«Lorsqu’un air de piano résonna, Oscar s’immobilisa, les mains dans les poches de son imper, coiffé de son feutre tout neuf, l’oreille tendue, à l’affût.»
Mauricio Segura, Oscar. Roman, Montréal, Boréal, 2016, 231 p., p. 102.
« Nous n’avons pas besoin de parler français, nous avons besoin du français pour parler » (André Belleau).
«Lorsqu’un air de piano résonna, Oscar s’immobilisa, les mains dans les poches de son imper, coiffé de son feutre tout neuf, l’oreille tendue, à l’affût.»
Mauricio Segura, Oscar. Roman, Montréal, Boréal, 2016, 231 p., p. 102.
Soit la phrase suivante, tirée du Devoir du jour :
Ce nouveau magazine culinaire [Sel et diesel] nous emmène dans les villes canadiennes où se multiplient les camions-restaurants, à la rencontre de ceux qui les chauffent, dans tous les sens du terme, et de leur cuisine (p. B7).
Pourquoi ce «dans tous les sens du terme» pour qualifier «chauffent» ? C’est que les camionneurs-restaurateurs chauffent des aliments dans leur véhicule et qu’ils le conduisent, chauffer étant un synonyme de ce verbe dans le français populaire du Québec.
Chauffer s’emploie avec un complément d’objet direct — chez Michael Delisle, on «chauffe» une auto (le Sort de Fille, p. 37) — ou seul — «Viens chauffer pendant que je lève le tronc», peut-on lire chez William S. Messier (Dixie, p. 129).
Illustration : vendeur ambulant, Montréal, 1947, rue de Bordeaux, angle Ontario, Archives Montréal, photo déposée sur Wikimedia Commons
Références
Delisle, Michael, le Sort de Fille. Nouvelles, Montréal, Leméac, 2005, 120 p.
Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.
(Accouplements : une rubrique où l’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)
Denis Diderot à Sophie Volland, lettre du 15 octobre 1759 éditée par Jacques Chouillet dans Denis Diderot – Sophie Volland. Un dialogue à une voix, Paris, Librairie Honoré Champion, coll. «Unichamp», 14, 1986, 173 p., p. 169-173.
«Ceux qui se sont aimés pendant leur vie et qui se font inhumer l’un à côté de l’autre ne sont peut-être pas si fous qu’on pense. Peut-être leurs cendres se pressent, se mêlent et s’unissent. Que sais-je ? peut-être n’ont-elles pas perdu tout sentiment, toute mémoire de leur premier état» (p. 171).
Caillé, Anne-Renée, l’Embaumeur, Montréal, Héliotrope, «série K», 2017, 102 p.
«Deux corps brûlés en même temps, cela est arrivé, malgré ce qu’on dit, leurs cendres mélangées et mises dans une seule urne» (p. 69).
P.-S.—L’Embaumeur ? Par ici.
[Complément du 10 janvier 2019]
Le 17 juillet 1676, Mme de Sévigné, dans une lettre à sa fille, Mme de Grignan, aborde la circulation des cendres d’un point de vue un brin différent :
Enfin c’en est fait, la Brinvilliers est en l’air : son pauvre petit corps a été jeté, après l’exécution, dans un fort grand feu, et ses cendres au vent; de sorte que nous la respirerons, et que, par la communication des petits esprits, il nous prendra quelque humeur empoisonnante, dont nous serons tous étonnés (éd. Duchêne, vol. II, p. 342-343).
Référence
Sévigné, Mme de, Correspondance, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 3 vol., 1972-1978. Texte établi, présenté et annoté par Roger Duchêne.
«Et lorsqu’elle avait quitté son village, la rage au cœur et la valise mal faite, elle ne s’était pas retournée une seule fois sur la route de campagne, toute droite dans son petit manteau de laine rouge et son bonnet de velours noir» (p. 502).
«Les faits. Tels quels. Ça prend une bonne partie de la nuit et le reste de ses forces» (p. 505).
Michel Tremblay, le Passage obligé, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 493-657. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2010.
(Une définition du zeugme ? Par là.)
Une fille rencontre périodiquement son père dans un diner juif. De conversations en conversations, il lui raconte des moments de sa vie professionnelle, de plus en plus succinctement.
• Je note chaque cas en quelques phrases.
Dans un cahier noir à la va-vite, je ne veux pas en écrire trop je ne veux pas demander trop de détails, je suis le rythme.
Ensuite je reprends chaque cas et je trace un x dans la marge du petit cahier noir qui est trop petit. Quand c’est terminé quand je l’ai posé ici je fais le x et cela me rend chaque fois plus légère, pas parce que quelque chose comme de la mémoire se reconstruit, cela n’a pas tout à fait à voir avec moi, parce qu’un de moins peut-être, une question de poids et de ce qui s’érige néanmoins dans la soustraction.
J’ajoute et il soustrait j’ajoute et il soustrait, un de moins à écrire, pour moi c’est simple (p. 89).
Ce sera l’Embaumeur (2017) d’Anne-Renée Caillé.
L’ouvrage est constitué de courts fragments, presque tous consacrés à ce que le père appelle des «cas» : plusieurs suicidés, des victimes de crimes, des noyés, des morts naturelles. Il a eu charge de leur corps, charge rarement refusée. Chaque microrécit esquisse un portrait, concret, souvent dur, violent. Exemple :
• Une femme met le feu à sa maison.
Elle voulait tout brûler elle ne voulait pas brûler elle voulait mourir elle voulait seulement ouvrir le feu.
Que le reste fume.
Descend au sous-sol fusil à la main, ouvre la porte du congélateur, y pénètre, referme la porte et se tire dans la tête.
C’est une maison en cendres avec une suicidée dans un congélateur (p. 47).
On le voit : Anne-Renée Caillé est sensible au rythme de ces souvenirs, qui ne sont pas (ou guère) les siens, d’où le travail sur la ponctuation et sur les reprises / variations. Le style donne cohérence à un ensemble où s’agrègent des éclairs narratifs.
Plusieurs de ces instantanés étonnent : ce mari mis en bière avec son «dîner habituel», «un sandwich au fromage et deux petites bières» (p. 21); ce «répartiteur à la morgue» qui «avait peur des morts» (p. 65); ce bébé incinéré, dont «Il ne reste rien» (p. 70). La narratrice est parfois surprise par ce qu’elle entend; «Lui a dépassé la surprise depuis longtemps» (p. 54).
L’Embaumeur «n’est pas une enquête» (p. 17) sur la thanatopraxie, bien que l’on puisse y reconnaître des événements médiatisés en leur temps (p. 39-40, p. 91). Il montre à l’œuvre la transmission d’une mémoire familiale à préserver avant qu’il ne soit trop tard, surtout celle du père, mais aussi, brièvement, celle de la mère (p. 80-82) et celle de la narratrice elle-même : «J’ai deux souvenirs seulement» (p. 83).
Mission accomplie : «je n’écrirai pas ici à répétition, sans arrêt, mon père me dit fait mon père va me dit a fait me dit, il sera l’enfant l’homme il sera il, il se mélangera aux morts par moments, à refaire le lien, il sera à refaire, naturellement ça se fera» (p. 12).
P.-S.—Vous ne sauriez pas où ranger ce livre dans votre bibliothèque ? Mettez-le à côté de Synapses de Simon Brousseau. Ils seront l’un et l’autre en bonne compagnie.
Référence
Caillé, Anne-Renée, l’Embaumeur, Montréal, Héliotrope, «série K», 2017, 102 p.