L’anglais est une langue facile

Le Mariage de Figaro, 1784, Mlle Olivier dans le rôle de Chérubin, gravure de Coutellier

C’est Figaro qui le dit :

Diable ! C’est une belle langue que l’anglais ! il en faut peu pour aller loin. Avec God-dam, en Angleterre, on ne manque de rien nulle part. — Voulez-vous tâter d’un bon poulet gras ? entrez dans une taverne, et faites seulement ce geste au garçon. (Il tourne la broche.) God-dam ! on vous apporte un pied de bœuf salé, sans pain. C’est admirable ! Aimez-vous à boire un coup d’excellent bourgogne ou de clairet ? rien que celui-ci. (Il débouche une bouteille.) God-dam ! on vous sert un pot de bière, en bel étain, la mousse aux bords. Quelle satisfaction ! Rencontrez-vous une de ces jolies personnes qui vont trottant menu, les yeux baissés, coudes en arrière, et tortillant un peu des hanches ? mettez mignardement tous les doigts unis sur la bouche. Ah ! God-dam ! elle vous sangle un soufflet de crocheteur : preuve qu’elle entend. Les Anglais, à la vérité, ajoutent par-ci, par-là, quelques autres mots en conversant; mais il est bien aisé de voir que God-dam est le fond de la langue; et si Monseigneur n’a pas d’autre motif de me laisser en Espagne…

Beaumarchais, la Folle Journée ou le mariage de Figaro, dans Théâtre, texte établi, introduction, chronologie, bibliographie, notices, notes et choix de variantes par Jean-Pierre de Beaumarchais, Paris, Garnier, coll. «Classiques Garnier», 1980, xxxi/475 p., p. 249, acte III, sc. V. Édition originale : 1784.

 

Illustration : le Mariage de Figaro, créée le 27 avril 1784 au Théâtre-Français, mademoiselle Olivier dans le rôle de Chérubin, gravure de Coutellier.

Autopromotion 333

Dérapages poétiques. Volume 1, 2017, couverture

Ce soir, vers 17 h 40, au micro d’Annie Desrochers, à l’émission le 15-18 de la radio de Radio-Canada à Montréal, l’Oreille tendue ira causer de l’ouvrage Dérapages poétiques. Volume 1, dont elle signe la préface.

Sur le projet Dérapages poétiques, on peut lire le Devoir ou Métro.

La réception de l’ouvrage ? Voyez ici ou . Elle est bonne.

 

[Complément du jour]

On peut (ré)entendre l’entretien ici.

L’ouvrage vient d’être recommandé par Émilie Perreault.

 

Référence

Dérapages poétiques. Volume 1, Montréal, Atelier 10, 2017, 222 p. Préface de Benoît Melançon. https://doi.org/1866/28757

Le fatal et le fortuit

Jean-Philippe Toussaint, Made in China, 2017, couverture

«si on veut que la réalité chatoie,
il faut bien la romancer un peu»

Les lecteurs de Nue, le roman que publiait Jean-Philippe Toussaint en 2013, se souviennent de sa scène d’ouverture : une mannequin, portant une robe en miel, est suivie d’un essaim d’abeilles, puis le scénario capote.

En 2014, Toussaint se rend en Chine pour tourner, avec son ami et éditeur Chen Tong, un court métrage reprenant cette scène. The Honey Dress est diffusé en 2015. (On peut voir le film ici.)

Made in China, qui a paru il y a quelques semaines, raconte, entre autres choses, le tournage du film : la nécessité de travailler avec des interprètes, le choix d’un décor, l’embauche d’un apiculteur et d’une actrice principale, les répétitions et, avec un réel humour, la confection ou la recherche des accessoires (crinoline, miel, abeilles vivantes et mortes, string). Chen Tong, qui n’en est pas à son premier film avec Toussaint, ne manque pas de ressources :

Chen Tong était rompu maintenant à l’art délicat de satisfaire à mes exigences les plus insolites quand je venais tourner un film en Chine. Il m’avait déjà déniché une voiture de police, une moto, un hors-bord, un cheval et un Boeing (alors, un apiculteur, vous pensez) (p. 139).

Toussaint évoque souvent, dans la première des deux parties du livre, leurs multiples collaborations, lui qui en est à son septième voyage en Chine quand il y débarque en novembre 2014 (p. 44).

Tissé à ce journal de tournage, pendant lequel l’auteur a tenu des carnets (p. 120), un double art romanesque (comme on dit «art poétique») se donne à lire.

Il y a plusieurs passages sur le livre en train de se faire, ce Made in China qui désigne à la fois le film réalisé en Chine et le texte que le lecteur tient entre ses mains. Toussaint avait commencé, avant de partir à Guangzhou, la rédaction d’un «essai littéraire», le Fatal et le Fortuit (p. 123). Il en reprend la matière, mais sous une forme imprévue :

N’avais-je pas intérêt, romancier que je suis, à enrober les réflexions théoriques que je voulais exprimer sur le hasard de la substance sensuelle de la vie même ? Il est sans doute illusoire de vouloir extraire un seul élément de l’écheveau des causes enchevêtrées qui président à l’origine d’un livre. Comment, en effet, retrouver la figure initiale, l’image ou l’idée première qui a amorcé l’écriture d’un livre derrière les multiples couches de sédiments, les dépôts successifs, l’accumulation de mots et de variantes, de renoncements et de retours en arrière, d’idées, d’ébauches, de scènes entrevues et abandonnées, de chatoiements de couleurs et d’émotions qui se sont amoncelés et mélangés tout au long des mois de maturation et d’écriture, mais l’intuition première, l’étincelle initiale qui est à l’origine de Made in China, je l’ai eue dans la voiture qui me menait à la Foire de Canton en ce jour de novembre 2014 (p. 124).

Une «lueur de fiction» (p. 114) se mêle au «quotidien réel» (p. 121) : «Car même si c’est le réel que je romance, il est indéniable que je romance» (p. 114). Dès lors, il est difficile de définir Made in China. Autofiction ? Roman ? Fiction ? Récit ?

Mais ce n’est pas uniquement à l’écriture de ce livre que réfléchit Toussaint; un long développement porte sur la nature même du geste d’écrire chez lui (p. 70-84), voire sur toute création artistique. Comment celle-ci fait-elle vaciller «l’ordre du réel» (p. 70) ? Peut-elle isoler des «bruits extérieurs du monde» (p. 73) ? De quelle façon fait-elle résonner entre elles plusieurs temporalités ? Que choisir dans la «dualité inhérente à la création — ce qu’on contrôle, ce qui échappe» (p. 80) ? Faut-il choisir ?

«Je suis chez moi, dans ce livre […]», écrit Toussaint (p. 150). C’est incontestable, mais il n’y est pas seul.

P.-S.—«De casuistes nuances avaient surgis» (p. 175) : ce «s» à «surgis» fait mal à lire.

 

Références

Toussaint, Jean-Philippe, Nue. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2013, 169 p.

Toussaint, Jean-Philippe, Made in China, Paris, Éditions de Minuit, 2017, 187 p.

Un été

Mikella Nicol, Aphélie, 2017, couverture

«Moi, j’aurais plutôt besoin qu’on range ma vie.»

Pendant une canicule, dans une ville pouvant être Montréal, la narratrice (dont on ne connaîtra pas le nom) du roman Aphélie travaille de nuit, après de «longues études» (p. 42), dans un centre d’appel pour une compagnie de télécommunications (c’est une sinécure), est triste, boit avec son vieil (et seul) ami Louis dans un bar miteux, croise la mutique Florence (qui est en quelque sorte son double, du moins sur le plan physique), s’entiche de Mia, se passionne pour les reportages télévisés sur un fait divers (où Anaïs Savage peut-elle bien être passée ?), s’ennuie, sue et saigne, échange des textos, consulte son horoscope (en anglais), se fait larguer par Julien, se souvient douloureusement de sa relation avec B., sans pour autant complètement se détacher de lui. Ça ne paraît pas se terminer sous les meilleurs augures.

 

Référence

Nicol, Mikella, Aphélie. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 116 p.

Le niveau baisse ! (en Allemagne aussi)

Gilles Marcotte, Notes pour moi-même, 2017, couverture

«Curieusement, je tombe — c’est curieux, je tombe toujours chez George Steiner, dans n’importe lequel de ses livres je tombe, en l’ouvrant par hasard, sur des textes qui rejoignent ce que je viens de lire ailleurs! — sur un essai où, plus violemment que nos amis français, il annonce la mort d’une autre langue européenne, l’allemande. “Ce qui est mort, c’est la langue allemande. Ouvrez les journaux, les magazines, le flot des livres populaires ou savants qui s’écoule des nouvelles imprimeries; allez entendre une pièce de théâtre; écoutez l’allemand tel qu’on le parle au Bundestag. Ce n’est plus le langage de Goethe, Heine ou Nietzsche. Ce n’est même plus celui de Thomas Mann. Quelque chose d’immensément destructeur lui est arrivé. Cela fait du bruit. Cela peut même communiquer, mais non créer un sentiment de communion”.»

Source : Gilles Marcotte, Notes pour moi-même. Carnets 2002-2012, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2017, 354 p., p. 291-292.

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture