Amours risibles

Ariane Chemin, À la recherche de Milan Kundera, 2021, couverture

I

En 2019, à la demande de Kevin Lambert, l’Oreille tendue publiait, dans les Cahiers Victor-Lévy Beaulieu, un essai intitulé «Accidents de lecture». En voici le deuxième paragraphe :

Il est ainsi des livres que l’on ne souhaite pas reprendre, pour toutes sortes de raisons, bonnes ou mauvaises, futiles ou pas. Il est aussi des auteurs que l’on a abandonnés en cours de route. On les a lus, parfois étudiés, longtemps suivis, fréquentés avec assiduité, puis, un jour ou au fil des années, ça s’est arrêté. On ne veut ni les relire ni continuer à les lire. L’amitié n’y est plus (p. 179).

II

Ariane Chemin est reporter au quotidien le Monde et admiratrice de Milan Kundera. Sous forme de feuilleton, elle a mené une enquête sur cet écrivain qui refuse entrevues et présences médiatiques depuis 37 ans. Les Éditions du sous-sol publient en livre ce portrait d’un «écrivain fantôme» (p. 9), d’un «disparu volontaire» (p. 10), d’un «absent omniprésent» (p. 137).

L’autrice n’a pas l’intention de proposer une analyse de l’œuvre de Kundera, même si ses textes sont cités ou évoqués plusieurs fois, de même que son passage de la poésie au roman et du tchèque au français. Elle discute avec la femme de l’écrivain, Vera, visite les lieux qu’il a fréquentés (Brno, Prague, Rennes, Paris), interviewe certains de ses proches et de ses exégètes, consulte les interminables rapports de la police tchèque sur «Élitiste I» et «Élitiste II» (2374 pages), leurs surnoms bureaucratiques (voilà qui paraît neuf). C’est l’homme Kundera qui l’intéresse, au moins autant que l’auteur.

Pour le dire poliment, l’image qui ressort de ce travail journalistique est bien peu flatteuse. Kundera, sous la plume d’Ariane Chemin, est intraitable et mesquin (dans ses textes, il cite d’abord élogieusement Philippe Sollers, qu’il apprécie; il se brouille avec lui; il le fait disparaître des rééditions). Lui et sa femme souhaitent verrouiller le discours qu’on tient et qu’on tiendra sur lui; à juste titre, Chemin appelle cela un «roman officiel» (p. 29). En «grand tacticien» de sa postérité (p. 104), il essaie de minimiser, voire d’effacer, par exemple, l’importance de son passé communiste. Il s’escrime à «toujours maçonner et verrouiller soi-même son œuvre avant de quitter les vivants» (p. 98). Il n’aime plus la lecture proposée par Aragon dans sa préface de la Plaisanterie (1968) ? À la trappe !

Ariane Chemin, à la fin de son livre, parle du «destin tragique» de Milan Kundera (p. 133). Ce n’est pas la seule lecture que l’on peut faire du personnage.

P.-S.—Le portrait de Kundera est dur. Celui de Vera et de ses superstitions (p. 63, p. 110-112) ne l’est pas moins, bien qu’Ariane Chemin ait manifestement de l’affection pour elle.

P.-P.-S.—Au premier abord, l’objet est joli. Puis on le lit et on s’étonne d’y trouver tant de répétitions («son ami» est martelé), d’incohérences (il a 91 ou 92 ans, Kundera ?), de coquilles (p. 73, p. 117), de jeux de mots nases («seule une traduction le sauVera», p. 37).

P.-P.-P.-S.—Rappelons, pour finir, que Kundera refuse la numérisation de ses ouvrages : autre signe de son obsession du contrôle.

 

Références

Chemin, Ariane, À la recherche de Milan Kundera, Paris, Éditions du sous-sol, 2021, 133 p.

Melançon, Benoît, «Accidents de lecture», les Cahiers Victor-Lévy Beaulieu, 7, 2019, p. 179-181. https://doi.org/1866/28565

Accouplements 167

Wikipédia, logo, 9 juin 2021

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Melançon, Benoît, «Journal d’un (modeste) Wikipédien», dans Rainier Grutman et Christian Milat (édit.), Lecture, rêve, hypertexte. Liber amicorum Christian Vandendorpe, Ottawa, Éditions David, coll. «Voix savantes», 32, 2009, p. 225-239. https://doi.org/1866/11380

7 avril 2008. Mario Roy est éditorialiste au quotidien La Presse, où il ne manque jamais une occasion de fustiger les vilains intellectuels. Dans l’édition du 31 mars, il reprend la même lamentation, s’agissant cette fois de Wikipédia. S’il fallait l’en croire, Wikipédia serait l’objet de critiques non fondées de la part des intellectuels : «les classes intellectuelles et culturelles dominantes n’ont jamais été très à l’aise avec la dissémination prolétaire, anarchique, incontrôlée, du savoir et de la culture». Quelques lignes plus haut, on pouvait lire que l’encyclopédie numérique était «la seule incarnation réelle de l’idéal communiste». Communisme, prolétariat, classes : voilà convoqué le vocabulaire marxiste pour parler de la plus états-unienne des entreprises, du moins en son principe. Pour proposer une lecture politique de Wikipédia, le libéralisme serait une bien meilleure catégorie que le communisme : ce qui unit les Wikipédiens n’est pas le rejet du capitalisme, mais plutôt un supposé égalitarisme social et intellectuel, selon lequel un amateur peut discuter (presque) d’égal à égal avec un Prix Nobel, ainsi qu’une conception un peu simpliste de la démocratie, conçue comme discussion sans médiation. Se greffe encore à cela le pragmatisme réputé des États-Uniens (p. 230).

Menand, Louis, «Wikipedia, “Jeopardy!,” and the Fate of the Fact», The New Yorker, 23 novembre 2020. https://www.newyorker.com/magazine/2020/11/23/wikipedia-jeopardy-and-the-fate-of-the-fact

Wikipedia is neoliberalism applied to knowledge.

Autopromotion 569

RaccourSci, logo, 13 mai 2021

Pour le site RaccourSci. La communication scientifique sans détour, l’Oreille tendue vient de rédiger le texte «Du bon usage (ou pas) des notes». Il se trouve ici.

RaccourSci est le fruit d’une collaboration entre l’Association francophone pour le savoir (Acfas) et l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF). Il s’agit d’une «une plateforme numérique qui a pour but de donner des outils à la communauté universitaire, et à qui en ressent le besoin, pour apprendre à mieux communiquer».

Une solution au bout des doigts

Extension «The Digital Switch», pour fureteur Chome, exemple

L’Oreille tendue ne recule pas toujours devant les batailles perdues d’avance (voyez un exemple ici).

Parmi ces batailles, il y a l’utilisation, parfaitement inutile, de digital à la place de numérique.

Un programmeur a pensé à elle. Il a conçu, pour le fureteur Chrome, une extension, «The Digital Switch», qui permet de remplacer digital par numérique, et vice versa, sur n’importe quelle page.

Merci, en quelque sorte.

(Et merci à René Audet.)