La terminaison du jour

Jean-François Vilar, Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués, 1993, couverture

Ce ne sont pourtant pas les mots en -ade qui manquent en français. Le Petit Robert (édition numérique de 2010) en donne plus de 200.

On en invente néanmoins de nouveaux, et depuis longtemps.

Il neige ? @rdimatin parle de floconade.

Pour désigner les série télévisées américaines, Tonino Benacquista invente américanade (la Commedia des ratés, p. 98).

Les revues théâtrales de Gratien Gélinas mettaient en scène le personnage de Fridolin, d’où leur intitulé (Fridolinades).

En 1753, Morelly publie Naufrage des isles flottantes, ou Basiliade du célèbre Pilpai.

Dans un registre un brin différent, l’excellent Jean-François Vilar propose enculade (Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués, p. 157 et p. 283).

Il faut de tout pour faire un monde.

P.-S. — Au moment de mettre ce texte en ligne, l’Oreille tendue découvre l’existence du compte Twitter @wikinade.

 

Références

Benacquista, Tonino, la Commedia des ratés, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 2263, 1991, 242 p.

Vilar, Jean-François, Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués. Roman noir, Paris, Seuil, coll. «Fiction & Cie», 1993, 475 p.

Non, pas quelque part

L’Oreille tendue est linguistiquement commune : il y a des choses qu’elle n’aime pas parce qu’elle ne les aime pas. Ce sentiment est largement partagé autour d’elle.

L’Oreille tendue est bibliographe : elle aime, d’amour, les notices bibliographiques bien torchées. Ce sentiment n’est pas aussi largement partagé qu’il le devrait, même autour d’elle.

L’Oreille tendue n’aime pas l’expression X écrit quelque part. Exemple : «note-t-il quelque part» (la Presse, 11 décembre 2012, p. A5). Cela blesse, par manque de précision, sa fibre bibliographique.

Si l’on sait où se trouve ce que l’on veut citer, on le dit. Si on ne le sait pas, on ne dit rien (on ne dit pas quelque part).

C’est comme ça.

P.-S. — Rappelons-le : employer à ou en devant quelque part est un crime passible des plus lourdes peines. Ça aussi, c’est comme ça.

 

[Complément du 3 novembre 2020]

Jean-Jacques Rousseau dans sa Lettre à d’Alembert en 1758 ? «J’ai lu quelque part […]» (éd. de 1967, p. 159).

 

Référence

Rousseau, Jean-Jacques, Lettre à M. d’Alembert sur son article Genève, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 160, 1967, 250 p. Chronologie et introduction par Michel Launay. Édition originale : 1758.

Souvenir du printemps

Durant les grèves étudiantes québécoises de 2012, l’Oreille tendue a porté son regard vers les pancartes des manifestants (en imagesen motsen paroles).

Plus récemment, ici et , elle s’est interrogée sur la place du latin dans la culture qui l’entoure.

Un texte de deux de ses collègues dix-huitiémistes lie ces choses :

Au refus de négocier que leur signifie le gouvernement, les associations étudiantes des collèges et des universités opposent, le 22 mars, 200 000 protestataires défilant dans les rues de Montréal : «Une espèce menacée : Alumni quebecenses», écrit-on plaisamment sur certaines affiches.

Voilà de futurs diplômés québécois menacés mais cultivés.

 

Référence

Bernier, Marc André et Geneviève Lafrance, «Printemps érable au Québec : les cent jours du mouvement étudiant», Bulletin de la Société française d’étude du dix-huitième siècle, troisième série, 85, juillet 2012, p. 1-2.

(Triple) Autopromotion 046

Wikipédia, logo, 9 juin 2021

L’Oreille tendue écrit. Il lui arrive aussi de parler. Des preuves ?

Le 26 octobre, à Montréal, elle livrera ses «Confessions d’un optimiste (numérique)» à l’invitation de l’Académie des lettres du Québec. Information ici (en PDF).

Dans le cadre des Belles soirées de l’Université de Montréal, elle prononcera, le 29 octobre, à Laval, une conférence intitulée «Diderot : de l’Encyclopédie à Wikipédia». Renseignements .

Bienvenue à tous.

P.-S. — Une liste plus complète des activités publiques de l’Oreille se trouve sur son site professionnel.

Le point de vue de Pluton

Pendant les grèves étudiantes du printemps 2012, une policière du Service de police de la ville de Montréal, Stéphanie Stéfanie Trudeau, alias «Matricule 728», s’est rendue célèbre par ses interventions auprès de certains manifestants. Ces gestes avaient été suffisamment répréhensibles pour que ses supérieurs la retirent des équipes présentes lors des autres manifestations.

Son nom vient de revenir dans l’actualité, à la suite d’une intervention musclée, pour utiliser un euphémisme, le 2 octobre, à Montréal. Comme le dit la policière elle-même : elle a «sauté [sa] coche». C’est la télévision de Radio-Canada qui révélait l’affaire hier (voir et, surtout, entendre le reportage ici). Depuis, c’est le sujet de l’heure sur les médias dits «sociaux»; voir par exemple le Tumblr matricule728fordummies (matricule728pourlesnuls).

Il y aurait beaucoup à dire de cette intervention et de la réaction de l’employeur de Stéfanie Trudeau. Arrêtons-nous sur la langue qu’elle utilise.

Son répertoire de jurons est étendu : criss, tabarnak, câlisse. Son favori est estie / ostie : «osties de carrés rouges», «esties de sans cœur», «estie de cave», «estie de taouin», «esti d’trou d’cul», «estie de conne qui a pas rapport», «estie de graines de cave».

Elle ne manque ni d’insultes ni d’invectives : «rats», «artisses», «mangeux d’marde», «crottés», «ta yeule», «fais un homme de toué». L’ancien premier ministre du Québec Maurice Duplessis en avait contre les «joueurs de piano»; «Matricule 728» s’en prend aux «gratteux de guitare». Autres temps, autres mœurs.

La plus étrange de ces insultes est sûrement «Plateaunienne du nowhere».

«Plateaunienne» est un néologisme, mais il n’est pas propre à la policière; on en trouve plusieurs exemples grâce à Google. Il désigne une habitante d’un quartier montréalais, le Plateau Mont-Royal. Il semble être construit sur le modèle de «plutonienne» («Relatif à Pluton», dit le Petit Robert, édition numérique de 2010). Pour Stéfanie Trudeau, le Plateau, c’est une autre planète.

Pour «nowhere» («nulle part»), c’est plus compliqué. Comment peut-on être à la fois de quelque part (le Plateau) et de nulle part (nowhere) ?

Il est vrai qu’à écouter parler Stéfanie Trudeau on peut se demander sur quelle planète nous vivons.

Plateaunienne du nowhere
Merci à Iannik Marcil

 

[Complément du 27 novembre 2012]

Citation tirée du site lapresse.ca du jour, au sujet d’un film dont Stéfanie Trudeau vient d’interdire la diffusion, 728 agente XXX : «Outre le retrait du film, Mme Trudeau réclame 100 000 $ pour atteinte à son image et mauvaise foi. Elle signale qu’elle n’a jamais été consultée et n’a jamais consenti à l’utilisation de son image ou de ses caractéristiques. Surtout dans le cas présent, alors que son image est associée à la pornographie. Elle reproche à l’actrice principale et aux producteurs du film d’avoir utilisé une femme vêtue d’un uniforme de police avec l’insigne 728, d’avoir repris son langage et certaines de ses expressions, de même que certains de ses gestes, notamment avec une matraque, le poivre de Cayenne, et lors d’une arrestation, et cela hors contexte» (l’Oreille souligne).

Voilà un film qui donne un sens nouveau à la phrase «Arrêtons-nous sur la langue qu’elle utilise.»

 

[Complément du 16 juillet 2014]

Stéfanie Trudeau devait comparaître hier au palais de justice de Montréal. Cela n’a finalement pas eu lieu, ainsi que le rapporte Annabelle Blais dans la Presse+ d’aujourd’hui. La journaliste parle de «platoniciens du nowhere» plutôt que de «Plateaunienne». C’est prêter bien de la philosophie au Matricule 728.

 

[Complément du 28 août 2015]

Pour la rentrée «littéraire», on annonce, dans la catégorie des «Biographies étrangères» («étranges» ?), un livre de Stéfanie Trudeau, cosigné avec Bernard Tétrault, Matricule 728. Servir et se faire salir. Mon histoire (Ada, 2015). Sera-t-il écrit dans cette riche langue ?

Matricule 728. Servir et se faire salir. Mon histoire (Ada, 2015)

 

[Complément du 20 janvier 2017]

Le romancier Patrick Senécal n’a pas été insensible au Printemps érable dans les quatre ouvrages de sa série Malphas, surtout dans le quatrième, Grande liquidation. Il n’a pas été insensible non plus au vocabulaire de Matricule 728, puisqu’il fait dire ceci au directeur de la police de la petite ville de Saint-Trailouin : «La police vient d’arriver, elle va disperser tous ces osties de pouilleux de mangeux de marde de gratteux de guitare dans deux minutes» (p. 537).

 

Référence

Senécal, Patrick, Malphas 4. Grande liquidation, Québec, Alire, coll. «GF», 31, 2014, 587 p.