Il y a carter et carter

Au Québec, pour acheter de l’alcool, à la Société des alcools (SAQ) comme ailleurs, il faut avoir dix-huit ans. Si vous ne semblez pas les avoir, on peut vous demander vos papiers — vos cartes. Vous vous faites alors carter.

C’est arrivé il n’y a pas très longtemps à @mcbeaucage :

«La jeune femme moderne sort ses cartes avec plaisir quand elle se fait carter à la SAQ. Han, @MadameChos ?»

Ce sens est courant. L’est moins celui de mettre la photo de quelqu’un sur une carte. Pourtant cet autre sens est attesté par l’exemple suivant :

«Se faire carter à mon âge… merci @Doctorakgo et crew ! http://doctorak-go.blogspot.ca/2013/03/charles-dionne-fabrice-masson-goulet.html» (@Fabricemg).

Même si on entend aussi le premier sens du verbe dans cette phrase («à mon âge»), on ne confondra pas carter et carter.

Rime en -ag

L’Oreille tendue n’a pas manqué d’occasions de le dire : swag et yolo sont des mots à la mode chez les jeunes, et leur succès à la bourse lexicale se maintient depuis plusieurs mois.

Un de ses lecteurs, @profenhistoire, a attiré son attention sur une nouveauté : «“Vagg” (i.e. qqn ou ses propos inconséquents ou dérisoires).»

N’écoutant que sa conscience linguistique, l’Oreille a abordé la question auprès de son spécimen préféré d’adolescent — appelons-le «Le Spécimen». Quid de ce mot ?

Le Spécimen ne connaît d’utilisation de vagg seul que dans l’exclamation «Ah ! Vagg !». Dans son milieu, on dit plutôt vagg sur.

Que cela signifie-t-il ? Une forme de refus : ne pas aimer quelque chose; ne pas être d’accord avec quelqu’un; ne pas vouloir faire quelque chose.

Exemples

«— À La Ronde, je vais faire le Goliath dans la première rangée.
— Vagg sur ça.» [Traduction libre : «Pas moi».]

«—Je vais écrire un poème.
— Ah ! Vagg !» [Traduction libre : «Jamais !»]

L’acception «propos inconséquents ou dérisoires» est inconnue du Spécimen. L’île de Montréal semble comporter plusieurs microclimats linguistiques.

 

[Complément du 10 septembre 2018]

La Presse+ publiait hier un article intitulé «Le nouveau joual de la métropole». Entrée en matière : «Oubliez le franglais. Montréal est plus multiculturel que jamais et l’argot de la métropole est désormais de plus en plus mâtiné de créole et d’arabe. Regard sur un phénomène linguistique qui s’étend dans tous les quartiers de l’île.»

Vag apparaît trois fois dans le texte, sous la forme vag, dont une fois dans le «Petit glossaire de l’argot montréalais» : «Vag (sur) = laisser tomber.» Ailleurs, «vag sur lui» est rendu par «je m’en fous de lui» et «Vag sur ce neg-là» par «Oublie ce type-là».

 

[Complément du 14 juin 2024]

Quelle est l’origine de vag ? Selon la balado de Jérôme 50 Ainsi soit chill (2023, deuxième épisode), le mot viendrait du créole haïtien.

Célébrer ?

Le 20 mars est la Journée internationale de la francophonie.

Ladite francophonie, quel que soit son ancrage géographique, est unie à plusieurs égards. Elle partage des inquiétudes, elle cherche ses mots, elle a les mêmes tics universitaires (ici, , encore ici, toujours là, de ce côté, de l’autre), qui sont souvent des «atlantics», malgré nombre de «divergences transatlantiques», et elle succombe aux même effets de mode (le swag, les mots de l’année).

Fêtera qui le souhaite cette unité dans la diversité.

Au sauna, dude

Chaleur sèche ou pas, l’Oreille est toujours tendue.

L’autre jour, au sauna, elle écoutait son fils cadet et un pote d’icelui disserter de leur vie scolaire.

Conclusion ? Swag tient toujours le haut du pavé. Yolo est connu. Genre reste fréquent (mais pas style). On aime beaucoup lol et trololol. Et dude constitue la formule d’interpellation par excellence : «Hey, dude, je sue.»

Ils ne connaissent toutefois pas encore le verbe dudoyer : «to address someone as “Dude”», pour reprendre la définition repérée par @emckean.

Cela viendra bien assez tôt.

 

[Complément du 12 juin 2014]

Dude est d’un emploi ancien au Québec. On le trouve dans une bande dessinée du journal la Patrie, «Les aventures de Timothée», le 3 décembre… 1904 : «Quoi est-ce qu’y veut ce dude là» (p. 13). Cette BD est reproduite dans Pierre Véronneau, «Introduction à une lecture de la bande dessinée québécoise, 1940-1910», Stratégie. Lutte idéologique, 13-14, printemps 1976, p. 59-75, p. 67.

Deux ou trois choses qu’ils savent du bows

Depuis maintenant plus d’un an, le texte le plus populaire de l’Oreille tendue porte sur le swag.

Plus récemment, ses lecteurs ont beaucoup consulté la définition de yolo.

Le 11 janvier, elle annonçait cela sur Twitter : «Pour la première fois, yolo (http://bit.ly/U1Cu2s ) éclipse swag (https://oreilletendue.com/2011/04/12/du-postcool/ ).»

Réponse de @PimpetteDunoyer : «selon @mlleAinee yolo est out, swag, ça va encore, mais là, c’est “bauss” qu’il faut dire http://t.co/w10QF2WT.» Un débat s’ensuivit, auquel participa @maxdenoncourt.

Quelques précisions s’imposent quant à «bauss».

Phonétique. Les sources pré-adolescentes et adolescentes consultées par l’Oreille tendue (n=3) sont formelles : un z final doit être bien audible. Voilà pourquoi on préférera à bauss, du moins en français, la graphie bows ou baws.

Historique. Le chanteur Rick Ross serait «The Boss»; c’est pour lui qu’on aurait d’abord parlé de bauss / baws / bows. Lonely Island a aussi une chanson intitulée «The Boss».

Sémantique : contrairement au swag, qui serait largement affaire d’apparence (style, tenue vestimentaire), le bauss / baws / bows serait, lui, affaire d’action, de geste (bien vu).

Grammaire. Le mot peut être un substantif («Salut, le Baws»; «C’est un baws»), un adjectif («Il est bows») ou une interjection («Bauss» !).

Genre. Épicène, bauss / baws / bows ne saurait cependant être utilisé hors de sa communauté sexuelle d’origine. Un garçon peut en trouver un autre bauss / baws / bows; de même, une fille envers une autre fille. En revanche, un garçon ne pourrait utiliser l’expression pour désigner une fille, ni vice versa. C’est comme ça.

Gestuelle. À la question de @PimpetteDunoyer («paraît qu’il faut le dire en donnant un léger coup de tête sur le côté, est-ce ds la gestuelle filiale?»), la réponse est catégorique chez les membres de l’échantillon scientifiquement choisi par l’Oreille : non. Peut-être est-ce affaire de géographie urbaine ou, de façon plus plausible, de fossé des générations (un an, à l’adolescence, est une génération).

Synonymie. Comme pour swag, cool est un synonyme possible de bauss / baws / bows.

Anatomie. Certains lient le mot à l’appareil reproducteur masculin (balls). Tous ne sont pas d’accord.

Suffixation. Certains croient qu’il est possible d’ajouter -er à bauss / baws / bows, pour faire bowser (souvenez-nous du vilain dans le jeu vidéo Mario Bros). Tous ne sont pas d’accord.

C’est tout pour l’instant.

Bows, swag, cool