Citation électorale du jour

Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, 1966, couverture

«Mais les paysans étaient plus nombreux et les jours de marché, M. de Faverges, se promenant sur la place, s’informait de leurs besoins, tâchait de les convertir à ses idées. Ils écoutaient sans répondre, comme le père Gouy, prêt à accepter tout gouvernement pourvu qu’on diminuât les impôts.

À force de bavarder, Gorju se fit un nom. Peut-être qu’on le porterait à l’Assemblée.

M. de Faverges y pensait comme lui, tout en cherchant à ne pas se compromettre. Les conservateurs balançaient entre Foureau et Marescot. Mais le notaire tenant à son étude, Foureau fut choisi; un rustre, un crétin. Le docteur s’en indigna.

Fruit sec des concours, il regrettait Paris, et c’était la conscience de sa vie manquée qui lui donnait un air morose. Une carrière plus vaste allait se développer; quelle revanche ! Il rédigea une profession de foi et vint la lire à MM. Bouvard et Pécuchet.

Ils l’en félicitèrent; leurs doctrines étaient les mêmes. Cependant, ils écrivaient mieux, connaissaient l’histoire, pouvaient aussi bien que lui figurer à la Chambre. Pourquoi pas ? Mais lequel devait se présenter ? Et une lutte de délicatesse s’engagea. Pécuchet préférait à lui-même son ami. “Non, ça te revient ! tu as plus de prestance !

— Peut-être, répondait Bouvard, mais toi plus de toupet !” Et, sans résoudre la difficulté, ils dressèrent des plans de conduite.

Ce vertige de la députation en avait gagné d’autres.»

Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 103, 1966, 378 p., p. 179-180. Chronologie et préface par Jacques Suffel. Édition originale : 1881 (posthume).

Extrémité inattendue

Maxime Raymond Bock, les Noyades secondaires, 2017, couverture

Nous avons déjà eu l’occasion — souvenez-vous — de nous interroger sur le nombre de bout(s) du cierge et de la v(V)ierge.

Une interrogation de même nature, mais en matière fécale, serait possible.

Soit la phrase suivante, tirée des Noyades secondaires, de Maxime Raymond Bock (2017) :

L’Union des artistes était là au grand complet, des chroniqueurs Arts et Spectacles, trois-quatre écrivains qui se prenaient pour le bout de la marde, il neigeait de la coke, t’aurais dû voir le party (p. 254).

La marde — voyez ici et — aurait donc, elle aussi, (au moins) un bout.

Laissons de côté les images suscitées par une expression comme celle-là et attachons-nous à son sens.

Dans la phrase ci-dessus, le bout de la marde a une dimension fruitière implicite : qui se prend pour le bout de la marde, en effet, ne se prend pas pour la queue d’une cerise / de la poire. Voilà une personne qui a une haute opinion d’elle-même.

L’expression marquerait aussi l’étonnement, d’où la traduction offerte dans l’ouvrage Canadian French for Better Travel (2011) : «Cé l’boutte d’la marde ! / Now I’ve seen it all !» (p. 45)

Léandre Bergeron propose encore autre chose en 1980 : «C’est décourageant. C’est désespérant» (p. 310).

Une chose est sûre : une limite a été atteinte. Ne la dépassons par aucun bout.

 

[Complément du jour]

Ce tweet l’atteste : la queue de cerise des uns est la boisson gazeuse sans gaz (le seven up flat) des autres.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011, 186 p. Ill. Troisième édition.

Raymond Bock, Maxime, les Noyades secondaires. Histoires, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 369 p.

Les zeugmes du dimanche matin et de Maxime Raymond Bock

Maxime Raymond Bock, les Noyades secondaires, 2017, couverture

«Marguerite et Louise descendaient Bourbonnière à partir de Dandurand, fumant des cigarettes, leurs sacs de journaux aux épaules, les joues rosies par l’hiver et le gros gin qu’elles buvaient dans une ?asque» (p. 36).

«Or le lendemain, les enquêteurs interrogeaient son frère, ses voisins, l’amant qui avait à l’occasion partagé son lit avant son décès, et surtout son ancien amoureux, Marc Lemieux, qui avait pas mal de rancune et toujours la clé» (p. 74).

«Peut-être avait-elle en effet porté ses chemises carreautées dès ses onze ans, et sa tristesse dès la naissance» (p. 134).

«Je suis entré au Métro nous acheter à boire, mais à ma sortie il avait disparu, peut-être absorbé par la foule heureuse de l’été et des rabais, peut-être rentré chez lui, peut-être évanoui dans un repli menteur de sa mémoire. Je suis allé rejoindre Marie-France et les enfants au trampoline» (p. 162).

«Sous l’hypocrite vernis du plaisir, du soleil, des mascottes et des refrains, la soumission à des idiots d’animateurs à peine plus vieux que mon frère annihilait l’idée même du mot vacances» (p. 193).

«Puis mes collègues étaient revenus ravis, remplis d’anecdotes et du désir de nager» (p. 360).

Maxime Raymond Bock, les Noyades secondaires. Histoires, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 369 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Portraits criminels en regard

Mémoires de madame de Genlis, éd. de 2004, couverture

«Ma mère loua une petite maison dans la rue d’Aguesseau : elle recevait quelques gens de lettres, entre autres Sainte-Foix, auteur des Essais sur Paris, de la jolie comédie de l’Oracle et de celle des Grâces, et de quelques autres petites pièces de théâtre : sa tournure et ses manières contrastaient étrangement avec la grâce de ces agréables productions; il avait un ton brusque et grossier, un visage affreux et la physionomie la plus rude et la plus sinistre. Une comédienne très spirituelle, mademoiselle Bryant, disait de lui et de M. Bertin le poète, qui avait un visage long et pâle, les joues pendantes, les yeux éteints et le regard sombre, que le premier (Sainte-Foix) ressemblait au crime et le second au remords.»

Mémoires de madame de Genlis, édition présentée et annotée par Didier Masseau, Paris, Mercure de France, coll. «Le temps retrouvé», 2004, 390 p., p. 96. Édition originale : 1825.