En effet, cette langue n’existe, sous la plume de Cooke, que par des noms de lieux (y compris le quartier «St. Henry», p. 41) et des marques commerciales so Frenchyl’Aimant perfume», p. 116; champagne «Vieux bleu, 1913», p. 122). Pareille absence étonne un brin.

The Body on Mount Royal (1953), de David Montrose, met notamment en scène un francophone, le policier Framboise (!). Chez Cooke, ce sont les Chinois qui parlent un anglais approximatif (p. 33, p. 59). Chez Montrose, c’est ce policier : «“T’at’s a new word,” Framboise said delightedly. He took out a small, dirty notebook and a greasy pencil stub and painfully wrote “yestermorning” on one of the pages. “Trying to himprove my Henglish,” he said in explanation» (p. 47). Il note un nouveau mot («yestermorning»), ce qui devrait le connoter positivement, mais il manque de hT’at’s» pour «That’s») ou il en a de trop («himprove» pour «improve»; «Henglish» pour «English»), ce qui le disqualifie linguistiquement.

En 1945, Hugh MacLennan publiait son célèbre roman Two Solitudes. Le constat est encore juste une décennie plus tard pour ces deux romans.

Blondes Are My Trouble (1954), de Douglas Sanderson, est plus intéressant sur le plan de la représentation des langues montréalaises. On y apprend que la maîtrise du français est indispensable à qui veut gravir les échelons de la prostitution jusqu’à ses plus hautes sphères (p. 47, p. 65), ne serait-ce que pour savoir ce qu’est un «maquereau» (p. 50). Cette maîtrise peut s’acquérir grâce à des enregistrements sonores : une phrase est dite en anglais, puis en français, avant que l’apprenti(e) ne la répète (p. 12, p. 61, p. 64-65, p. 187). Le bilinguisme n’est pas monnaie courante : «He [le capitaine Masson] still didn’t see how I could claim to speak both languages properly» (p. 9). Contrairement à ce qu’on voit partout, la partition linguistique montréalaise, entre anglophones et francophones, ne passerait pas par la rue Saint-Laurent, mais par la rue Bleury (p. 125-126). L’arsenal des jurons serait mieux garni en français qu’en anglais (p. 165).

Il est dit périodiquement du héros, Mike Garfin, qu’il passe du français à l’anglais, et vice versa (p. 11-12, p. 47, p. 60), mais aucune phrase en français n’est reproduite. Le traitement des disques pédagogiques n’en donne pas plus à entendre, ce qui paraît contre-productif : «I stood at the door listening and a guy said to her in English, “That’s a very pretty dress you’re wearing today.” He didn’t sound really interested. Another voice said in French : “That’s a very pretty dress you’re wearing today”» (p. 70). La dernière phrase serait donc en français ? Ces disques viennent de Paris, ainsi que l’atteste l’accent des collaborateurs (p. 70).

Continuons à tendre l’oreille : il se passait des choses dans le polar anglomontréalais des années 1950.

P.-S.—Le 22 novembre 1992, pour la table ronde «Montréal imaginaire» de la Eighth Biennial Conference de l’American Council for Québec Studies, à Montréal, l’Oreille faisait une intervention intitulée «La difficile cohabitation des langues dans le roman anglophone de Montréal». Ça ne la rajeunit pas.

P.-P.-S.—On ne peut rien vous cacher : l’Oreille a déjà cité The Body on Mount Royal, de ce côté, puis .

 

Références

Cooke, Ronald J., The Mayor of Côte St. Paul, Montréal, Véhicule Press, A Ricochet Book, 2015, 127 p. Édition originale : 1950. Introduction de Brian Busby.

Montrose, David, The Body on Mount Royal, Montréal, Véhicule Press, A Ricochet Book, 2016, 237 p. Édition originale : 1953. Introduction de Kevin Burton Smith. David Montrose est le pseudonyme de Charles Ross Graham.

Sanderson, Douglas, Blondes Are My Trouble, Montréal, Véhicule Press, A Ricochet Book, 2015, 199 p. Édition originale : 1954 sous le titre Darker Traffic et le pseudonyme de Martin Brett. Introduction de J.F. Norris.