Accouplements 244

Mordecai Richler, Barney’s Version, 1997, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Mickey Haller, le héros de la série télévisée The Lincoln Lawyer, a été marié deux fois. Quand ses ex l’appellent, il est facile de les départager : c’est soit «First Wife», soit «Second Wife», qui s’affiche sur l’écran de son téléphone.

Barney Panofsky, le narrateur du fabuleux roman Barney’s Version de Mordecai Richler, a été marié trois fois. Sa deuxième femme s’appelle «the second Mrs. Panofsky».

Ces deux cas sont légèrement différents. Dans la série télévisée, sauf pour l’ordre (première, deuxième), les épouses de Mickey Haller sont sur le même pied : elles n’ont pas de nom (téléphonique). Chez Richler, Clara Charnofsky (la première) et Miriam Greenberg (la troisième) ont un nom, pas «the second Mrs. Panofsky». Ce n’était peut-être pas sa préférée.

P.-S.—Ne l’oublions pas : la mère de «the second Mrs. Panofsky» n’aime pas qu’on siffle à table.

 

Référence

Richler, Mordecai, Barney’s Version. With Footnotes and an Afterword by Michael Panofsky, Toronto, Alfred A. Knopf, 1997, 417 p. Paru en français sous le titre le Monde de Barney. Accompagné de notes et d’une postface de Michael Panofsky, Paris, Albin Michel, coll. «Les grandes traductions», 1999, 556 p. Traduction de Bernard Cohen. Édition originale : 1997.

L’oreille tendue de… Arnaldur Indridason

Arnaldur Indridason, la Pierre du remords, 2021, couverture

«L’homme dans la cuisine continuait à hurler, surplombant sa femme d’un air menaçant. Les enfants restaient silencieux. L’homme se raidit brusquement et tendit l’oreille. Il avait entendu un bruit. Sa femme gisait sur le sol, il la releva, lui remit un peu d’ordre dans les cheveux et lui fit signe de rester tranquille et de l’attendre.»

Arnaldur Indridason, la Pierre du remords, Paris, Seuil, coll. «Points. Policier», P5547, 2021, 375 p., p. 9. Édition originale : 2019. Traduction d’Éric Boury.

Glace conversationnelle

Éric Forbes, le Fugitif, le flic et Bill Ballantine, 2024, couverture

Soit l’extrait suivant du roman policier québécois le Fugitif, le flic et Bill Ballantine (2024) :

«Elle sourit.
—Ah, ça… De l’imagination, il en a pour dix, ce môme !
—Ça fait longtemps qu’il… euh… t’aide à… (Il toussote dans sa main.) Que tu l’utilises pour… euh…
Chénier patine, mal à l’aise. Il ne veut surtout pas qu’elle croie qu’il la juge.
—Que je l’utilise pour mes casses ?» (p. 172-173)

Que vient faire le patinage dans cette affaire ? Réponse du Petit Robert (édition numérique de 2018), sous patiner : «Fig. Région. (Canada). Éluder une question, éviter d’y répondre.»

À votre service.

P.-S.—En effet : il est question de patin par là.

 

Référence

Forbes, Éric, le Fugitif, le flic et Bill Ballantine, Montréal, Héliotrope, coll. «Noir», 2024, 274 p.

Ne pas le devenir, si possible

Tee-shirt «Unreliable narrator»

La semaine dernière, l’Oreille tendue mangeait avec un ex-collègue et néanmoins ami. Celui-portait un t-shirt où on pouvait lire «Unreliable Narrator». Depuis, elle se demande si ce qu’il lui a raconté est vrai. Était-il de confiance («reliable») ?

Le narrateur du roman les Bottes suédoises, lui, paraît fiable. En revanche, il est constamment désagréable.

Parfois, c’est amusant.

Je me suis assis à l’endroit qu’elle m’avait indiqué et j’ai contemplé le portrait du couple royal. Le cadre était de travers. Je me suis levé et j’ai accentué un peu l’inclinaison (p. 217).

La plupart du temps, c’est plus grave : Fredrik Welin est plein de ressentiment, assez peu sensible à la souffrance des autres, pleutre, mesquin, manipulateur, menteur, cruel.

Welin a 70 ans et ne cesse de se plaindre des méfaits de la vieillesse. En lisant ce roman d’Henning Mankell, l’Oreille a tout de suite caractérisé le personnage en utilisant une figure venue de son familiolecte : c’est un vieux déplaisant.

Essayez de ne pas le devenir. De son côté, l’Oreille s’y applique.

P.-S.—Le marabout peut se corriger. C’est plus difficile pour le vieux déplaisant.

P.-P.-S.—Interrogation transatlantique : le vieux déplaisant québécois serait-il le laid p’tit vieux belge ?

 

[Complément du 31 juillet 2024]

Synonymes québécois : «vieux haïssable» (Twitter), «vieux malcommode» (l’Oreille).

Synonymes wallons : «vî strouk» («“vieille branche” (plutôt “vieux moignon” ou “vieille souche”)», Nicolas Ancion), «vîreûs» («grincheux, grognon», Michel Francard).

 

[Complément du 1er novembre 2024]

Chez Simenon, dans Malempin : «Est-ce que tante Élise, qui avait épousé son laid vieux Tesson pour…» (p. 328)

 

Références

Mankell, Henning, les Bottes suédoises. Roman, Paris, Seuil, coll. «Points», P4600, 2017, 363 p. Édition originale : 2015. Traduction d’Anna Gibson.

Simenon, Georges, Malempin. Roman, dans Pedigree et autres romans, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 553, 2009, p. 223-328 et 1526-1539, p. 262. Édition originale : 1940. Édition établie par Jacques Dubois et Benoît Denis.

Accouplements 242

Henning Mankell, les Bottes suédoises, 2017, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Si l’on en croit le folklore familial de l’Oreille tendue, son grand-père maternel, au moins une fois, aurait téléphoné à sa fille pour lui dire simplement «T’es pas morte toé crisse», avant de raccrocher.

C’est à eux que l’Oreille a pensé en lisant les Bottes suédoises d’Henning Mankell : «Ma dernière conversation avec [ma fille] remontait à deux semaines. Elle m’avait appelé tard un soir, alors que je venais de m’endormir. Elle se trouvait dans un café bruyant près d’Amsterdam, et n’avait pas voulu me raconter ce qu’elle faisait là-bas, bien que je lui aie posé à deux reprises la question. Elle voulait juste savoir si j’étais encore en vie, avait-elle dit» (p. 33-34).

La communication familiale, y a que ça de vrai.

 

[Complément du 19 août 2024]

Toujours chez Mankell, cette fois dans la Lionne blanche :

— Salut, c’est moi.
— Qui ?
— Ton fils.
— Ah. J’avais oublié le son de ta voix (p. 102).

 

Références

Mankell, Henning, la Lionne blanche. Roman, Paris, Seuils, coll. «Points», P1306, 2004, 487 p. Édition originale : 1993. Traduction d’Anna Gibson.

Mankell, Henning, les Bottes suédoises. Roman, Paris, Seuil, coll. «Points», P4600, 2017, 373 p. Édition originale : 2015. Traduction d’Anna Gibson.