L’oreille tendue de… Daniel Grenier

Daniel Grenier, Françoise en dernier, 2018, couverture

«François les a laissés continuer pour aller refermer et verrouiller la porte du patio. Elle a tendu l’oreille. Ils se parlaient tout bas, elle disait : t’as vu la peinture, là, tu penses-tu que ça vaut de quoi ? Et il a répondu : prends-la, on sait jamais. Non, fuck that, c’est sûrement une reproduction cheap du Ikea.»

Daniel Grenier, Françoise en dernier. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 16, 2018, 217 p., p. 38.

Accouplements 131

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Cronk, Nicholas et Glenn Roe, «The Humanist World of Voltaire’s Correspondence», entrée de blogue, Voltaire Foundation, 7 février 2019. https://voltairefoundation.wordpress.com/2019/02/07/the-humanist-world-of-voltaires-correspondence/

«Overwhelmingly Voltaire prefers to quote Latin poets; and that Horace, Virgil and Ovid should be the top three is hardly surprising, though the presence of Horace is dominant. There is breadth as well as depth here, and the list goes beyond the usual suspects to include minor figures such as Manilius, Statius, and Cato the Elder. Does this mean, for instance, that Voltaire is quoting someone like Manilius from memory ? If so, how interesting and altogether unexpected.»

Claude Rains, jouant le colonel Renault, dans Casablanca, le film de Michael Curtiz de 1942 (pour lequel l’Oreille tendue a un faible) :

«Round up the usual suspects.»

https://www.youtube.com/watch?v=cqFVLAKaEWs

Former de nouveaux chercheurs

Yves Chevrel et Yen-Maï Tran-Gervat, Guide pratique de la recherche en littérature, 2018, couverture

«Chacun doit ici se forger des outils qui lui sont propres.»

En 1992, Yves Chevrel publiait, chez Hachette, l’Étudiant-chercheur en littérature; en 2003, cet ouvrage en était à sa sixième édition. L’an dernier, avec Yen-Maï Tran-Gervat, il faisait paraître un Guide pratique de la recherche en littérature. Il y a beaucoup de bien à en dire.

On y trouve ce qu’on y cherche, grâce une table des matière détaillée et à un index : une définition de la recherche en littérature (chapitre premier); les grandes orientations de la recherche (chapitre 3); des principes et des méthodes, une déontologie (chapitre 4); une réflexion sur les outils (chapitre 5); des réponses à des questions spécifiques (chapitre 6); des conseils en matière de rédaction et de présentation de la recherche (chapitre 7). Le contenu du deuxième chapitre, «L’œuvre littéraire», est plus inattendu : les auteurs s’essaient à une définition de ce que c’est qu’une œuvre en littérature. C’est plus compliqué qu’il n’y paraît.

Le public est circonscrit : «Ce guide s’adresse particulièrement aux étudiantes qui s’apprêtent à rédiger un mémoire de master ou une thèse de doctorat» (p. 26). (Pour l’emploi du féminin, voir ci-dessous.) Il y a des masses d’exemples, certains brefs mais parlants (sur les éditions de Voltaire), d’autres plus développés (sur Du Bellay, Flaubert, Ibsen, la littérature française contemporaine, le baroque, le théâtre français au XVIIIe siècle, Daudet et Dickens). Les auteurs sont professeurs de littérature comparée, ce qui explique la diversité linguistique et géographique de leurs objets.

Tout un chacun trouvera évidemment à ergoter. Les analyses sociologiques et sociocritiques de la littérature, de même que l’histoire culturelle, sont absentes du troisième chapitre. Il est question des logiciels de gestion bibliographique (p. 106, p. 110, p. 157), mais on n’y insiste pas assez : cela devrait se trouver parmi les outils de base de tout nouveau chercheur. Il n’est pas question des états présents, ces outils si utiles, par exemple ceux de la revue French Studies. On aborde le fonctionnement du monde de la recherche universitaire en France (ce qui correspond au public visé), mais il aurait été bon de dire quelques mots de l’univers de la publication scientifique (qu’est-ce que l’évaluation par les pairs ? qu’est-ce que le libre accès ?). Le metteur en scène est-il vraiment une création de «la fin du XIXe siècle» (p. 91). Sauf erreur, la MLA International Bibliography n’est pas décrite. Rien là de bien grave.

Trois aspects du Guide pratique de la recherche en littérature méritent enfin d’être salués.

Dès 1992 (l’Étudiant-chercheur en littérature) et 1994 (la Recherche en littérature), Yves Chevrel s’est montré sensible à ce que le numérique allait nécessairement changer à la recherche en études littéraires. Lui et Yen-Maï Tran-Gervat poursuivent dans la même voie, qui présentent tant des outils bien concrets que des interrogations sur les concepts que le numérique oblige à repenser. On les remerciera notamment de ne pas avoir diabolisé Wikipédia (p. 131-132, p. 144, p. 155). Les passages sur le numérique sont utiles et nuancés.

À une époque où nombre de commentateurs d’arrière-garde s’en prennent (encore) à la féminisation des textes, les auteurs ont fait un choix qui n’est qu’à eux :

Cet ouvrage s’adresse à toute personne intéressée par les problèmes de la recherche en littérature : étudiant-chercheur ou étudiante-chercheuse. Pour rappeler cette évidence, nous avons eu recours, en Introduction et en Conclusion, à des formules redondantes, à l’instar de celle de la phrase précédente. En revanche, dans le corps de l’ouvrage, afin d’éviter de multiplier ces redondances ou de faire appel à des graphies peu lisibles et imprononçables telles quelles («directeur.trice»), nous avons préféré une solution qui étonnera ou fera sourire : les fonctions (étudiant / étudiante) et les titres (directeur / directrice) sont au féminin dans les chapitres impairs […], au masculin dans les chapitres pairs […] (p. 9).

En fin d’ouvrage, non sans ironie, Yves Chevrel et Yen-Maï Tran-Gervat indiqueront qu’ils ne recommandent pas cette façon de faire (p. 162). Cela étant, on s’y fait.

La dernière des choses à signaler est que les auteurs, sans peut-être le dire aussi explicitement, profitent de plusieurs occasions pour rappeler que la recherche littéraire, à sa façon, est une recherche scientifique. Cela se manifeste dans l’attention apportée à la bibliographie. On ne pense jamais seul.

P.-S.—Non, il n’y a pas de «langue» propre au Québec (p. 75); on y parle français.

 

Références

Chevrel, Yves, l’Étudiant-chercheur en littérature. Guide pratique, Paris, Hachette, coll. «Hachette Université», série «Littérature», 1992, 159 p.

Chevrel, Yves, la Recherche en littérature, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Que sais-je ?», 2908, 1994, 126 p.

Chevrel, Yves et Yen-Maï Tran-Gervat, Guide pratique de la recherche en littérature, Paris, Presses Sorbonne nouvelle, coll. «Les fondamentaux de la Sorbonne nouvelle», 2018, 177 p.

Accouplements 129

Couvertures de William S. Messier et Daniel Grenier, montage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.

«Mon père répétait une parole, que son propre père lui répétait quand il jouait du banjo. C’est une parole que mon grand-père tenait de son père à lui. La parole parle du diable pis elle commence comme ça : “J’ai entendu l’obsession de mon peuple pour le diable chantée de ben des façons. Je sais que le diable a été évoqué par du monde qui ont vécu des choses ben effroyables, par des fous comme par des charlatans qui ont le diable facile. C’est pourquoi, yâb’, je joue plus fort qu’eux. C’est pourquoi, yâb’, je joue plus fort qu’eux”» (p. 72).

Grenier, Daniel, Françoise en dernier. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 16, 2018, 217 p.

«On lui avait raconté ça, et aussi qu’un vieux bonhomme qui jouait du banjo pour éloigner le diable habitait dans le coin, avant de le déposer devant une boutique de souvenirs et de filer dans la noirceur tombante, en faisant crisser les pneus dans le gravier sans faire exprès» (p. 50).

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté Dixie durant l’hiver 2014.

Le zeugme du dimanche matin et de Lula Carballo

Lula Carballo, Créatures du hasard, 2018, couverture, 2018, couverture

«La grand-mère de Chichi sort toutes les fins de semaine. Elle a soixante-seize ans. Elle ramène ses copains dans sa maison remplie d’objets désuets. Peu après, les copains s’éteignent d’amour et d’arrêt cardiaque. Les petits vieux sortent en civière. Dans le passage, on la surnomme la veuve-meurtrière. La grand-mère-veuve-meurtrière ne se formalise pas de ces pertes. Elle étrenne une robe et repart faire la fête. Il s’amène toujours de nouveaux prétendants disposés à danser un tango.»

Lula Carballo, Créatures du hasard. Récit, Montréal, Cheval d’août, 2018, 144 p., p. 114.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)