Helvético-québécisme du jour

Ceci, via l’ami @bauer_olivier :

Festival Pully-Lavaux, affiche, 2016De quoi s’agit-il ? Explication tirée du site de l’événement :

Fondé en 1996, le festival Pully-Lavaux à l’heure du Québec est la plus grande scène européenne de musique francophone d’Amérique du nord.

Cette 11e édition sera l’occasion de fêter un anniversaire plein de belles surprises. Avec l’appui de la commune de Pully, le festival agrandit ses infrastructures afin d’accueillir dans les meilleures conditions possibles le nombre de ses visiteurs qui est, à chaque nouvelle édition, en constante augmentation. Nombre d’artistes québécois confirmés, ainsi que d’autres qui seront la relève de demain, ont déjà assuré le festival de leur venue à l’occasion de ce 20e anniversaire.

Ça toffe !, donc : Ça dure ! ou Ça continue !, en passant par l’anglais tough.

L’Oreille tendue, spontanément, aurait écrit On toffe ! Il est vrai qu’elle n’est pas suisse.

L’avoir à terre

En 2009, un député français, Pierre Lasbordes, accueille le premier ministre québécois de l’époque, Jean Charest, en lui disant que celui-ci doit avoir «la plotte à terre». Il pensait alors utiliser une expression équivalente «en québécois» à «être très fatigué». Il se trompait. (Récit ici.) Recevoir un homme politique en français, langue pourtant parlée quotidiennement par lui et par son interlocuteur, lui paraissait donc si compliqué ?

Quand on entend la pub que vient de mettre en ligne la société française Orange et son portrait ridicule de l’accent québécois, sous-titres à l’appui, on se prend pourtant à se dire à soi-même qu’on a, en effet, parfois, la plotte à terre devant ce que certains Français imaginent être la langue parlée au Québec.

Dictionnaire des séries 57

La rondelle des Rolling Stones (Montréal, 2013)

«La p’tite rondelle noire est une étoile filante»
(Robert Charlebois, «Champion», chanson, 1987).

 

Sans rondelle, point de hockey. (Il existe des rondelles de substitution, mais ce n’est vraiment pas la même chose.)

La preuve ? Quand un entraîneur veut punir ses joueurs, il les fait s’entraîner sans : en 2010, Jacques Martin, qui dirigeait alors l’équipe de Montréal, «a convié le Canadien à une réunion d’équipe à 10 h 30, suivie d’une courte séance de patinage sans rondelle, puis d’un entraînement intensif» (la Presse, 24 novembre 2010, cahier Sports, p. 2). Il était mécontent de leur performance de la veille.

Indispensable, donc, la rondelle. Et qui porte plusieurs noms, outre celui-là.

Il y a disque.

Lafleur derrière son filet
Prend bien son temps
Cède le disque à Boucher
(Daniel Boucher, «Boules à mites», chanson, 1999)

Il y a caoutchouc, comme chez Albert Chartier (éd. de 2011, p. 43).

Albert Chartier, Onésime, détail

 

Il y a puck, au masculin.

Quand sur une passe de Butch Bouchard i prenait le puck derrière ses goals
(Pierre Létourneau, «Maurice Richard», chanson, 1971)

Il y a puck, au féminin. (L’Oreille tendue défend cette position.)

«Passe-moé la puck», chanson des Colocs (1993).

Attention : on ne confondra pas puck et poque, même s’il est vrai que la première peut causer la seconde.

L’entraîneur Pat Burns, au lieu de rondelle, disque ou puck, utilisait, dit-on, la noire. C’est joli.

Les non-autochtones emploient souvent palet. Il ne faut pas : comme gouret au lieu de bâton, cela vous chasse à l’extérieur des membres de la communauté hockeyistique.

Dans ma ruelle, les soirs d’hiver, j’entends mes petits voisins jouer au hockey. Le garçon hurle en frappant le palet comme un sourd (Ils sont fous, ces Québécois !, p. 128).

Que fait-on avec l’objet ? On le tire, on le passe, on le droppe (dropper : se débarrasser de la rondelle avant d’entrer dans la zone adverse en la tirant dans le fond de celle-ci).

Ça droppe le puck dans l’fond pis ça joue comme des chaudrons
(Les Cowboys fringants, «Salut mon Ron», chanson, 2002)

Il est mal de manger la puck (conserver la rondelle alors qu’on devrait la passer à un coéquipier).

Serguei, c’t’un gars d’la Russie
Qui passe son temps sur la galerie
Qui mange la puck, qui vire en rond
(Alain-François, «C’est pour quand la coupe Stanley ?», chanson, 2007)

Attention : on ne confondra pas manger la rondelle et manger les bandes.

Quand la rondelle est libre, il faut s’en emparer. Quand on l’a, il faut la protéger.

On ne s’étonnera pas qu’un objet de cette importance ait servi de base à des expressions passées dans la langue commune.

Qui niaise avec la puck manque d’esprit d’initiative, sur la glace comme ailleurs.

Qui a la puck qui roule pour lui est favorisé du sort; qui ne l’a pas s’en plaint.

Quand la puck roulait pour nous autres
(Mes Aïeux, «Le fantôme du Forum», chanson, 2008)

Comme la rondelle semblait rouler à mon avantage, il fallait exploiter la situation sans attendre (Sainte Flanelle, gagnez pour nous !, p. 105).

Depuis hier soir, la saison étant terminée, la puck ne roule plus pour personne, littéralement et dans tous les sens. Les joueurs peuvent raser leur barbe des séries et l’Oreille tendue mettre un terme à son «Dictionnaire des séries». Un livre sera tiré de celui-ci; il sera publié en octobre 2013 par Del Busso éditeur.

 

[Complément du 13 mai 2014]

«Je sais qu’on prétend que les synonymes parfaits n’existent pas. Pourtant, que l’on dise le caoutchouc, le disque ou la rondelle, on désigne le même objet et personne ne peut s’y tromper. De toute façon, les synonymes peuvent enlever un peu de la monotonie que pourrait créer la répétition trop fréquente des mêmes mots. […] Les joueurs se disputent une rondelle, un disque ou un caoutchouc. Malheur à qui s’acharnerait à vouloir le “puck”.»

Michel Normandin, «La langue des sports», Vie française, 12, 1-2, septembre-octobre 1957, p. 34-46, p. 42 et 43.

 

[Complément du 17 juillet 2014]

L’Oreille tendue vient de découvrir une bande dessinée sur le hockey parue à Bruxelles en 1957, «La revanche de Terry». On y parle de puck (p. 29) au masculin. (On y utilise aussi dribbler et stick.)

Jean Graton, «La revanche de Terry», 1957, p. 29

 

 

[Complément du 14 juin 2021]

De la puck à la pomme, il n’y aurait qu’un pas. (Merci à Pierre Cantin.)

«On niaise pas avec la pomme» (publicité, avril 2021)

 

[Complément du 30 décembre 2021]

Domper la puck : synonyme de dropper la puck. Ce n’est pas mieux.

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Références

Chartier, Albert, Onésime. Les meilleures pages, Montréal, Les 400 coups, 2011, 262 p. Publié sous la direction de Michel Viau. Préface de Rosaire Fontaine.

Dionne, Claude, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! Roman, Montréal, VLB éditeur, 2012, 271 p.

Graton, Jean, «La revanche de Terry», dans Ça, c’est du sport ! 7 histoires complètes, Bruxelles, Lombard, «Collection du Lombard», 1957, p. 28-31.

Wœssner, Géraldine, Ils sont fous, ces Québécois ! Chroniques insolites et insolentes d’un Québec méconnu, Paris, Éditions du moment, 2010, 295 p.

Dictionnaire des séries 50

Bill Stern, «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard», World’s Greatest True Sports Stories. Bill Stern’s Sports Book, 1952, case

«Elle adore tous ses champions
D’la rondelle et du bâton
Pour le hockey, elle peut rester trois jours sans manger»
(Léo LeSieur, «Ah ! le hockey», chanson, 1930)

 

Le bâton est un outil essentiel à tous les joueurs pour tirer, passer ou arrêter la rondelle, voire pour frapper les joueurs adverses.

Vous auriez dû voir les fameux coups d’bâton
(Oscar Thiffault, «Le Rocket Richard», chanson, 1955)

Parmi les fabricants de bâtons, Sherwood a longtemps tenu le haut du pavé, du moins dans la langue du hockey.

Love & Bennett Limited ! Tu parles d’un nom pour un bâton de hockey ! Maurice Richard jouait avec un Love & Bennett, pas un Easton ni un Sherwood. Je n’arrive pas à le croire. Et t’as vu ? Droit comme un «i». Comment pouvait-on lancer avec ça ? (le Vol de la coupe Stanley, p. 63).

On entend donc dire, par exemple, jouer du Sherwood. Autre occurrence, avec allusion culturelle à la clé :

La rondelle réussit à se frayer un chemin à travers une forêt de Sherwood (Sainte Flanelle, gagnez pour nous !, p. 78).

Plus généralement, le mot hockey désigne à la fois le sport et le bâton.

Ces merveilleux joueurs
Glissant sur leurs patins
Le hockey à la main
(Les jeunes du Mont Saint-Antoine, «Nos Canadiens», chanson, années 1960)

En France, on dit crosse. (Pas au Québec.) En Suisse, canne.

N.B. : ne jamais dire gouret, sauf si on cherche une rime avec goret, comme Jocelyn Bérubé en 2003 («Rocket», p. 34).

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Références

Bérubé, Jocelyn, «Rocket», dans Portraits en blues de travail, préface de Jean-Marc Massie, Montréal, Planète rebelle, coll. «Paroles», 2003, p. 25-36.

Dionne, Claude, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! Roman, Montréal, VLB éditeur, 2012, 271 p.

MacGregor, Roy, le Vol de la coupe Stanley, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 2, 2005, 140 p. Traduction de Jean-Pierre Davidts. Édition originale : 1995.

Non, point du tout

Charlotte Aubin, Toute ou pantoute, 2024, couverture

Pantoute est un adverbe de négation prisé au Québec.

Il peut servir à répondre à une question.

«Le volleyball, un sport de camping ? Pantoute ! Regardez la finale masculine opposant les Russes aux Brésiliens. Quel beau spectacle ! #jo2012» (@JeanSylvainDube).

Il est aussi employé pour caractériser un sentiment, une idée, une opinion, etc.

«J’y ai été avec ma mère, à matin, j’ai pas envie pantoute d’y retourner !» (Un ange cornu avec des ailes de tôle, p. 81).

«J’apporte rien pantoute. Juste ma peau» (Martine à la plage, p. 76).

«En descendant d’l’avion
Plus aucun doute
Même si vos mots
J’les pigeais pas pantoute
Gens du pays
J’ai su qu’on s’aimerait» («L’accent d’icitte»).

Remarque orthographique. On voit, mais exceptionnellement, pentoute.

«Parler à un jeune employé qui comprend pas le sens du mot “sous-vêtements” euh “culottes?!” #PasGenantPentoute» (@PimpetteDunoyer).

 

[Complément du 29 décembre 2012]

Aussi exceptionnellement, on voit «pan toute», en deux mots, par exemple dans la bande dessinée Onésime d’Albert Chartier (p. 13, p. 14, p. 85, p. 148, p. 202). Il est vrai que le même Chartier écrit aussi «pantoute» (p. 183, p. 191, p. 205, p. 212, p. 230, p. 239, p. 240, p. 262).

 

[Complément du 22 avril 2017]

Martin Winckler vit à Montréal depuis quelques années. Cela a-t-il des effets sur son vocabulaire ? Sans aucun doute, comme l’atteste le tweet ci-dessous. (Et il y a aussi ceci.)

Tweet de Martin Winckler contenant le mot «pantoute», 2017

 

[Complément du 26 mars 2019]

En 1937, la brochure le Bon Parler français considérait «Pantoute», mis pour «Pas du tout», comme une «locution vicieuse» (p. 13).

 

[Complément du 30 novembre 2021]

Cela n’a pas empêché l’auteur de Meurtre au Forum de l’utiliser deux fois en 1953 :

— Vous avez pensé qu’il était malade ? dit Alain.
— J’ai rien pensé pantoute, dit l’homme (p. 6).

— C’est deux gamblers. Ça joue aux courses et c’est toujours prêts à gager sur n’importe quoi ?
— Ben ça, c’est intéressant, dit Saturnin. Car moi itou, j’suis assez gambler. [Je] déteste pas ça pantoute» (p. 27).

 

Références

Le Bon Parler français, La Mennais (Laprairie), Procure des Frères de l’Instruction chrétienne, 1937, 24 p.

Boulerice, Simon, Martine à la plage. Roman, Montréal, La mèche, coll. «Les doigts ont soif», 2012, 82 p. Avec des dessins de Luc Paradis.

Chartier, Albert, Onésime. Les meilleures pages, Montréal, Les 400 coups, 2011, 262 p. Publié sous la direction de Michel Viau. Préface de Rosaire Fontaine.

Gaël, «L’accent d’icitte», Diamant de papier, Productions de l’onde, 2010.

Tremblay, Michel, Un ange cornu avec des ailes de tôle. Récits, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 1994, 245 p.

Verchères, Paul [pseudonyme d’Alexandre Huot ?], Meurtre au hockey, Montréal, Éditions Police journal, coll. «Les exploits policiers du Domino Noir», 300, [1953], 32 p.