«Après une longue journée de travail, il ne lui reste que sa rage, son mal de dos et assez d’argent pour s’acheter une caisse de bière.»
Stéfanie Clermont, «Un nid, un nœud», dans le Jeu de la musique. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 15, 2017, 340 p., p. 174-187, p. 179.
«Fais quand même attention à ne pas devenir l’expert de service. Un de ces types qu’on voit vieillir sur les plateaux de télévision, trimballant toujours la même idée.»
Julia Deck, Sigma. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2017, 233 p., p. 65.
«On peut soutenir que la langue française serait mieux protégée et promue dans un Québec souverain qui ne souffrirait pas de l’ingérence d’une Cour suprême située hors Québec, laquelle penche périodiquement en sens inverse de nos intérêts particuliers. Mais on peut le faire sans agiter le spectre d’une imminente louisianisation.»
(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)
Soit le début de phrase suivant, tiré de la Fin des exils de Jean-Martin Aussant (2017) : «La professeure Marie Bouchard, de l’UQAM […]» (p. 69).
L’auteur, jusque-là, avait été pédagogique, en expliquant ce que c’est que l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), puis un OBNL (Organisme à but non lucratif) et enfin l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain). Il invente même un sigle pour désigner les trois piliers de l’indépendance politique, LIT (Lois, Impôts, Traités).
Mais «UQAM» ? Non, tout le monde sur la planète devrait savoir ce que désigne ce sigle. Corrigeons : «La professeure Marie Bouchard, de l’Université du Québec à Montréal […].»
Quand elle parle de rédaction scientifique à des doctorants, l’Oreille tendue appelle cela la «connivence inexistante» : l’idée, dont il faut toujours se méfier, selon laquelle vos lecteurs partagent nécessairement le même bagage que vous (sigle, terminologie, etc.). Elle appelle aussi cela le «syndrome UQAM» : l’UQAM n’est pas concernée en elle-même, mais plutôt ces gens qui utilisent ce sigle dans leurs textes sans l’expliciter. (On pourrait parler de syndrome FLQ ou FTQ ou CSN ou etc. Vous faites comme vous voulez.)
Voilà un autre exemple pour sa collection.
P.-S.—Ce n’est pas le seul exemple de cette «connivence inexistante» chez Aussant (p. 12 n. 1, p. 84).
«SIMON (baissant son journal et leur tendant sa carte). Je me présente : Simon Labrosse, finisseur.
LE GARS (LÉO). Simon qui ?
SIMON. Labrosse, finisseur.
LA FILLE (NATHALIE). Comment ça, finisseur ?
SIMON. Finisseur de phrases. C’est ma profession.
LA FILLE (NATHALIE). Vous voulez dire que vous, euh…
SIMON. …que vous finissez les phrases laissées en suspens ?
LA FILLE (NATHALIE). Ouin c’est ça que je voulais dire mais…
SIMON. Vous voyez. Ça marche parfaitement.
LA FILLE (NATHALIE). Non mais là, je comprends pas. Je veux dire, c’est quoi la…
SIMON. C’est quoi l’idée au juste ?
LA FILLE (NATHALIE). Ouin, c’est quoi ?
SIMON. L’idée c’est d’aller au bout.
LE GARS (LÉO). Tu veux dire aller au bout de…
SIMON. …au bout de votre idée. Je vous écoute depuis tout à l’heure. Vous avez des choses à dire, des choses très importantes…
LA FILLE (NATHALIE). Ouin, ça c’est vrai, mais, euh…
SIMON. Malheureusement, c’est pas de votre faute, mais vous êtes incapables d’aller au bout de votre pensée. Moi, si vous voulez, je peux y aller pour vous. “Aller au bout”, c’est ma spécialité. Comprenez-vous ?
P.-S.—Ce métier, l’Oreille tendue l’a découvert en entendant Carole Fréchette au micro de Marie-Louise Arsenault, dans le cadre de l’émission Plus on est de fous, plus on lit ! de la radio de Radio-Canada, le 16 janvier 2018.
Dans le 174e épisode de la série télévisée Seinfeld (saison 9, épisode 18), «The Frogger» (1998), Jerry fréquente Lisi, une amie d’Elaine. Sa principale caractéristique ? «She’s a sentence finisher.»