Le latin de Cleo Birdwell

Cleo Birdwell, Amazons, 1980, couverture

«I don’t know who wrote it.
Who writes these things ?
Does anybody know ?
»

En 1980 paraît à New York Amazons. An Intimate Memoir by the First Woman Ever to Play in the National Hockey League. Ces Mémoires (majuscule, masculin, merci) fictifs sont signés Cleo Birdwell, mais leurs auteurs sont en fait Don DeLillo et Sue Buck. (DeLillo a mis du temps à reconnaître sa copaternité; voir, par exemple, l’entretien donné à David Marchese pour le New York Times en 2020.)

Ceux qui s’attendraient à des propos sportifs soutenus seront déçu : «La première femme à jamais jouer dans la Ligue nationale de hockey», à sa première saison, à 23 ans, score beaucoup plus souvent sexuellement que sur la glace, d’où le «Intimate» du sous-titre.

Le roman est très souvent désopilant. La satire du charlatanisme médical réjouit. L’Oreille tendue ne connaissait pas les vertus anti-érectiles du mot «Watergate». Quand son père explique à la jeune Cleo le sens des expressions vulgaires qu’elle va sûrement entendre dans les vestiaires et sur la glace, on se croirait chez François Blais. Les relations tentaculaire de la mafia et de la motoneige sont inattendues. Certain duel, pas seulement à l’épée, dans l’église en ruine d’une plantation du vieux Sud vaut le détour. Quand son équipe change de main et passe sous le contrôle de mystérieux «men in the Gulf», Cleo donne un nouveau sens à l’expression «tir voilé». L’ailière des Rangers de New York est un aimant à confession : tout un chacun se confie à elle; c’est le cas de son entraîneur, Jean-Paul Larousse (!), qui insiste pour lui parler en français, langue qu’elle ne maîtrise pourtant pas. Cela se termine souvent au lit, ce qui ne fait que rarement taire la hockeyeuse : écouter ne l’empêche jamais de parler. Bémol : la fin du roman est complètement bâclée.

Ce qui nous amène au latin. La mère de Cleo enseignait cette langue dans la ville où elle a élevé sa famille, Banger (Ohio). Sa fille a bien suivi ses enseignements : «“That’s my penis.” / “I know what it is. It’s from the Latin”» (p. 27); «“Does it have a Latin name ?” […] “Frenulum,” I said. “And that technique isn’t for impotence, it’s for premature ejaculation”» (p. 65); «Sanders licked me everywhere, nuzzled my labia, from the Latin […]» (p. 72); «I guess he felt that an intake of air would give his silhouette a touch of extra sveltness, from the Latin» (284).

Cleo Birdwell a plus d’une langue dans son sac.

P.-S.—En papier, Amazons est rare comme de la marde de pape, et donc cher : Don DeLillo en a toujours refusé la réédition. Heureusement, il est disponible gratuitement en ligne grâce aux bienfaiteurs de l’humanité d’Internet Archive.

 

Références

DeLillo, Don et Sue Buck, Amazons. An Intimate Memoir by the First Woman Ever to Play in the National Hockey League, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1980, 390 p. Sous le pseudonyme de Cleo Birdwell. https://archive.org/details/amazonsintimatem00deli/page/n5/mode/2up

Marchise, David, «We All Live in Don DeLillo’s World. He’s Confused by It Too», The New York Times, 11 octobre 2020.

Oreilles latines

Ken Dryden, The Class, éd. de 2024, couverture

Dans The Class, Ken Dryden offre une autobiographie de groupe, celle des 35 élèves d’une classe du Etobicoke Collegiate Institute (1960-1965), «the Brain class».

À cette époque, on étudiait encore le latin. Un professeur demandait alors à ses élèves de traduire la phrase «semper ubi sub ubi» (p. 85). En anglais, cela donnait, littéralement, «Always where under where» («Always wear underwear», «Portez toujours des sous-vêtements»). Les élèves n’oublieront jamais cette phrase.

Quelques années plus tard — c’est dire son âge canonique —, l’Oreille tendue étudiera à son tour le latin dans une école publique. Son professeur — celui-là — pratiquait un exercice semblable. «Abeille agile» ? «Agilis apis» («a pisse» => «elle pisse»). L’Oreille n’oubliera jamais cela.

P.-S.—Oui, c’est le Dryden dont il a été question, par exemple, ici et .

 

Référence

Dryden, Ken, The Class. A Memoir of a Place, a Time, and Us, Toronto, McClelland & Stewart, 2024, 479 p. Édition originale : 2023.

Fil de presse 053

Charles Malo Melançon, logo, mars 2021

 

Parutions linguistiques chaudes, pour temps froid.

Bergounioux, Gabriel, les Origines de la sémantique de Franz Bopp à Michel Bréal, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, coll. «Linguistique et sociolinguistique», 2024, 168 p.

Cahiers de lexicologie, 125, 2025, 249 p. Dossier «La connotation et la dénotation en terminologie», sous la direction de Rute Costa et Federica Vezzani.

Durand, Jacques et Chantal S. Lyche, Paul Passy, un linguiste révolutionnaire. Réforme de l’orthographe, didactique des langues, alphabet phonétique international, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, coll. «Linguistique et sociolinguistique», 2024, 368 p.

Études de linguistique appliquée, 212, octobre-décembre 2023, 126 p. Dossier «Aux origines de la lexicographie. Pierre Richelet».

Etudes de linguistique appliquée, 214, 2024, 128 p. Dossier «Les interjections dans les dictionnaires monolingues, bilingues, spéciaux et de spécialité», sous la direction de Valerio Emanuele, Francesco Paolo, Alexandre Madonia et Danguole Melnikien.

Etudes de linguistique appliquée, 215, 2024, 128 p. Dossier «Langue française et F/francophonie : vecteurs d’employabilité et de développement ? Regards sur l’Afrique et l’Asie», sous la ditrection dIsabelle Bokhari et Danh-Thành Do-Hurinville.

European Journal of Language Policy, 16, 2, 2024.

Fàbregas i Alegret, Immaculada et Mercè Pujol Berché (édit.), Antoni Badia i Margarit. La llengua per damunt de tot. La langue par-dessus tout, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, coll. «Joan Lluís Vives», 2024, 120 p.

Finegan, Edward et Michael Adams (édit.), The Cambridge Handbook of the Dictionary, Cambridge, Cambridge University Press, 2024.

Le Français préclassique, 26, 2024, 190 p. Dossier «La terminologie à la Renaissance».

Garner, Bryan A. et Jack Lynch, Hardly Harmless Drudgery. A 500-Year Pictorial History of the Lexicographic Geniuses, Sciolists, Plagiarists, and Obsessives Who Defined the English Language, Jaffrey, David R. Godine, Publisher, 2024, 520 p.

GLAD ! Revue sur le langage, le genre, les sexualités, 17, 2024. Dossier «Langues de vipères ! Genre, animalité et langage», sous la direction de Perrine Beltran, Jeanne Mousnier-Lompré, Clara Lyonnais-Voutaz et Joséphine Guichard.

Journal of English Lexicology, special issue, 3, 2024. Dossier «The Impact of Multilingualism on the Vocabulary and Stylistics of Medieval English».

Khanh Dang, Hong (édit.), Variations francophones. Vers une Francophonie renouvelée, Paris, Éditions du Félin, 2024, 416 p.

Král, Françoise, la Colère des langues. Imaginaires polyglottes à l’ère de la mondialisation, Paris, Classiques Garnier, coll. «Littérature, histoire, politique», 61, 2024, 205 p.

Le Pipec, Erwan, Quel breton parle-t-on à l’école ? Enquête dans une classe bilingue de cycle 3, Paris, L’Harmattan, coll. «Enfance éducation et société», 2024, 330 p.

Meney, Lionel, la Sociolinguistique entre science et idéologie, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, coll. «Linguistique et sociolinguistique», 2024, 128 p.

Mise au point, 19, 2024. Dossier «Langues minoritaires à l’écran : mémoires et revendications», sous la direction de Patricia Caillé et Florence Martin.

Mots. Les langages du politique, 136, 2024. Dossier «Les mots des “guerres culturelles”. Entre enjeux discursifs et visées argumentatives», sous la direction de Alma-Pierre Bonnet, Denis Jamet-Coupé et Cédric Passard.

Pruvost, Jean, 100 mots latins pour bien écrire 1000 mots français, Paris, Les Belles Lettres, coll. «Les petits latins», 19, 2024, 168 p. Illustrations de Djohr.

Ratcliff, Marc J., le Tournant linguistique du XVIIIe siècle. Études d’histoire de la langue scientifique, Genève, Droz, coll. «Travaux d’histoire éthico-politique (Bibliothèque des Lumières)», 2024, 496 p.

Salazar, Philippe-Joseph, Contre la rhétorique. Comment les mots des démagogues prennent le pouvoir, Paris, Éditions du Cerf, 2024, 192 p.

Schang, Béatrice, Enseigner la grammaire au collège. De la préparation de la séance de langue à sa mise en œuvre, Paris, Dunod, 2024, 240 p.

Siouffi, Gilles, Paris-Babel. Histoire linguistique d’une ville-monde, Arles, Actes Sud, 2025, 368 p.

Sprenger-Charolles, Liliane, Anne Abeillé et Bernard Cerquiglini, Rationaliser l’orthographe du français pour mieux l’enseigner. Synthèse de la recherche et recommandations, Paris, ministère de l’Éducation nationale et de la jeunette, Conseil scientifique de l’éducation nationale, juin 2024, 38 p.

Fil de presse 052

Charles Malo Melançon, logo, mars 2021

Marée automnale de livres et de numéros de revues sur la langue.

Avanzi, Mathieu (édit.), le Fabuleux Destin des mots. De 1960 à nos jours. 60 années de langue française, Paris, Le Robert, 2024, 192 p. D’après l’œuvre d’Alain Rey.

Cahiers d’histoire russe, est-européenne caucasienne et centrasiatique, 65, 2, 2024, 511 p. Dossier «Langues et professions en Russie au XVIIIe siècle», sous la direction d’Igor Fedyukin et Vladislav Rjéoutski.

Chenavier, Robert et Élisabeth Jacob-Boisson (édit.), Linguistique, anthropologique, éthique. Rencontres autour de la pensée d’André Jacob, philosophe centenaire, Paris, Classiques Garnier, coll. «Rencontres», 630, 2024, 406 p.

Denizot, Aude, Pourquoi nos étudiants ne savent-ils plus écrire ? Les ravages de la photocopieuse, Paris, Enrick B Éditions, 2024.

Devilla, Lorenzo, les Parlers jeunes à l’affiche dans les films de banlieue. Enjeux sociolinguistiques, sociodidactiques et traductifs en FLE, Louvain-la-Neuve, EME Éditions, coll. «Proximités. Sociolinguistique et langue française», 2024, 256 p.

Dictionnaire du chilleur, Montréal, Le Robert Québec, 2024.

Dijoud, Karine, Miscellanées. L’élégance de la langue française, Paris, Le Robert, 2024, 192 p.

Les Expressions françaises. Quelle histoire !, Paris, Le Robert, 2024, 520 p.

Farjat, Juliette, le Langage de la vie réelle. Pour une philosophie des pratiques langagières, Paris, Éditions sociales, coll. «Les éclairé.e.s», 2024, 344 p.

Ferey, Amélie, Les mots, armes d’une nouvelle guerre ?, Paris, Le Robert, coll. «Temps de parole», 2024, 240 p.

Gasquet-Cyrus, Médéric et Christophe Rey, Va voir dans le dico si j’y suis ! Ce que les dictionnaires racontent de nos sociétés, Ivry-sur-Seine, Éditions de l’Atelier, 2024, 248 p.

Glass, Leliaa, Markus Dickinson, Chris Brew et Detmar Meurers, Language and Computers. 2nd Edition, Berlin, Language Science Press, coll. «Textbooks in Language Sciences», 14, 2024.

Goudreault, David (édit.), Ta langue !, Montréal, Le Robert Québec, 2024, 208 p.

Larochelle, Claudia et Biz, Nos géantes, nos géants. Le français au Québec en 22 destins, Montréal, Éditions de la Bagnole, 2024, 216 p. Illustrations de Benoît Tardif.

Loison-Leruste, Marie et Gwenaëlle Perrier, l’Écriture inclusive. Le langage est politique !, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, coll. «L’opportune», 2024, 64 p.

Mannoni, Olivier, Coulée brune. Comment le fascisme inonde notre langue, Paris, Héloïse d’Ormesson, 2024, 192 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 159 p. Édition revue et augmentée. Préface d’Olivier Niquet. Illustrations de Julien Del Busso. Édition originale : 2014.

Milak, Eldin et Ana Tankosic (édit.), Becoming a Linguist. Advice from Key Thinkers in Language Studies, Londres, Routledge, 2024, 194 p.

Nadeau, Jean-François, les Têtes réduites. Essai sur la distinction sociale dans un demi-pays, Montréal, Lux éditeur, 2024, 236 p.

Petras, Cristina, Sonia Berbinski, Daciana Vlad et Raluca-Nicoleta Balatchi (édit.), Marqueurs métalinguistiques : émergence, discours, variation / Metalinguistic Markers : Emergence, Discourse, Lausanne, Peter Lang, coll. «Linguistic Insights. Studies in Language and Communication», 309, 2024, 758 p.

Pullum, Geoffrey K., The Truth About English Grammar, Polity, 2024, 176 p.

Roche, Gerald, The Politics of Language Oppression in Tibet, Ithaca, Cornell University Press, 2024, 264 p.

Sallenave, Thibaut, Luigi-Alberto Sanchi et Cécilia Suzzoni, Du latin à l’école!, Paris, Fayard, 2024, 80 p.

Sansal, Boualem, Le français, parlons-en !, Paris, Éditions du Cerf, 2024, 192 p.

The Journal of Electronic Publishing, 27, 1, 2024. Dossier «Multilingual Publishing and Scholarship».

Accouplements 227

Max Weinreich, «A language is a dialect with an army and navy», en anglais et en yiddish, 1945

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Essai sur le caractère et les mœurs des François comparés à ceux des Anglois, À Londres, 1776, 284 p. Paru anonymement. Texte de Jean-Jacques Rutlidge. (Orthographe modernisée.)

«Lorsque la langue d’un peuple devient plus générale que celle d’un autre, nous n’en devons pas tant chercher la cause dans son excellence, que dans les considérations politiques qui peuvent opérer cet effet. Quand une grande nation brille avec éclat et étend sa puissance par ses conquêtes et ses établissements, il est naturel que le monde en prenne connaissance, et il s’ensuit nécessairement que l’usage de sa langue s’étende à proportion de la correspondance que ses acquisitions et la multiplicité des affaires forcent d’avoir avec elle. Ainsi, la langue latine devint universelle du temps des Romains, et l’espagnol a été aussi à la mode que le français l’est aujourd’hui : mais on ne doit pas inférer de là que les nations française ou espagnole aient été en vénération chez leurs voisins, dès qu’on voit au contraire que leur politique les a fait détester. Rien que la nécessité de négocier avec elles n’a pu obliger de parler leur langue, parce que leur interposition dans toutes les affaires la rendait la plus commune : d’où l’on peut conclure que l’extension de la langue française, ce motif si souvent plaidé en sa faveur, au lieu de nous convaincre de son excellence et de la préférence qu’elle mérite, a un effet contraire et sert plutôt à nous rappeler l’ambition et l’inquiétude qui sont la vraie et injuste origine de cette vaste extension» (p. 268-269).

Weinreich, Max, Yivo [Yiddish Scientific Institute] bleter, 25, 1, 1945.

«A language is a dialect with an army and navy.» (Pour en savoir plus, voir ici ou .)

Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac

«Une langue, c’est un dialecte qui s’est doté un jour d’une armée, d’une flotte et d’un commerce extérieur…» (éd. de 1986, p. 118)

Plamondon, Éric, Oyana, Meudon, Quidam éditeur, 2019, 145 p.

«Je n’ai jamais oublié cette phrase qu’il m’avait dite : une langue, c’est un patois qui a gagné la guerre» (p. 45).

 

P.-S.—Les citations de Belleau et de Plamondon vous disent quelque chose ? C’est normal.