Citation islandaise du jour, bis

Arnaldur Indridason, Hiver arctique, 2009, couverture

«— Aïe… laisse donc les gens parler comme ils veulent.
— Enfin, c’est comme tout le reste, je suppose que je me bats contre des moulins, regretta Erlendur.»

Arnaldur Indridason, Hiver arctique, traduction d’Éric Boury, Paris, Métailié, coll. «Métailié noir», 2009, 334 p., p. 227. Édition originale : 2005.

Polar franco-québécois

Luc Baranger, Aux pas des raquettes, 2009, couverture

Aux pas des raquettes est un polar simplet — narrativement, politiquement, sexuellement, comportementalement.

Sur le plan de la langue, trois choses à signaler.

L’argot qu’affectionne l’auteur est celui, mutatis mutandis, de la «Série noire» des années cinquante ou soixante : pas toujours facilement compréhensible, mais enlevé, et un peu caricatural.

La création lexicale est fréquente. La plus intéressante est du côté des verbes, souvent fondés sur le nom propre : «Allez, casse-toi, pauv’ con ! sarkozia Pichon» (p. 9); «avec trois copains il chuckberrisait des reprises des Stones et des Hollies» (p. 23); «C’est de la merde ! jeanpierrecoffe Vladimir» (p. 30); «Si tu cries, j’te mesrine» (p. 31).

La langue parlée au Québec est rendue de façon assez juste, malgré quelques broutilles. Les noms géographiques sont parfois écorchés : Gâtineau pour Gatineau (p. 43), La Colle pour Lacolle (p. 71). Dans «couple de pouponnes» (p. 74), «couple» devrait être au masculin. Ce devrait être «Y’a pus personne qui voulait rien savoir de lui» (p. 75), au lieu de «peu». Le glossaire final contient surtout, mais pas seulement, des expressions québécoises, et leur définition est correcte. (Cela dit, pour sa part, l’Oreille tendue n’a jamais entendu où que ce soit «Casser dans pan» pour «Se faire sauter le caisson»…) Bref, ça se discute, mais ce n’est heureusement pas du Fred Vargas.

 

Références

Baranger, Luc, Aux pas des raquettes, Paris, Éditions La branche, coll. «Suite noire», 31, 2009, 95 p. Suivi d’un glossaire.

Vargas, Fred, Sous les vents de Neptune, Paris, Viviane Hamy, coll. «Chemins nocturnes», 2004, 441 p.

Quatre mots pour le XXIe siècle

Jusqu’à tout récemment, trois mots (en «c») semblaient bien résumer, pour l’Oreille tendue, le début du XXIe siècle.

Commémoration. L’année dernière, c’était celle des Canadiens de Montréal. Vendredi dernier, celle du 11 septembre 2001. Hier, celle de la bataille des plaines d’Abraham à Québec. La semaine prochaine, ce sera autre chose.

Conspiration. Voilà qui obsède les créateurs : nous vivons à l’ère du complot. Lire The Da Vinci Code de Dan Brown, Checkpoint de Nicholson Baker, le Projet Syracuse. Vie et mort de Wolf Habermann (1895 ? – 1979 ?), mathématicien, philologue, amateur de baseball et soi-disant conspirateur de Georges Desmeules, les romans d’Henning Mankell ou la trilogie Millénium de Stieg Larsson. Essayer de suivre la série télévisée 24.

Communauté. Qu’est-ce que le Web 2.0 — Facebook, Twitter, Flickr, YouTube —, sinon la création de communautés ? Quelle est la valeur récurrente des discours de Barack Obama ?

L’Oreille se rend compte qu’il lui manquait un mot : génération C. De quoi s’agit-il ? «La “génération C”, c’est celle du million et demi de Québécois nés entre 1982 et 1996, ces jeunes qui ont grandi avec les micro-ordinateurs et Internet et qui s’en servent pour communiquer, collaborer et créer comme jamais auparavant dans l’histoire», explique le site du colloque qui porte le nom de cette nouvelle génération. En faites-vous partie ? Réponse ici.

 

[Complément du 26 décembre 2015]

Sur le complot et la complicité, on écoutera le Monde selon Antoine Perraud, sur France Culture, livraison du 4 octobre 2015.

P.Q.

L’histoire de la littérature raffole des périphrases. Bossuet est «L’aigle de Meaux», Voltaire, «Le patriarche de Ferney», George Sand, «La bonne dame de Nohant».

Existe-t-il des périphrases québécoises (P.Q.) ? Bien sûr, avec la même contrainte qu’ailleurs : il faut minimiser le risque de confusion. «Le poète de Natashquan» (Gilles Vigneault), oui; pas «Le poète de Montréal». «L’athlète de Ripon» (Stéphane Richer), d’accord; «L’athlète de Québec», non.

Il y a des «p’tits gars», souvent d’anciens premiers ministres, au fédéral comme au provincial : les «p’tits gars» de Shawinigan (Jean Chrétien), de Baie-Comeau (Brian Mulroney), de Chandler (René Lévesque). Il y a «Le père de la loi 101» (Camille Laurin), qu’on ne confondra pas avec «Le père de Youppi» (Roger D. Landry). Il fut même un temps où «Le prince des annonceurs» (Roger Baulu) pouvait interviewer «Le prince des lépreux» (le cardinal Paul-Émile Léger).

Certaines P.Q. peuvent désigner deux personnes, ce qui nuit à leur efficacité. «Le beu de Matane» («Le bœuf de Matane») est aussi bien l’ex-ministre Marc-Yvan Côté que l’ex-hockeyeur Alain Côté.

Inversement, il est des cas où une seule a droit à plusieurs P.Q. : Céline Dion est «La p’tite fille de Charlemagne», «La diva de Charlemagne», voire «La diva de la chanson».

On ne prête qu’aux riches.

 

[Complément du 27 mars 2012]

Thomas Mulcair vient d’être élu chef du Nouveau parti démocratique du Canada. Michel David, qui lui consacre un texte dans le Devoir d’aujourd’hui, l’appelle le «pitbull de Chomedey» (p. 3). Ouch.

 

[Complément du 27 avril 2015]

Si l’on en croit @PrintempsM (Les Printemps meurtriers de Knowlton / Festival international de littérature noire de langue française), Chrystine Brouillet serait «la reine du polar québécois». Merci de nous l’apprendre.

 

[Complément du 21 décembre 2015]

Dans le Devoir du jour, sous la plume de Jean-François Nadeau : le «barde de l’île d’Orléans», Félix Leclerc (p. A3).

 

[Complément du 29 décembre 2019]

L’omnicommentateur Mathieu Bock-Côté est né dans la banlieue montréalaise de Lorraine. Mark Fortier vient de lui consacrer un ouvrage, Mélancolies identitaires. On y lit ceci : «Voilà qui explique pourquoi le hibou de Lorraine hulule aussi gaiement en volant au-dessus du champ de ruines» (p. 150).

 

[Complément du 15 mai 2022]

S’agissant de Céline Dion, un exemple romanesque, chez Alex Viens : «Charlie pointe du doigt le petit cadre vintage que Jules a déposé sur sa table de chevet pour s’endormir sous les yeux bienveillants de la diva de Charlemagne» (les Pénitences, p. 110).

 

[Complément du 14 janvier 2024]

La cerbère de la nouvelle équipe de hockey féminin de Montréal vient de La Malbaie. Elle est réputée intraitable. Comment désigne-t-on Ann-Renée Desbiens dans les médias ? «La grande muraille de Charlevoix.» Les Chinois peuvent aller se rhabiller.

 

Références

Fortier, Mark, Mélancolies identitaires. Une année à lire Mathieu Bock-Côté, Montréal, Lux éditeur, coll. «Lettres libres», 2019, 168 p.

Viens, Alex, les Pénitences. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2022, 128 p.

Ami ami

Déclaration de Michel Therrien sur Jacques Demers, la Presse+, 19 octobre 2016

Être l’ami de quelqu’un, c’est bien; être son ami personnel, ce serait mieux.

Vraiment ?

La Presse du 15 octobre 2007 parlait «des amis personnels de l’ancien premier ministre» Jean Chrétien (p. A10). Ce type de superamitié paraît particulièrement actif dans le milieu politique, mais ça ne semble pas y être un avantage dans toutes les occasions. On se méfie, dirait-on, de l’ami personnel, surtout de l’ami personnel du régime, toujours suspect de vouloir abuser de sa position.

Question, en passant : est-il des amis impersonnels ? Si oui, ils ne doivent pas être très amusants.

 

[Complément du 11 novembre 2014]

Moment d’illumination de l’Oreille tendue ce matin : et si l’ami personnel était en fait l’ami intime ? Voilà qui expliquerait tout (ou presque).

 

[Complément du 22 décembre 2014]

Faisons plus simple encore : ami proche.

 

[Complément du 25 mai 2015]

Dans un manuel célèbre aux États-Unis, On Writing Well, William Zinsser s’en prend au «clutter», ce qui alourdit la prose. Vous pouvez enlever des mots d’une phrase ? Enlevez-les : «Writing improves in direct ratio to the number of things we can keep out of it that shouldn’t be there. […] Examine every word you put on paper. You’ll find a surprising number that don’t serve any purpose.» Un exemple ? «The personal friend has come into language to distinguish him or her from the business friend, thereby debasing both language and friendship.» Ne dévalorisons ni le langage ni l’amitié; ne parlons plus d’ami personnel.

 

[Complément du 22 juin 2020]

Dans un polar de 1968, Chauffé à blanc, le mal sévit deux fois plutôt qu’une : «Quand je lui demande qui pourrait confirmer l’existence de cette liaison, il me donne, plus encore à contrecœur, le nom du propriétaire d’un motel, à Chevy Chase, un ami personnel de la personne en question et, plus récemment, un ami personnel des Hogan» (p. 114).

 

[Complément du 18 décembre 2023]

L’Oreille tendue avoue avoir été fort étonnée de trouver «ami personnel» sous la plume de Jean-Philippe Toussaint dans son plus récent livre, l’Échiquier (2023, p. 222).

 

Références

Coe, Tucker, Chauffé à blanc, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 1176, 1968, 250 p. Traduction de M. Elfvik.

Toussaint, Jean-Philippe, l’Échiquier, Paris, Éditions de Minuit, 2023, 244 p. Ill.

Zinsser, William, On Writing Well. 30th Anniversary Edition. The Classic Guide to Writing Nonfiction, New York, Collins, 2006. Édition numérique.