Un linguiste selon le cœur de l’Oreille tendue

David Crystal, Txtng, couverture

Depuis des années, l’Oreille tendue promène une conférence intitulée «Quelques idées reçues sur la langue (au Québec)». Une bonne partie de son contenu se retrouve dans son plus récent livre, Le niveau baisse !

Le public de cette conférence finit toujours par lui demander si c’est vrai que la langue, et particulièrement la langue des jeunes, est menacée par la pratique des textos. Parmi les réponses de l’Oreille, il y a celle-ci : allez lire Txtng : The Gr8 Db8 de David Crystal (2008). L’auteur y explique qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter.

Le même Crystal vient de publier un livre sur l’histoire de la ponctuation en anglais, Making a Point : The Persnickety Story of English Punctuation. Le magazine The New Yorker l’interviewe pour l’occasion, dans sa livraison du 10 décembre.

Cet entretien, par Adrienne Raphel, est passionnant. Retenons-en trois citations :

As for contemporary rules, he advocates «pragmatic tolerance.» Know them, he argues, so that you can break them, when they should be broken. (Cela fait penser à la théorie de la cravate d’Anne-Marie Beaudoin-Bégin.)

«The big thing about language is that it always changes,» Crystal told me. «Since the Internet came along, it has never moved so fast

«Language is for everybody,» Crystal said. «Human beings, homo loquens, the speaking animal. I’ve never met anybody who isn’t profoundly interested in language

Voilà un linguiste selon le cœur de l’Oreille.

P.-S. — L’entretien renvoie à cette conférence de 2013 de John McWhorter, «Txtng is killing language. JK!!!», sur le «fingered speech».

 

Références

Crystal, David, Txtng : The Gr8 Db8, Oxford, Oxford University Press, 2008, 256 p. Ill.

Crystal, David, Making a Point : The Persnickety Story of English Punctuation, St. Martin’s Press, 2015, 400 p.

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Raphel, Adrienne, «A History of Punctuation for the Internet Age», The New Yorker, 10 décembre 2015.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

Citation pleine de bon sens du mardi soir

Christian Baudelot et Roger Establet, Le niveau monte, 1989, couverture

«Il faut supposer un réel acharnement contre la jeunesse pour soutenir avec cet aplomb intemporel que l’amélioration patente de toutes les sciences et de toutes les techniques ait été produite par des hommes et des femmes toujours plus débiles que leurs aînés ! Entre les éclats de silex, le génie de l’homme se montrait à son apogée; dans l’informatique, la relativité générale, la musicologie baroque ou l’aéronautique ne s’expriment que des sous-hommes avilis par la baisse multiséculaire du niveau. […] L’idée a, en effet, de quoi surprendre dans une société où le progrès constitue l’une des dimensions de la vie quotidienne : les voitures, toujours plus rapides et confortables, le TGV, les avions supersoniques, l’espérance de vie, l’équipement ménager, la circulation de l’information et des images, la puissance destructrice des armements… Dans cet univers en expansion permanente, seule l’intelligence des hommes serait inexorablement entraînée sur une pente descendante. À se demander si ce sont bien les élèves de plus en plus nuls au fil des générations qui ont engendré toutes ces merveilles techniques en continuel progrès.»

Christian Baudelot et Roger Establet, Le niveau monte. Réfutation d’une vieille idée concernant la prétendue décadence de nos écoles, Paris, Seuil, coll. «L’épreuve des faits», 1989, 197 p., p. 13-14.

Un avion en papier

Roger Angell, portrait, 2015

Roger Angell est né en 1920. Il a publié son premier texte dans The New Yorker en 1944. Il y collabore toujours, à 95 ans, notamment au blogue du magazine. Pourquoi le blogue ? Il s’en explique à David Remnick dans la septième livraison de la baladodiffusion The New Yorker Radio Hour (à partir de la 31e minute).

It’s sort of like making a paper airplane. […] I used to love to make paper airplanes. I made great paper airplanes. You throw it out the window, and it takes, it goes a little ways, or it turns and curves beautifully, and it goes out of sight, and it’s forgotten forever. And that’s like a blog.

Certains disent que toute publication est une bouteille à la mer, pas Angell, qui préfère le vol imprévisible de l’avion en papier et sa disparition (son oubli).

P.-S. — On s’en souviendra : Angell est aussi l’inventeur d’un célèbre palindrome sportif.

La langue en vidéos

C’est comme ça : l’Oreille n’est pas souvent tendue vers YouTube. Elle sait qu’on y trouve des masses de choses bien faites — à côté d’insondables niaiseries —, mais elle n’a pas le réflexe d’y aller voir. (Pour ses fils, ce serait plutôt le contraire.)

Cela étant, elle fait maintenant des visites régulières sur la chaîne Linguisticæ. Depuis janvier 2014, avec humour, Romain Filstroff souhaite y «rendre la linguistique un peu plus accessible à tous tout en comblant ceux qui en sont férus».

Exemple (sur la sociolinguistique).

(Merci à @revi_redac pour le tuyau.)

Accouplements 37

Plusieurs générations de disquettes

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Sur son blogue, l’excellent @machinaecrire, informaticien de son état, a une série de textes rassemblés sous le titre «Passé simple». Le plus récent est «Le monde perdu». Il se termine ainsi :

Les montres numériques affichaient l’heure à l’aide de diodes électroluminescentes rouges. Je sauvegardais mes premiers programmes sur des cassettes quatre pistes. Je les écrivais en BASIC sur un ordinateur branché à une télé. J’ai connu de mon vivant plusieurs révolutions technologiques.

Comment, lisant cela, ne pas penser à l’Autobiographie des objets (2012) de l’ami François Bon ?

J’ai vu la fin de ce monde (p. 219).

L’année dernière, l’Oreille tendue publiait un article dans la revue Études françaises. On lui a demandé une note biobibliographique. On y lit ceci :

Dix-huitiémiste de formation, il travaille actuellement surtout sur les questions de langue au Québec et sur les rapports entre culture et sport. Son intérêt pour le numérique est ancien : il a utilisé au moins quatre formats de disquettes.

Nos objets, même disparus, nous définissent.

 

Références

Bon, François, Autobiographie des objets, Paris, Seuil, coll. «Fiction & Cie», 2012, 244 p.

Melançon, Benoît, «Éditer des revues savantes. Le point de vue des presses universitaires», Études françaises, 50, 3, 2014, p. 105-111. https://doi.org/10.7202/1027192ar