Comparer pour comprendre

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

En 2008, Andrea A. Lunsford et Karen J. Lunsford publient une étude sur les pratiques d’écriture des étudiants états-uniens. Cette étude est comparative : leur travail sur un corpus de l’année 2006 s’appuie sur des études semblables pour 1917, 1930 et 1984. Autrement dit, on compare des pommes avec des pommes

Le 19 octobre dernier, sur JStorDaily, Anne Trubek revient sur les conclusions de l’étude sur 2008 et sur les réponses qu’on lui a faites.

Quelles sont ces conclusions ? Retenons-en deux

The study found no evidence for claims that kids are increasingly using «text speak» or emojis in their papers. Lunsford and Lunsford did not find a single such instance of this digital-era error. Ironically, they did find such text speak and emoticons in teachers’ comments to students.

The digital revolution has been largely text-based. Over the course of an average day, Americans in 2006 wrote more than they did in 1986 (and in 2015 they wrote more than in 2006). New forms of written communication — texting, social media, and email — are often used instead of spoken ones — phone calls, meetings, and face-to-face discussions. With each text and Facebook update, students become more familiar with and adept at written expression. Today’s students have more experience with writing, and they practice it more than any group of college students in history.

Le texto et les réseaux sociaux auraient une influence négative sur les pratiques d’écriture des étudiants ? Non. Ces étudiants écriraient moins qu’avant et plus difficilement ? Point pantoute et bien au contraire.

Les gens qui ne cessent de répéter que «Le niveau baisse» auraient intérêt à lire ce genre d’études. Elles ne sont pas fondées sur des impressions.

P.-S. — Merci à @IanikMarcil d’avoir attiré l’attention de l’Oreille sur ce texte.

 

Références

Lunsford, Andrea A. et Karen J. Lunsford, «“Mistakes Are a Fact of Life” : A National Comparative Study», College Composition and Communication, 59, 4, juin 2008, p. 781-806.

Trubek, Anne, «Student Writing in the Digital Age», JStorDaily, 19 octobre 2016.

Le niveau baisse en anglais aussi

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

«The reasons for the decline of English are many : poorer education, the use of the Internet and its devices, the disappearance of the family and meaningful conversation, etc.

Result : part of the problem is that many people do not seem to have a good grasp of grammar.

When one looks about,capacities such as logical thinking, proper spelling, careful handwriting, politeness, seem to have gone by the board, (not “bored.”), in the last twenty-five years

Source : Michael D. Langan, «Commentary : Crimes against grammar», site de NBC2, 3 octobre 2015.

 

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

Permanence de la lettre

L’Oreille tendue n’en est pas à une répétition près. Depuis plus de vingt ans au moins, elle raconte à qui veut bien l’entendre que la lettre n’est pas disparue avec l’apparition du numérique (courriel, puis réseaux sociaux). La lettre a cependant changé de fonction, ce qui a mis en relief ce qui la constitue et en fait la valeur.

Là où le numérique pourrait faire craindre une absence d’incarnation, l’écriture manuscrite adressée, au contraire, suppose une matérialité forte. Elle est d’autant plus forte qu’elle est l’objet d’un choix : dans l’arsenal des moyens de communication dont on dispose aujourd’hui, écrire à la main, c’est ne pas envoyer un courriel ou un texto, c’est ne pas tweeter et retweeter, c’est ne pas rameuter sa communauté Facebook. J’aurais pu m’adresser à toi à partir de mon ordinateur, de mon téléphone, de ma tablette. Je ne l’ai pas fait. Je voulais laisser une marque, ma marque.

Des exemples ? Les trois qui suivent signalent l’importance de l’école dans la permanence de l’épistolaire.

En 1993, une polyvalente de Laval, en banlieue de Montréal, a mis sur pied pour la quatrième année une «Semaine du mieux-vivre» durant laquelle les élèves étaient invités à écrire à leurs camarades et à leurs professeurs afin «de briser l’isolement qui conduit certains jeunes au suicide».

En 2011, six étudiants de Queen’s University (Kingston, Ontario) sont morts de causes diverses, dont le suicide, sur une courte période. La direction de l’établissement, en plus d’affecter des ressources psychologiques aux personnes touchées, a installé des tables où les étudiants étaient invités à partager par écrit leurs sentiments.

Au début des années 2000, rapporte Catherine Handfield dans la Presse+ d’hier, le Carrefour familial des Moulins (Terrebonne, Québec) a lancé le «Courrier Plume-images» : les enfants des écoles primaires de la région — ils ont de six à douze ans — peuvent y envoyer des lettres et s’y confier librement. Résultats ? «Plus de 4000» lettres manuscrites, souvent accompagnées de dessins, ont été reçues l’an dernier, auxquelles ont répondu 35 bénévoles — à la main, bien sûr.

Non, la lettre n’est pas près de disparaître.

 

Références

Blais-Poulin, Charles-Éric, «Entre le clavier et la plume», la Presse+, 13 août 2016. http://plus.lapresse.ca/screens/7c569f01-8feb-4704-a9b5-d0223ddc6fc9%7CfMfIQOjXNITZ.html

Handfield, Catherine, «À l’écoute des élèves, une lettre à la fois», la Presse+, 30 août 2016. http://plus.lapresse.ca/screens/81e10780-af1e-4bb7-8040-2d5e36da08d4%7C8_VN.EJ25cq4.html

Melançon, Benoît, «Des usages actuels de la lettre», Bulletin de l’AIRE (Association interdisciplinaire de recherche sur l’épistolaire, Paris), 12, décembre 1993, p. 25. https://benoitmelancon.quebec/docs/usages_actuels_aire_1993.html

Melançon, Benoît, Épistol@rités, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Washing Machine», 2013. Édition numérique. Recueil de trois textes : Sevigne@Internet. Remarques sur le courrier électronique et la lettre (1996), «Postface inédite : Quinze ans plus tard» (2011) et «Épistol@rités, d’aujourd’hui à hier» (2011). http://www.publie.net/fr/ebook/9782814506602/epistol@rites

Melançon, Benoît, «Le cabinet des curiosités épistolaires», Épistolaire. Revue de l’AIRE (Association interdisciplinaire de recherche sur l’épistolaire, Paris), 40, 2014, p. 257-259. https://benoitmelancon.quebec/docs/actualite_epistolaire_40_2014.html

Epistol@rités, publie.net, 2013

État des lieux

Instrument de sélection littéraire

 

Pour le dire médiévalement, l’Oreille tendue se prépare à envoyer à son éditeur un bréviaire tiré de ce blogue. Elle a passé la Zamboni sur son manuscrit pour la deuxième fois aujourd’hui.

De quoi ce manuscrit a-t-il l’air ? Pour l’instant, il compte 83 000 mots, pour 305 entrées. Le blogue en comptant 2789, c’est dire que la sélection a été sanglante; il a fallu utiliser de solides outils pour y arriver.

Maintenant ? Ce devrait être chez l’éditeur au plus tard le 31 août, une fois reçus et intégrés commentaires et suggestions de lecteurs triés sur le volet.

Ça s’appellera, sans surprise, l’Oreille tendue.

P.-S. — L’Oreille ne s’en cache pas : publicitairement, elle souhaite mettre à profit quelques leçons tirées d’un article récent de René Audet, «Des sous-produits éditoriaux au secours de la littérature. Stratégies de construction d’image chez les éditeurs québécois contemporains» (Études françaises, 52, 2, 2016, p. 65-86. https://doi.org/10.7202/1036925ar).

 

[Complément du 22 novembre 2021]

Le livre a paru :

Melançon, Benoît, l’Oreille tendue, Montréal, Del Busso éditeur, 2016, 411 p.

Benoît Melançon, l’Oreille tendue, 2016, couverture

Extension du domaine du moratoire

Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, édition de 1998, couverture

L’Oreille tendue a souvent eu l’occasion de proposer des moratoires sur l’utilisation de certaines formules toutes faites dans les titres (de presse, de colloque, de texte scientifique, d’entrée de blogue, etc.).

Elle en a assez de «Tradition et modernité», de «Mythes et réalité», des «Liaisons dangereuses», des «Ovnis» et des «Tsunamis», des «Le jeu du X et du hasard» — et, bien sûr, des chiasmes en série.

Elle propose d’ajouter à cette liste (non exhaustive) les variations sur «Extension du domaine de Y» (merci Michel Houellebecq).

Des exemples ?

«Extension du domaine des lettres – Congrès international 2017 de la Société d’étude de la littérature et de langue française du XXe et du XXIe siècles.»

«Le journalisme de données, une extension du domaine de la fuite», le Devoir, 9-10 avril 2016, p. B2.

«Extension du domaine du corps», le Devoir, 21-22 novembre 2015, p. E5.

«[Extension du domaine du jeu] Tremblez, le Parti communiste chinois a compris les jeux vidéo» (@Rue89).

«Nicolas Sarkozy annonce sa candidature à la présidentielle dans un livre. Extension de la politique au domaine du littéraire et inversement» (@passouline).

«Trottoir montréalais • Extension du domaine de la vente de garage (http://bit.ly/17F8EFg) • http://twitpic.com/ckzdg4» (@benoitmelancon).

«Extension du domaine du baveux

«Extension du domaine du soutif

«De l’extension du domaine de la broche à foin

«Extension du domaine de la bibliothéconomie

Merci à l’avance.

 

[Complément du 24 juin 2019]

Extension de l’extension.

«Aux États-Unis, extension du domaine de la surveillance des élèves»

«Agencer des “seconds volumes” possibles pour Bouvard et Pécuchet de Flaubert : la nécessaire “extension du domaine de la lutte” numérique»

«Extension du domaine de la médiation et des heures d’ouverture dans les bibliothèques danoises»

Epron, Benoît et Marcello Vitali-Rosati, l’Édition à l’ère numérique, Paris, La Découverte, coll. «La Découverte», 706, 2018, 127 p.

«L’extension du domaine de l’édition» (p. 67).

Binet, Laurent, la Septième Fonction du langage. Roman, Paris, Librairie générale française, coll. «Le Livre de poche», 34256, 2016, 477 p. Édition originale : 2015.

«Vu comme ça, la sémiologie, loin d’être une extension du domaine de la linguistique, semble se réduire à l’étude de protolangages grossiers, bien moins complexes et donc bien plus limités que n’importe quelle langue» (p. 15).

Frantz, Pierre et Sophie Marchand (édit.), le Théâtre français du XVIIIe siècle : histoire, textes choisis, mises en scène, Paris, Éditions L’avant-scène théâtre, coll. «Anthologie de L’avant-scène théâtre», 2009, 598 p. Ill. Avant-propos de Pascal Charvet. Préface de Philippe Tesson, Anne-Claire Boumendil et Olivier Celik.

«Extension du domaine de la littérature» (p. 154)

«extension du domaine de la philosophie» (p. 290)

 

[Complément du 16 novembre 2021]

Extension au carré.

«Les chansons de la Seconde République. Extension du domaine de la stylistique» (Fabula).

«Extension du domaine du catch» (le Devoir, le D magazine, 28-29 août 2021, p. 19).

«Extension du domaine de la caricature» (le Devoir, 14-15 novembre 2009, p. F8).

«Extension du domaine de la lettre» (Fabula).

«Extension du domaine de l’écologie» (LivresHebdo).

«Extension du domaine du grilled cheese» (mea culpa).