Rétropromenade

Laurent Turcot, le Promeneur à Paris au XVIIIe siècle, 2007, couverture

L’Oreille tendue lit actuellement un ouvrage fort spitant sur le siècle des Lumières : le Promeneur à Paris au XVIIIe siècle de Laurent Turcot (2007).

Elle y découvre que la promenade à pied, en l’honneur de Théodore Tronchin (1709-1781), a eu droit, pendant un certain temps, à un verbe, aujourd’hui tombé en désuétude : «tronchiner» (p. 117). Il est vrai que le médecin genevois «utilise la promenade, les régimes frugaux et les bains froids comme moyens d’acquérir et d’entretenir une bonne santé» (p. 117). Pour «tronchiner», on pouvait porter des robes spéciales, les «tronchines» (p. 120). Voilà qui devait égayer les «gens de pied».

Cela change du sadisme ou du marivaudage.

 

[Complément du 18 septembre 2011]

Dans les trésors de Gallica, Pimpette Dunoyer a repéré une gravure représentant une robe «à la Tronchine»; c’est ici. Merci.

 

Référence

Turcot, Laurent, le Promeneur à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, coll. «Le promeneur», 2007, 426 p. Ill. Préface d’Arlette Farge.

Le sport et la vie

L’US Open — c’est du tennis — vient de se terminer. Souvenir de lecture sportive.

Le 20 août 2006, David Foster Wallace publie son «Federer as Religious Experience» dans The New York Times. Dans une des copieuses notes de son texte — il aime les notes, et longues —, il avoue son bonheur de voir jouer Federer à Flushing Meadows : il ressent «a feeling of deep personal privilege at being alive to get to see this»; il se sent privilégié d’être en vie et de pouvoir admirer ce joueur.

Il y a trois ans cette semaine, le 12 septembre 2008, David Foster Wallace se suicidait.

P.-S. — Aussi sur Federer, le site du New Yorker, en date du 11 septembre, offre une brillante analyse, signée Nick Paumgarten, «Big Shot».

Le 11 septembre 2001…

Samuel Archibald, Arvida, 2010, couverture

…vu par un personnage de Samuel Archibald, dans le texte «América» recueilli dans Arvida (2011) : «Dans l’intervalle, y a douze crisses de Tamouls qui ont hijacké des avions pour les câlicer un peu partout sur la gueule de l’oncle Sam» (p. 84).

De l’art de marier l’alternance codique («hijacké»), le juron («crisses», «câlicer») et l’histoire (géographiquement approximative).

 

Référence

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p.

Neuvième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Pléonasme

Définition

«Répétition non nécessaire d’un élément de sens déjà contenu dans les mots précédents, soit intentionnellement, pour renforcer l’expression (“Je l’ai vu, de mes yeux vu !”), soit par inadvertance ou ignorance. Dans le second cas, le pléonasme est considéré comme une faute à proscrire; la tradition classique française lui a d’ailleurs fait une chasse parfois forcenée» (Dictionnaire des termes littéraires, p. 369).

Exemples

Presse. «Télérama signale cette semaine l’édition d’un Micro-guide, document édité par Radio France à l’usage de ses journalistes et destiné à signaler les “euphémismes, approximations, lieux communs, fautes de français, mauvaises liaisons, pléonasmes, facilités de langage” dont ils émaillent leurs interventions. Les quatre auteurs, nous dit-on, “ont fait du tri sélectif dans le grand flux de l’expression orale”. Apparemment, Télérama, pour sa part, ne traque pas encore le pléonasme» (Notules, n° 294, 11 février 2007).

Radio. «Thúy, Janovjak et leur correspondance épistolaire» (site de Radio-Canada, 7 septembre 2011).

«Thúy, Janovjak et leur correspondance épistolaire», site de Radio-Canada, 7 septembre 2011

 

Risques liés à son utilisation

«J’ai vu que l’orateur allait être froid et ennuyeux, qu’il parlerait par catachrèse, sans métaphore et avec pléonasme, que son texte était mal pris et son épigraphe impropre, que chaque membre serait uniforme, sans grâce et dénué de ce sel et de ces nuances si nécessaires à l’âme du discours et si recommandées par Cicéron; que d’ailleurs la matière, assez sèche par elle-même, était totalement étrangère à mon existence et au genre d’art que je cultive. Moyennant quoi, j’ai congédié l’orateur» (Sade, lettre à sa femme, 17 septembre 1780, p. 176).

 

[Complément du 19 décembre 2015]

L’adjectif construit à partir de pléonasme est pléonastique. Exemple, chez Jean-Philippe Toussaint, dans Football (2015) : «J’ai connu des stades combles et des cafés déserts. J’ai vu des matchs dans des bouis-bouis à nouilles aux murs décorés de photos pléonastiques des plats qu’on mange […]» (p. 65).

 

[Complément du 17 novembre 2018]

Description d’une bagarre de rue dans Tout savoir sur Juliette (2018), le roman que vient de publier Érik Vigneault : «deux habitués de la rixe (j’ai d’abord écrit rixe publique avant de constater après avoir vérifié qu’il se fût agi d’un pléonasme, les pléonasmes sont partout, ils se reproduisent comme des lapins comme les clichés)» (p. 131-132). Sous rixe, le Petit Robert (édition numérique de 2014) corrobore : «Querelle violente accompagnée de coups, parfois avec des armes blanches, dans un lieu public.»

 

[Complément du 15 décembre 2020]

Soit la phrase suivante, tirée d’un quotidien montréalais : «Et Malka a poursuivi dans une défense passionnée de “ces fameuses valeurs républicaines ébranlées” (ses mots), au premier rang desquelles figure la liberté d’expression.»

Les guillemets servant à indiquer que l’on rapporte des paroles, pourquoi indiquer qu’il s’agit de «ses mots» ? Cela est clair. Faudrait-il parler de pléonasme typographique ?

 

Références

Didion, Philippe, Notules dominicales de culture domestique, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2008, 355 p. Édition numérique.

Sade, Lettres à sa femme, Arles, Actes Sud, coll. «Babel», série «Les épistolaires», 249, 1997, 459 p. Choix, préface et notes de Marc Buffat.

Toussaint, Jean-Philippe, Football, Paris, Éditions de Minuit, 2015, 122 p.

Van Gorp, Hendrik, Dirk Delabastita, Lieven D’hulst, Rita Ghesquiere, Rainier Grutman et Georges Legros, Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Honoré Champion, coll. «Dictionnaires & références», 6, 2001, 533 p.

Vigneault, Érik, Tout savoir sur Juliette. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2018, 177 p.

Néologisme du jour

Jean-Marc Huitorel, 2005, la Beauté du geste, couverture

Tonitruance : plusieurs dictionnaires Web le connaissent, mais pas les usuels que l’Oreille tendue a sous la main.

Le mot est néanmoins sous la plume de Jean-Marc Huitorel, dans son magnifique et passionnant ouvrage sur l’art contemporain et le sport, la Beauté du geste : «Quant aux planches à voile [de Gérard Deschamps], elles constituent un formidable point de jonction entre les constituants mêmes de la peinture et les joyeuses tonitruances de l’époque» (p. 76).

Adopté.

P.-S. — Comme dans le plus récent L’art est un sport de combat, il est déjà question de «lutte d’appartement» dans l’ouvrage de 2005 (p. 155).

 

Référence

Huitorel, Jean-Marc, la Beauté du geste. L’art contemporain et le sport, Paris, Éditions du regard, 2005, 214 p. Ill.

Huitorel, Jean-Marc, Christine Mennesson et Barbara Forest, L’art est un sport de combat, Calais et Arles, Musée des beaux-arts de Calais et Analogues, maison d’édition pour l’art contemporain, 2011, 127 p. Ill. Édition bilingue français-anglais.