L’oreille tendue de… Arthur Buies

Arthur Buies, la Lanterne, éd. de 2018, couverture

«Quand les élections ont lieu et que l’essaim des orateurs citadins va haranguer le peuple des campagnes, il le trouve complètement ignorant des questions les plus discutées, les mieux connues, ignorant même du gouvernement sous lequel il vit, et ce que pourrait être un changement dans ce gouvernement. Ainsi, dans cette question si importante, si vitale de la Confédération, combien de fois les habitants, bouche béante, oreilles tendues, se demandèrent : “Qu’est-ce c’est donc que cette conflagration, c’te considération ?”»

Arthur Buies, la Lanterne. L’ennemi instinctif des sottises, des ridicules, des vices et des défauts des hommes, Montréal, Lux, coll. «Mémoire des Amériques», 2018, 193 p., p. 94. Texte établi et présenté par Jonathan Livernois et Jean-François Nadeau.

Oui, ce Buies-là.

Maux linguistiques anciens

Arthur Buies, la Lanterne, éd. de 2018, couverture

L’Oreille tendue a déjà manifesté son étonnement devant la féminisation, par certains Québécois, de mots masculins (une avion). Elle ne s’étonne pas moins devant le mot argent utilisé au pluriel et au féminin (des argents importantes).

Le mal est ancien, puisque Arthur Buies le décrivait dès le 24 septembre 1868 dans le deuxième numéro de son journal la Lanterne :

J’ai toujours remarqué que les Canadiens ont un amour prononcé pour le féminin — c’est à ce sentiment sans doute qu’ils doivent leur autonomie nationale —, ainsi ils disent invariablement «la grande air, une belle hôtel, de la bonne argent» quand ils ne disent pas «des argents» grand Dieu ! et pourtant des argents sont plus rares que de l’argent. Mais voilà le Journal de Québec, particulièrement attaché à la conservation de notre nationalité, qui trouve qu’il n’y a pas encore assez de féminin; il dit : «Si cette impôt que l’on prélève est destiné… mais si elle vise à éloigner… nous la trouvons injuste et inutile» (p. 59).

Oui, ce Buies-là.

 

[Complément du 28 décembre 2022]

Si l’on en croit Annie Ernaux, dans le roman les Armoires vides, le féminin était aussi entendu en Normandie : «Les billets sont palpés, mouillés par mon père, et ma mère s’inquiète. “Combien qu’on a fait aujourd’hui ?” Quinze mille, vingt mille, fabuleux pour moi. “L’argent, on la gagne”» (éd. de 2022, p. 25).

 

Références

Buies, Arthur, la Lanterne. L’ennemi instinctif des sottises, des ridicules, des vices et des défauts des hommes, Montréal, Lux, coll. «Mémoire des Amériques», 2018, 193 p. Ill. Texte établi et présenté par Jonathan Livernois et Jean-François Nadeau.

Ernaux, Annie, les Armoires vides, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1600, 2022, 181 p. Édition originale : 1974.

Le zeugme du dimanche matin et d’Olympe de Gouges

Olympe de Gouges, «Femme, réveille-toi !», 2014, couverture

«On a vu tomber en France, depuis quelques mois, le voile de l’erreur, de l’imposture, de l’injustice, et enfin les murs de la Bastille; mais on n’a pas vu encore tomber le despotisme que j’attaque. Je me vois donc réduite à essayer de l’abattre.»

Olympe de Gouges, «Réponse au champion américain ou colon très avisé à connaître» (18 janvier 1790), dans «Femme, réveille-toi !» Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne et autres écrits, édition présentée par Martine Reid, Paris, Gallimard, coll. «Folio 2 €», 5721, 2014, 99 p., p. 63-70, p. 65.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Portrait criminocapillaire du jour

Olympe de Gouges, «Femme, réveille-toi !», 2014, couverture

«Tu te dis l’unique auteur de la Révolution, tu n’en fus, tu n’en es, tu n’en seras éternellement que l’opprobre et l’exécration. Je ne m’épuiserai pas en efforts pour te détailler; en peu de mots, je vais te caractériser. Ton souffle méphétise l’air pur que nous respirons actuellement, ta paupière vacillante exprime malgré toi toute la turpitude de ton âme, et chacun de tes cheveux porte un crime.»

Olympe de Gouges, «Pronostic sur Maximilien de Robespierre par un animal amphibie» (5 novembre 1792), dans «Femme, réveille-toi !» Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne et autres écrits, édition présentée par Martine Reid, Paris, Gallimard, coll. «Folio 2 €», 5721, 2014, 99 p., p. 73-78, p. 73-74.

Angle masculin

La footballeuse norvégienne Ada Hegerberg remporte le Ballon d’or 2018. Un certain Martin Solveig lui demande si elle sait twerker.

Réaction, sur Twitter, de @rafov74 :

Qu’est-ce que cette fourche ? Sollicitons l’aide du Petit Robert, de Rébecca Deraspe et de Léandre Bergeron.

Le Petit Robert, édition numérique de 2014 : «Angle formé par les jambes.»

Rébecca Deraspe, Gamètes, 2017 : «Ça va être beau, cette vie-là ! David va se gratter la fourche en buvant du gin pendant que toi, tu vas crever dans le vomi de ton handicapée» (p. 36).

Léandre Bergeron, Dictionnaire de la langue québécoise, 1980 : «Partie du corps qui, avec les deux jambes, forme une fourche. Ex. : Recevoir un coup de pied dans la fourche. — Pénis» (p. 233).

Dans le cas qui nous occupe, la fourche et la bêtise sont clairement masculines.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Deraspe, Rébecca, Gamètes, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 12, 2017, 117 p. Ill. Suivi de «Contrepoint. Ce qui nous cimente» par Annick Lefebvre.