Vingt-neuvième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Épiphore

Définition

«Placer le même mot ou groupe à la fin de deux ou plusieurs membres de phrase ou phrases» (Gradus, éd. de 1980, p. 194).

Exemple

«Sa voix grave, son regard dur, l’épaisseur de ses sourcils de même que la nudité de son torse lui venaient du boitillement qu’il donnait à son pas en s’appuyant sur une canne en bois. Il allait fièrement de profil afin de dissimuler sa canne dont il se servait comme d’une arme, elle était redoutée. Parmi les bagarreurs de fin de nuit elle était redoutée, parmi ceux qui fumaient sous les préaux elle était redoutée, parmi les soûlards d’après-midi elle était redoutée, parmi les amas de cartons des ruelles elle était redoutée, parmi les chiens elle était redoutée, parmi les voleurs de vélos elle était redoutée, parmi les siphonneurs de carburant elle était redoutée, parmi les endettés pour du hasch elle était redoutée, parmi les sans parole elle était redoutée» (Parents et amis sont invités à y assister, p. 152).

Renvois

Anaphore

Symploque

 

[Complément du 31 octobre 2017]

Autre exemple. Dans sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758), Jean-Jacques Rousseau a trois paragraphes qui se terminent par «mais il fallait faire rire le public». Cela se trouve dans le développement que Rousseau consacre au Misanthrope de Molière (éd. 1987, p. 190-192).

 

[Complément du 19 octobre 2018]

En 1977, dans le magazine Nous, Pierre Bourgault répond à la question «Maurice Richard est-il toujours vivant ?» Parlant du Rocket — c’est du hockey —, il a recours à l’épiphore :

Canadien français à une époque où il ne faisait pas bon l’être, il lui fallait être meilleur que les autres, bien meilleur, pour qu’on lui reconnaisse enfin quelque valeur. Il le fut.

Joueur de hockey à une époque où il ne faisait pas tellement bon l’être, il lui fallait être plus noble que tous pour résister à l’esclavage du système et réussir à en sortir, meurtri mais vivant. Il le fut.

Triomphant dans un désert de paresse et d’abandon, il lui fallait être à la fois plus fier et plus humble que ses compatriotes pour résister aux assauts de la jalousie et de l’envie. Il le fut (p. 32).

Hélène Racicot, couverture du magazine Nous, février 1977

 

Références

Bouchard, Hervé, Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 14, 2014, 238 p.

Bourgault, Pierre, «Maurice Richard est-il toujours vivant ?», Nous, 4, 9, février 1977, p. 32-33 et p. 40. Illustration d’Hélène Racicot.

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Rousseau, Jean-Jacques, Discours sur les sciences et les arts. Lettre à d’Alembert sur les spectacles, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1874, 1987, 402 p. Édition établie et présentée par Jean Varloot. Édition originale : 1758.

Aspirateur du jour

Nicholson Baker, Room Temperature, 1991, couverture

Il y a jadis naguère, l’Oreille tendue a reçu une grande enveloppe, sans adresse de retour, qui contenait, sans mot d’explication, la photocopie d’un texte de fiction, «Room Temperature», paru dans le magazine The New Yorker sous la signature de Nicholson Baker. (Merci, @JPinNV.) Pour le dire comme Humphrey Bogart à la fin du film Casablanca (1942) : «this was the beginning of a beautiful friendship».

L’Oreille a déjà eu l’occasion de parler ici de ce fabuleux écrivain qu’est Nicholson Baker : au sujet du Kindle d’Amazon, de sa si spitante langue, de la ponctuation, du jeu vidéo Modern Warfare 2, de Tintin, du lexique des écrivains, du iPhone, de l’anneau de Gygès. Quand elle a écrit sur Wikipédia, elle s’est appuyée sur un de ses articles de la New York Review of Books (2008).

Pourquoi rappeler cela aujourd’hui ? Parce que Baker consacrait cette semaine un court texte, «Suction», à l’aspirateur, toujours dans le New Yorker : «There are many pleasures to vacuum cleaning, and then sometimes there’s rug rage» (incipit). Les lecteurs de The Mezzanine (1990) apprécieront. Les autres aussi.

 

[Complément du 3 janvier 2024]

Dans sa vidéo «Nicholson Baker remonte son escalator» (2 janvier 2024), François Bon raconte sa découverte, dans laquelle l’Oreille a joué un rôle, du roman The Mezzanine. Allez voir.

 

Références

Baker, Nicholson, The Mezzanine. A Novel, New York, Vintage Books, coll. «Vintage Contemporaries», 1990, 135 p. Paru en français sous le titre la Mezzanine, Paris, Julliard, 1991, traduction d’Arlette Stroumza.

Baker, Nicholson, «Room Temperature», The New Yorker, 8 janvier 1990, p. 31-39. Repris dans Room Temperature, New York, Vintage Books, coll. «Vintage Contemporaries», 1991, 116 p. Paru en français sous le titre À servir chambré, Paris, Julliard, 1992, traduction de Michel Lederer.

Baker, Nicholson, «The Charms of Wikipedia», The New York Review of Books, 55, 4, 20 mars 2008.

Baker, Nicholson, «Suction», The New Yorker, 12 mai 2015.

Melançon, Benoît, «Journal d’un (modeste) Wikipédien», dans Rainier Grutman et Christian Milat (édit.), Lecture, rêve, hypertexte. Liber amicorum Christian Vandendorpe, Ottawa, Éditions David, coll. «Voix savantes», 32, 2009, p. 225-239. https://doi.org/1866/11380