Plagier Voltaire

L’Oreille tendue a eu plusieurs fois l’occasion de citer l’écrivain Roch Carrier, s’agissant de sacres et de sport. (Voir notamment ici.)

Comment Carrier est-il venu à l’écriture ? Il le raconte dans le texte «Comment suis-je devenu romancier ?» (1971) :

À douze ans donc, un collégien plus avancé que moi, mon voisin, m’avait prêté dans cette salle d’étude où chuintaient les pages des dictionnaires grec et latin, m’avait prêté Candide et je me demande si, à la découverte de l’Amérique, Christophe Colomb a été aussi émerveillé devant ce continent qu’il découvrait. Candide, ce conte que je découvrais et qui était tellement moins bête que les centaines de contes de fées que j’avais lus dans l’Encyclopédie de la Jeunesse; c’est à ce moment, je pense, que je suis devenu écrivain. J’ai commencé alors à écrire fébrilement au lieu de faire mes versions latines, je lus d’autres œuvres, je plagiai très férocement Voltaire; jamais je n’ai pu désapprendre ce rythme vif de la phrase que Voltaire m’a enseigné mais surtout je découvrais avec Voltaire tout ce qui empoisonnait la vie au Québec. Mon pays m’apparaissait comme un pays du XVIIIe siècle et Voltaire était le grand frère m’indiquant la voie à suivre (p. 269-270).

Il y a de pires modèles.

 

[Complément du 5 juillet 2016]

L’Oreille tendue a publié, en 2015, un petit article sur ce texte de Roch Carrier dans les Cahiers Voltaire.

 

Référence

Carrier, Roch, «Comment suis-je devenu romancier ?», dans Antoine Naaman et Louis Painchaud (édit.), le Roman contemporain d’expression française. Introduit par des propos sur la francophonie, Sherbrooke, Université de Sherbrooke, Faculté des arts, Centre d’étude des littératures d’expression française, 1971, p. 266-272.

Melançon, Benoît, contribution au dossier «Enquête sur la réception de Candide (XIII). Coordonnée par Stéphanie Géhanne Gavoty et André Magnan», Cahiers Voltaire, 14, 2015, p. 266-267.

Chuck Norris et Voltaire

C’est dans le film The Expendables 2 (2012). Sylvester Stallone et Chuck Norris se retrouvent, entourés de cadavres.

Stallone — J’ai entendu une autre rumeur : que tu avais été mordu par un cobra royal.
Norris — Oui, c’est vrai. Mais après cinq jours d’atroces souffrances, le cobra est mort.

Entendant cet échange, le dix-huitiémiste pense nécessairement à une épigramme célèbre de Voltaire.

L’autre jour, au fond d’un vallon,
Un serpent piqua Jean Fréron.
Que pensez-vous qu’il arriva ?
Ce fut le serpent qui creva.

La question qui se pose dès lors est évidente : est-ce Voltaire qui a inspiré Norris, ou l’inverse ?

 

 

[Complément du 11 juin 2020]

L’Oreille a repris ce texte, sous le titre «Chuck Norris et Voltaire, même combat ?», dans le livre qu’elle a fait paraître au début de 2020, Nos Lumières.

 

Référence

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.

Benoît Melançon, Nos Lumières, 2020, couverture

Autopromotion 084

Revue Épistolaire, no 39, 2103, couverture

Depuis des temps immémoriaux, l’Oreille tendue collabore à Épistolaire, la revue de l’Association interdisciplinaire de recherche sur l’épistolaire. Elle y tient notamment la chronique des «Curiosités épistolaires». (Elle les a rassemblées en 2011 dans l’ouvrage Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires.)

La 39e livraison de la revue a paru à la fin de 2013. L’Oreille y parle lettres anonymes dans la bande dessinée, au cinéma, chez les écrivains.

Table des matières

Haroche-Bouzinac, Geneviève, «Avant-propos», p. 5.

«La lettre et l’histoire»

Diaz, Brigitte et Françoise Simonet-Tenant, «La lettre & l’histoire», p. 9-14.

Veyssière, Laurent, «Bougainville au Canada (1756-1760) : ambitions multiples et stratégies d’écriture», p. 15-25.

Coudreuse, Anne, «Présence de l’histoire dans la correspondance de Marie-Antoinette», p. 27-37.

Meier, Franziska, «L’histoire politique dans la correspondance de Benjamin Constant de 1788 à 1795», p. 39-48.

Hennequin-Lecomte, Laure, «Le “cœur français” d’Octavie de Stein», p. 49-58.

Doria, Corinne, «La correspondance politique de Pierre Paul Royer-Collard (1763-1845)», p. 59-67.

Grossir, Claudine, «La révolution de 1848 au miroir de la correspondance de George Sand», p. 69-81.

Poitrenaud-Lamesi, Brigitte, «Lettres de guerre d’un conteur : Carlo Lorenzini (1826-1890)», p. 83-97.

Genevray, Françoise, «Correspondre par temps d’orage : Herzen épistolier (1847-1852)», p. 99-108.

Manin, Lise, «De la lettre à l’histoire, parcours d’une femme auteur : Amélie Bosquet», p. 109-118.

Brodziak, Sylvie, «Fin d’empire et débuts de république : l’histoire scandée par la correspondance de Georges Clemenceau», p. 119-129.

Ceugnart, Camille, «La lettre de Simone Weil à Georges Bernanos ou l’impact d’un témoignage historique», p. 131-141.

Giovaninetti, Marc, «Courriers personnels entre dirigeants et cadres du Parti communiste français», p. 143-153.

«Perspectives épistolaires»

Gretchanaïa, Elena, «“Je fuis le grand monde, et suis toujours mondain” : lettres inédites du comte Grigori Tchernychev», p. 157-168.

Allorant, Pierre, «La lettre, la femme et l’ingénieur. Les tribulations d’une correspondance familiale bourgeoise au XIXe siècle», p. 169-183.

Klein, Élisabeth, «“La lyre et l’encre”, une correspondance de Paul-Jean Toulet et d’Augustine Bulteau (1901-1904)», p. 185-193.

«Chroniques»

Hontebeyrie, Micheline, «État de la question. La correspondance de Paul Valéry», p. 197-217.

Melançon, Benoît, «Le cabinet des curiosités épistolaires», p. 219-221. Sur les lettres anonymes. [HTML] [PDF]

Charrier-Vozel, Marianne, «Vie de l’épistolaire», p. 223-228.

«Recherche»

«Comptes rendus», p. 231-288.

Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture

Moi, ce personnage

William Messier, Dixie, 2013, couverture

L’Oreille tendue rougit. Deux fois, elle est devenue personnage de fiction (en quelque sorte).

La première fois, c’était en 2000, sous la plume de Bernard Andrès, dans l’Énigme de Sales Laterrière :

— Une rhétorique où élocution et invention rhétoriques s’entremêlent, une elocutio fondée sur l’encyclopédie des savoirs, toute une triade des figurae ad docendum, ad delectandum et ad movendum ! s’enflamme Bernier sous l’œil goguenard de Melançon.

Mais Marc-André n’a que faire des sourires en coin. Il persiste et signe en renchérissant sur les idées de son ancien professeur :

— Messieurs, ce n’est pas une université que nous devrions avoir dans la province, mais au moins deux ! Ou trois ? Une à Québec, pour détrôner le Séminaire, une autre à Montréal, pour damer le pion aux sulpiciens et, pourquoi pas, une autre aux Trois-Rivières ?

— Comme vous y allez, Maître Bernier ! lance d’Estimauville qui connaît la fougue et les ambitions de la jeunesse lettrée. Et où recruterions-nous nos enseignants par ici ?

— Mais n’en voilà-t-il pas un devant nous ? répond benoîtement Melançon.

— Eh bien, pourquoi pas, mon ami ? reprend l’autre. Vous à Montréal et moi aux Trois-Rivières.

— La devision [sic] du petit monde universitaire ! plaisante Gamelin (p. 518-519).

Sa deuxième transsubstantiation est plus récente. Dans Dixie (2013), de William S. Messier, elle lit :

Il y a même le vieux Melançon qui scande les vers de la chanson en rinçant le moteur de sa chainsaw (p. 139).

(Les lecteurs de l’École de la tchén’ssâ reconnaîtront l’allusion.)

Si jamais elle meurt, l’Oreille mourra heureuse.

 

[Complément du 6 septembre 2019]

L’ami et ex-collègue François Hébert publie Miniatures indiennes. Cela a beau se dire Roman, on y croise des êtres de chair(e). La scène se déroule pendant la période des initiations de début d’année :

Il y a du tapage dans le corridor. Des rois passent, des médecins sadiques, des collègues, des vampires au menton dégoulinant de ketchup, des bagnards enchaînés, des démarcheurs, les professeurs Melançon et Mélancon, des chiens forcés de japper, des clowns, des Hare Krishna, des mendiants, des courtisanes à demi nues (p. 65).

Le lecteur qui connaît l’Université de Montréal n’aura pas de mal à reconnaître l’Oreille dans le premier des deux M., et Robert Mélançon dans le second.

 

[Complément du 13 juin 2022]

L’Oreille a longtemps donné à l’Université de Montréal un cours d’histoire de la littérature. Elle y a aussi donné des cours de littérature française du XVIIIe siècle. Or, lisant l’Amour des maîtres (2011), de Mélissa Grégoire, elle tombe sur ces deux passages :

Aucun cours n’était aussi brillant, substantiel, provocant que celui de Julien Élie, aucun professeur ne lui arrivait à la cheville, sauf un peut-être qui semblait se passionner pour l’histoire littéraire mais dont l’enseignement, donné dans un grand amphithéâtre, avait quelque chose d’impersonnel (p. 102).

Le lendemain, dans le cours de Littérature du XVIIIe siècle, Louis s’est assis à côté de moi […]. […] tandis que le professeur Beauchamp entrait dans la classe, j’ai continué de chuchoter à son oreille : «À l’avenir, parle donc pour toi !» Le professeur s’est assis, en faisant craquer sa chaise, a ouvert son livre et a commencé à lire son exposé d’une voix monocorde : «Madame de Staël se méfie de la solitude, elle insiste sur la nécessité de la conversation…» (p. 127)

Une «voix monocorde», vraiment ?

 

Références

Andrès, Bernard, l’Énigme de Sales Laterrière, Montréal, Québec Amérique, 2000, 871 p.

Grégoire, Mélissa, l’Amour des maîtres, Montréal, Leméac, 2011, 245 p.

Hébert, François, Miniatures indiennes. Roman, Montréal, Leméac, 2019, 174 p.

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.

Longue citation chorale du samedi matin

Hommage à la langue française (Chœur parlé), 1937, couverture

En 1937, le père Laurent Tremblay, o.m.i., fait paraître à Hull (Québec), à l’enseigne du Comité central des Ligues de retraitants, une brochure de vingt pages, suivies de plusieurs pages de publicité, Hommage à la langue française (Chœur parlé). Du XVIe au XXe siècle, l’auteur brosse à grands traits l’histoire du peuple né de la «semence immortelle» jetée par la France en Amérique.

Les dernières pages (p. 18-20) mettent en scène la langue française.

«LE DISEUR :—Que voulez-vous donc ?

LES MUSES :—Que voulez-vous donc ?

TOUS :—Nous voulons NOTRE LANGUE ! (Archi-terrible)

(La Langue Française apparaît en Reine richement parée.
Pages. Décors. Féeries. Rien d’efféminé. Sur elle, l’inscrip-
tion “JE ME SOUVIENS”.)

LA LANGUE FRANÇAISE :—Me voici.

(Coup de théâtre, déplacement général. L’orchestre ac-
compagne bruyamment comme pour une présentation d’armes.)

TOUS :—Vive la Langue Française !

LE DISEUR :—Elle règne depuis cinq cents ans sur un trône de gloire et de fierté.

LES MUSES :—Toujours jeune, depuis le temps des Troubadours et des Trouvères.

TOUS :—Toujours au service des grandes causes.

LE DISEUR :—Illustrée par des grands génies.

LA LANGUE :—(Posément et fermement, avec beaucoup de noblesse) Ma gloire principale est d’avoir servi la Foi.

LES MUSES :—La vérité.

LE PRÊTRE :—L’Église.

TOUS :—La civilisation.

LA LANGUE :—Dieu m’avait beaucoup donné. Je suis née sur les lèvres de la Fille Aînée de l’Église. J’ai beaucoup reçu.

LE DISEUR :—Et beaucoup rendu.

LA LANGUE :—Je veux donner encore ! c’est pourquoi je suis restée jeune.

LES MUSES :—Féconde.

LE DISEUR :—Vénérée.

TOUS :—Bien-aimée.

LA LANGUE :—(Autoritaire) Et respectée !… Ce tribut est mon droit. Cet hommage, je le revendique, je l’impose, je le prescris, je l’ordonne.

LES MUSES :—En Reine ?

LA LANGUE :—En Mère.

TOUS :—Tu l’auras. (En crescendo, comme plus haut pour le “non”)

LA LANGUE :—Je veux ma vraie place dans les cœurs.

TOUS :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—À l’école.

LES ENFANTS :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Au foyer.

LES FEMMES :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—À l’église.

LE PRÊTRE :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Au comptoir.

LES HOMMES :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Dans la rue.

TOUS :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—À la radio.

LES MUSES :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Au téléphone.

LES FILLES :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Au Parlement.

LE DISEUR :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Au théâtre.

LES MUSES :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Sur les enseignes, sur les monnaies, sur les timbres et les imprimés officiels.

TOUS :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Partout.

TOUS :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Je veux que l’on me parle parfaitement.

TOUS :—Nous le ferons.

LA LANGUE :—Que l’on m’écrive correctement.

TOUS :—Nous le jurons.

LA LANGUE :—Souvenez-vous que je suis claire et qu’entre mille mots je choisis le terme propre.

TOUS :—Nous nous corrigerons.

LA LANGUE :—Il suffit d’un mot louche et rustaud, d’un anglicisme vilain pour me défigurer.

TOUS :—Nous nous surveillerons.

LA LANGUE :—Gardez-vous de bannir votre parlure ancienne, et de mépriser les vieux mots apportés de France. J’y tiens comme une grand’mère tient à ses gages de fiançailles, comme une reine tient à ses premiers bijoux.

TOUS :—Nous garderons notre ancienne parlure. Nous conserverons et ressusciterons nos vieux mots.

LA LANGUE :—Chérissez, aimez, défendez, et gardez votre langue française, c’est elle qui vous gardera.

(Enveloppée de nuages, la Langue Française s’élève, et
disparaît comme le Sauveur au jour de l’Ascension. Tous, les
yeux fixés sur elle, lui envoient de la main un amoureux baiser.
La mélodie monte, puis s’éteint. Un temps de religieux silence.)

TOUS :—(Bien scandé avec émotion et résolution) Aimons, chérissons, défendons, gardons notre Langue Française, c’est elle qui nous gardera.

(L’orchestre reprend triomphalement les cinq dernières mesures
du refrain de “JADIS LA FRANCE SUR NOS BORDS”. En-
suite, les figurants et toute l’assistance chantent un vibrant “Ô
CANADA”.

—RIDEAU—»

 

[Complément du 16 septembre 2014]

L’Oreille tendue vient de faire paraître une courte analyse de la place de Voltaire dans ce texte. Voir dans les références ci-dessous.

 

Références

Melançon, Benoît, contribution au dossier «Enquête sur la réception de Candide (XII). Coordonnée par Stéphanie Géhanne Gavoty et André Magnan», Cahiers Voltaire, 13, 2014, p. 239-242.

Tremblay, Laurent, Hommage à la langue française (Chœur parlé), Hull, Comité central des Ligues de retraitants, 1937, 20 p.