Le zeugme du dimanche matin et de Caroline Mineau

Caroline Mineau, Habiter une cage ouverte, 2023, couverture

«De même, apprenant que les gens qui ont de bonnes relations avec les autres tendent à vivre plus longtemps et à être plus satisfaits de leur vie, une personne introvertie jugera peut-être qu’elle aurait avantage à fournir un effort de sociabilité, en s’aidant au besoin d’un·e psychologue possédant, par sa fine compréhension du fonctionnement des rouages de l’esprit humain, certaines clés pour la sortir de son armure ou, carrément, de son appartement.»

Caroline L. Mineau, Habiter une cage ouverte. Regards sur la liberté et ses paradoxes, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 24, 2023, 99 p., p. 33.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Lire avec ses oreilles

Akos Verboczy, la Maison de mon père, 2023, couverture

L’Oreille tendue a déjà évoqué un article de Roger Chartier paru en 1990, «Loisir et sociabilité : lire à haute voix dans l’Europe moderne». L’auteur y déplorait la rareté des représentations (textuelles, iconographiques) des scènes de lecture dans les archives occidentales, surtout pour le XVIIIe siècle. En l’absence de ces représentations, il est difficile de faire l’historique de l’imaginaire de la lecture à travers les âges.

Ajoutons une pièce au dossier de Chartier, mais pour le XXe siècle. Cela se trouve dans un roman récent d’Akos Verboczy, la Maison de mon père :

La Matáv, la compagnie de téléphonie nationale [de Hongrie] qui n’était pourtant pas réputée pour offrir des solutions, proposait un service sur mesure pour répondre à mon caprice d’enfant : la lecture de contes par téléphone. Chaque soir, elle diffusait une histoire préenregistrée : des classiques des frères Grimm et de Perrault, des trucs nordiques ou, le plus souvent, une histoire du folklore d’Europe centrale avec ses braves gaillards en quête d’amour et de fortune. Je n’en demandais pas tant. Andréa n’avait qu’à composer le numéro et me tendre le combiné pour avoir la paix pendant quinze minutes avant de me mettre au lit. Et voilà encore un dossier réglé en un tour de main par cette mère suppléante. Une fois pour toutes. Ou presque (p. 161-162).

Pourquoi «presque» ? «Une défectuosité technique, dont la Matáv avait le secret, avait transformé le service de contes pour enfants en ligne de fête» (p. 162) : cela ne dura que quelques jours, mais c’est une autre histoire, qui n’a plus rien à voir avec la lecture assistée.

P.-S.—En effet : quand l’Oreille a évoqué la lecture à haute voix, c’était dans un contexte un tantinet moins chaste.

 

Références

Chartier, Roger, «Loisir et sociabilité : lire à haute voix dans l’Europe moderne», Littératures classiques, 12, janvier 1990, p. 127-147. https://doi.org/10.3406/licla.1990.1238

Verboczy, Akos, la Maison de mon père. Roman, Montréal, Boréal, 2023, 327 p.

Accouplements 208

Guy Berthiaume, Mes grandes bibliothèques, 2023, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

 

«Parce que c’était lui,
parce que c’était moi.»
Montaigne

 

Lionel Messi — c’est du football, donc du soccer — annonce qu’il souhaite jouer en Amérique du Nord. Des amis sont intéressés à se joindre à lui. Sous-titre dans la Presse+ du 15 juin, italique certifié d’origine : «Un chum, c’t’un chum

Guy Berthiaume publie ses Mémoires : «car, contre vents et marées, je restai solidaire d’Alain [Bideau], sans doute au-delà de ce qui était raisonnable. Mais, comme le disait Bernard Trépanier devant la commission Charbonneau : “un chum c’t’un chum”» (p. 180).

Pour le dire à la façon de Pascal, «L’amitié a ses raisons que la raison ne connaît point».

P.-S.—Ce chum est un ami, voire un ami personnel.

 

Référence

Berthiaume, Guy, Mes grandes bibliothèques. Mes archives. Mes mémoires, Montréal, Del Busso éditeur, 2023, 359 p. Ill.

L’oreille tendue de… Simenon

Simenon, les Sœurs Lacroix, édition néerlandaise, couverture

«Quant à tante Poldine, il n’était pas difficile de savoir à quoi elle s’occupait : elle faisait des comptes ! Elle était assise devant des piles de calepins noirs, à couverture de toile cirée et aux pages couvertes de chiffres au crayon. Au milieu du bureau, elle avait posé sa montre et, à sept heures exactement, elle se lèverait, entrouvrirait la porte, tendrait l’oreille, attendant le coup de sonnette qui devait annoncer le dîner et qui avait parfois quelques secondes de retard.»

Georges Simenon, les Sœurs Lacroix, dans Tout Simenon 21, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, p. 175-271, p. 181. Édition originale : 1938.

Découverte lexicale du jour

Caroline Mineau, Habiter une cage ouverte, 2023, couverture

Soit la phrase suivante, tirée de l’essai Habiter une cage ouverte, de Caroline L. Mineau (2023) :

Aiguillonnés par «l’espoir d’acquérir et la crainte de perdre» [Tocqueville] en raison du spectacle constamment renouvelé de ceux et celles qui montent ou qui, au contraire, dégringolent brutalement l’échelle sociale, ils s’agitent continuellement sur place, essayant par tous les moyens d’ajouter une acre à leur champ ou d’impressionner le voisinage en ornant leur demeure de belles colonnes de faux marbre, voisinage qui se verra dans l’obligation de faire de même pour ne pas être en reste, et ainsi de suite, phénomène qu’on observe encore aujourd’hui et qu’on désigne par l’expression «voisins gonflables» (p. 53).

L’Oreille tendue doit l’avouer : elle ne connaissait pas ces voisins gonflables. Ils ne datent pourtant pas d’hier.

Le Wiktionnaire en donne les définitions suivantes : «Cette expression exprime l’idée qu’une personne du voisinage souhaite démontrer qu’elle peut faire mieux que les autres personnes demeurant à proximité, probablement à l’image de la grenouille qui veut être plus grosse que le bœuf»; «Personne nourrissant une escalade de ses désirs en fonction des possessions de son voisinage.» L’exemple retenu est de 2017.

L’Oreille se couchera moins niaiseuse.

 

Référence

Mineau, Caroline L., Habiter une cage ouverte. Regards sur la liberté et ses paradoxes, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 24, 2023, 99 p. Ill.