Accouplements 08

Raymond Chandler, Lettres, 1970, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Dans le Devoir des 6-7 septembre 2014, sous la signature de Christian Desmeules (p. F1) :

Peut-on échapper à l’éternel retour du narrateur enfant dans notre littérature ?

Dans une lettre de Raymond Chandler à Alex Barris, le 16 avril 1949 :

Tous les jeunes scénaristes et les jeunes metteurs en scène s’y sont essayés. «Faisons de la caméra un personnage»; à un moment ou à un autre, on a entendu ça à toutes les tables de Hollywood (éd. 1970, p. 145).

En matière de procédé : du pareil au même.

 

Référence

Chandler, Raymond, Lettres, Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 794, 1970, 309 p. Traduction de Michel Doury. Préface de Philippe Labro.

Accouplements 07

Jean-Marc Huitorel, la Beauté du geste, 2005, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

L’Oreille tendue aime les curiosités épistolaires, ces présences de la lettre là où on ne l’attendrait pas. Elle a même publié un recueil de textes sur le sujet.

Pensez aux chapitres 95 et 96 de Tarmac (2009) de Nicolas Dickner. Dans une enveloppe, le narrateur reçoit un emballage vide. Après la réception de cette lettre d’amour, il part au Japon retrouver celle qu’il aime, Hope Randall.

Puis imaginez un ballon de foot, celui que décrit Jean-Marc Huitorel dans la Beauté du geste (2005) :

On signalera encore le travail de Priscilla Monge, dont certains des objets ont à voir avec l’univers du sport. Elle a ainsi fait réaliser un ballon de football aux pentagones noirs découpés dans des cuirs très élégants, ceux utilisés pour les vêtements et les chaussures de luxe, et dont les pentagones blancs sont constitués de serviettes hygiéniques. Dans cette intrusion du féminin, y compris dans ce qu’il a de plus intime, dans un univers largement dominé par les hommes, et en particulier dans cette symbolique implicite du sang, on peut lire une volonté d’opposer le sang des menstrues au sang des guerriers. On peut aussi y voir une dénonciation de l’usage sanguinaire que les dictatures d’Amérique du Sud (l’artiste est née au Costa Rica), au Chili ou en Argentine, ont pu faire des stades (p. 173).

Le Michel «Mickey» Bauermann de Nicolas Dickner ne reçoit pas un morceau de cuir.

 

Références

Huitorel, Jean-Marc, la Beauté du geste. L’art contemporain et le sport, Paris, Éditions du regard, 2005, 214 p. Ill.

Dickner, Nicolas, Tarmac, Québec, Alto, 2009, 271 p. Ill.

Melançon, Benoît, Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires, Montréal, Del Busso éditeur, 2011, 165 p.

Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture

Le zeugme du dimanche matin et de Nicolas Dickner

Nicolas Dickner, Tarmac, 2009, couverture

«Nous sommes descendus vers le rez-de-chaussée, emportés par le flot d’étudiants qui s’engouffraient dans les escaliers. À certains moments, nos pieds ne touchaient pas le sol : nous formions une seule masse d’hormones, de muscles et d’insouciance.»

Nicolas Dickner, Tarmac, Québec, Alto, 2009, 271 p., p. 106.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Du nouveau sur Simenon

Simenon, le Voleur de Maigret, 1967, couverture

L’Oreille tendue s’en doutait depuis quelques années : Georges Simenon (1903-1989) était québécois. La preuve ? Son vocabulaire, bourré de mots et d’expressions propres au Québec.

Dans La neige était sale (1948), il y a des «bancs de neige» (éd. 2003, p. 89) et un personnage déclare péremptoirement : «Cela n’a pas de bon sens» (p. 83).

Auprès de quoi se chauffe-t-on dans l’Affaire Saint-Fiacre (1932) ? D’un «calorifère» (éd. 2003, p. 162). Que porte-t-on aux pieds par mauvais temps ? Des «caoutchoucs» (Maigret et l’Affaire Nahour, 1967, éd. 1990, p. 318; le Chat, 1967, éd. 1990, p. 452, 460, 477).

Le romancier, comme c’est si fréquent au Québec, semble confondre pamphlet et brochure; c’est le cas dans Maigret a peur (1953, éd. 2006, p. 66). Pire : il lui arrive d’utiliser un verbe transitif sans complément d’objet, par exemple dans «J’ai quitté deux ans avant…» (le Voleur de Maigret, 1967, p. 49).

Les «ici dedans» (p. 51) et les «hier au soir» (p. 61) du Chien jaune (1936) sont chères au cœur de la mère de l’Oreille. Son grand-père disait lui aussi que quelque chose était écrit «sur le journal» (la Veuve Couderc, 1942, éd. 2003, p. 1163).

Voilà des signes qui, ajoutés les uns aux autres, ne sauraient mentir.

Des esprits pinailleurs vous diront que, dans certains cas, il ne s’agit pas seulement de québécismes, mais aussi de belgicismes, voire que des emplois, après 1945, peuvent avoir été inspirés à Simenon par sa rencontre avec la Canadienne Denyse Ouimet, qui sera sa compagne jusqu’en 1964. Ce serait trop simple. L’Oreille ne l’entend pas de cette oreille.

 

[Complément du jour]

Promis juré craché : l’Oreille tendue, au moment de mettre ce billet en ligne, ignorait que Simenon était mort, en 1989, un… 4 septembre.

 

[Complément du 10 avril 2019]

Chez Emmanuelle Jimenez, dans Centre d’achats (2019) : «ici d’dans» (p. 70).

 

Références

Jimenez, Emmanuelle, Centre d’achats, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 18, 2019, 127 p. Ill. Suivi de David Robichaud, «Contrepoint. Chercher le bonheur, trouver une robe jaune à paillettes».

Simenon, l’Affaire Saint-Fiacre, dans Romans. I, édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis, Paris Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 495, 2003, p. 105-212 et 1354-1365. Édition  originale : 1932.

Simenon, le Commissaire Maigret. Le chien jaune, Paris, Le livre de poche, coll. «Le livre de poche policier», 869, 1963, 20 p. Présenté par Marcel Aymé. Édition  originale : 1936.

Simenon, la Veuve Couderc, dans Romans. I, édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis, Paris Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 495, 2003, p. 1043-1169 et 1458-1471. Édition  originale : 1942.

Simenon, La neige était sale, dans Romans. II, édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis, Paris Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 496, 2003, p. 1-199 et 1503-1519. Édition  originale : 1948.

Simenon, Maigret a peur, Paris, Librairie générale française, coll. «Le Livre de poche», 14245, 2006, 188 p. Édition  originale : 1953.

Simenon, Maigret et l’affaire Nahour, dans Œuvre romanesque, Libre expression et Presses de la Cité, coll. «Tout Simenon», 1990, p. 315-424. Édition  originale : 1967.

Simenon, le Chat, dans Œuvre romanesque, Libre expression et Presses de la Cité, coll. «Tout Simenon», 1990, p. 425-540. Édition  originale : 1967.

Simenon, le Voleur de Maigret, Paris, Presses de la cité, coll. «Maigret», 44, 1967, 182 p. Édition  originale : 1967.

Le Québec d’à côté

L’Oreille tendue est donc allée en vacances. La semaine dernière, elle en faisait le récit (côté pile, face b). Ce n’était pas précisé, mais qui connaît le Québec aura probablement reconnu la région des Cantons-de-l’Est.

À quelques reprises, par le mélange des langues comme par le décor, l’Oreille se serait crue dans l’excellent Dixie de William S. Messier (2013), mais jamais autant qu’au Château Acropole de Coaticook, quand, lisant attentivement son napperon, elle a découvert que, sous les auspices de la Société d’agriculture du comté de Stanstead et de la Société d’horticulture du comté de Standstead, se tiendrait, du 21 au 24 août 2014, l’Exposition Ayer’s Cliff Fair («Since / depuis 1845»). Indécrottable montréalaise, elle a alors entraperçu un monde qui lui est parfaitement étranger. «Where the city meets the country — Où la ville rencontre la campagne», disait la publicité. Ni «meets» ni «rencontre» ne sont des verbes assez forts.

S’être rendue à l’Exposition, l’Oreille, qui n’en a pas eu l’occasion, aurait pu assister à la «Course du cochon graissé», au «Concours de berger et bergère», à la «Parade de chevaux et dindes par le 4H de Hatley au bénéfice de la Fondation Rêves d’enfants» ou au «Tire [sic] de camion». Surtout, elle aurait pu parfaire sa connaissance du monde équestre.

Les courses de chevaux constituaient le gros du menu de l’Exposition, pour toutes sortes de bêtes (chevaux légers, chevaux de trait, poneys, Clydesdales) et pour toutes sortes d’attelages (selle anglaise, selle western, voiture, voiture à deux roues, «en flèche», «en arbalète»), en combinaisons diverses (un cheval, deux chevaux, «trioka» [sic ?], quatre chevaux, six chevaux).

Les catégories d’âge n’étaient pas moins détaillées : «enfants de moins de 8 ans», «une fille ou un garçon de moins de 12 ans», «une fille ou un garçon entre 13 et 17 ans». Il y avait des activités pour les «dames» (marquées comme telles), d’autres pour les hommes (le reste, suppose-t-on).

L’activité de 10 h 30 le samedi matin a toutefois troublé l’Oreille : «Paire de chevaux de trait conduite par une femme (légère & lourde).» Elle a beau la prendre dans tous les sens, la parenthèse ne lui paraît pas de la toute première clarté.

N’allez pas croire : elle se serait sûrement amusée quand même.

P.-S. — Le 26 août, @Doctorakgo recommandait la bande annonce de Shenley, le recueil de poèmes d’Alexandre Dostie (Éditions de l’Écrou, 2014). Retweetant son message, @reneaudet y ajoutait le mot-clic «#tchénssâ». Il y a de ça, et de la foire agricole.

 

 

 

Référence

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.