Faire marche arrière

Titre de la Presse+ du 19 décembre 2021

Prenons une situation imaginaire. Vous faites partie d’un gouvernement appelé à gérer une pandémie. Vous présentez une série de mesures. Vous êtes obligé de changer d’avis. Comment désigner cela ?

En français de référence, on pourra dire que vous avez été forcé de rétropédaler.

Au Québec, il existe une autre possibilité : marcher sur la peinture. Exemple tiré de la Presse+ du 19 décembre 2021 : «On pourrait même dire [que François Legault] a maîtrisé l’art de marcher sur la peinture avec élégance. […] Cette semaine, voyant la dégradation de la situation sanitaire et la montée fulgurante du variant Omicron, M. Legault a été obligé de faire marche arrière.»

Pourquoi marcher sur la peinture ? Parce qu’on s’est peinturé dans le coin, bien sûr. Un ancien premier ministre du Canada ne s’en cachait nullement : «Quand on s’est peinturé dans le coin, on peut toujours marcher sur la peinture, disait Jean Chrétien» (le Devoir, 8-9 mai 2004, p. B3). Bref, il n’y a plus de choix : il faut revenir sur ses pas, au risque de se salir.

 

[Complément du 10 mars 2022]

«S’auto-peinturer dans le coin» (vu sur Twitter) paraît pléonastique.

Manger de la politique

Boîte à lunch

Une proposition de loi pour encadrer la liberté universitaire au Québec ? «Tout le monde va être pour la tarte aux pommes. On l’a constaté dans nos travaux : tout le monde est pour la liberté universitaire. Ça se complexifie quand vient le temps de dire ce que ça veut dire et comment on la met en œuvre» (Alexandre Cloutier).

La volonté de ramener une équipe de hockey dans la ville de Québec ? «Retour des Nordiques : personne n’est contre le sirop d’érable, François. Mais sans vouloir t’insulter, t’es pas le premier à t’essayer… T’es pas non plus le premier politicien à essayer grossièrement de changer de sujet quand il sent la soupe chaude» (Catherine Dorion).

Il est périodiquement question de simplifier la vie des contribuables québécois en leur faisant remplir une déclaration d’impôt unique (il y a en deux actuellement) ? «Tout ça devient un peu, comment dire, de la poutine politique pour les gens» (Michel David, télévision de Radio-Canada, 19 août 2021).

Un parti vole à un autre un élément de son programme politique ? «QS [Québec solidaire] est en voie de “manger le lunch” du PQ [Parti québécois] qui devra se livrer à une remise en question déchirante et choisir un autre chef» (Donald Charette).

Vous appréciez les rencontres de toutes formes ? «Le Sommet. Une forme de manger mou politique» (la Presse, 25 février 2013, p. A15).

En politique, au Québec comme ailleurs, on trouve à boire et à manger.

Les zeugmes du dimanche matin et d’Internet

«À l’école de la pandémie et de la professeure Duflo», le Devoir, 24 septembre 2021

«En fait, [Denis Coderre] aurait sagement gardé les deux mains sur le volant. Ça lui aurait coûté moins cher — en contravention, en crédibilité et en amour-propre» (la Presse+, 8 novembre 2021).

«Dans le nouveau James Bond, Daniel Craig tire du gun et sa révérence» (Twitter, 8 octobre 2021).

«Ses écrits suivants auront moins de succès et dès les années 1970, [Richard Brautigan] tombe progressivement dans l’anonymat et l’alcoolisme» (Wikipédia, 12 novembre 2021).

«À l’école de la pandémie et de la professeure Duflo» (le Devoir, 24 septembre 2021).

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

La clinique des phrases (ffff)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit le tweet (journalistique) suivant :

Les Montréalais ont reconduit Valérie Plante aux commandes de la métropole québécoise, après avoir signé une victoire décisive contre Denis Coderre.

Si l’on déplace l’apposition en tête de phrase, cela donne :

Après avoir signé une victoire décisive contre Denis Coderre, les Montréalais ont reconduit Valérie Plante aux commandes de la métropole québécoise.

Certains Montréalais se réjouissent de la réélection de Valérie Plante, mais il est peut-être excessif de dire que c’est eux, et non la mairesse, qui ont «signé une victoire décisive contre Denis Coderre».

Corrigeons d’abord comme ceci :

Après avoir signé une victoire décisive contre Denis Coderre, Valérie Plante est reconduite par les Montréalais aux commandes de la métropole québécoise.

Est-il bien nécessaire de préciser qu’il est question de la «métropole québécoise», alors que ce sont «les Montréalais» qui ont voté ?

Allégeons encore :

Après avoir signé une victoire décisive contre Denis Coderre, Valérie Plante est reconduite par les Montréalais aux commandes de la métropole.

À votre service.

Autopromotion 598

Anne Caumartin, Julien Goyette, Karine Hébert et Martine-Emmanuelle Lapointe (édit.), Je me souviens, j’imagine. Essais historiques et littéraires sur la culture québécoise, 2021, couverture

Les Presses de l’Université de Montréal publient, sous la direction d’Anne Caumartin, Julien Goyette, Karine Hébert et Martine-Emmanuelle Lapointe, un ouvrage collectif intitulé Je me souviens, j’imagine. Essais historiques et littéraires sur la culture québécoise. Dédié «À la mémoire de Laurent Mailhot (1931-2021)», il est disponible en plusieurs formats et en libre accès.

L’Oreille tendue y publie un texte, «Le Forum de Montréal».

Quatrième de couverture

L’originalité de cet ouvrage est de tenter de mettre en perspective une part des mythes, des emblèmes et des lieux communs de l’imaginaire collectif québécois tout en misant sur les expériences, les réflexions et les souvenirs personnels des auteurs. Ni rappel d’un glorieux passé français, ni réification d’une américanisation, ni célébration d’une historiographie ou d’une littérature savante, ni enfin apologie d’une «vraie» culture populaire, les objets qui le composent ont d’abord été retenus pour leur portée interprétative. En dehors de toute prétention à l’encyclopédisme ou à la représentativité, ils ont en commun d’offrir différentes strates de représentations. Qu’il s’agisse de tordre le cou aux mythes les plus persistants ou de ranimer certains spectres envahissants pour mieux les prendre à parti, les 26 collaborateurs ont tous joué le jeu de la relecture et de l’actualisation, conjuguant, en des proportions variables, une démarche savante et une écriture essayistique.

Table des matières

Introduction, p. 9-18

Première partie. Où ? Les espaces de la culture

«Constituer un territoire, mot à mot. Autour et à rebours du coureur des bois et de l’habitant», Michel Lacroix, p. 21-34

«L’hiver», Daniel Laforest, p. 35-47

«Colonisation. Trois récits sans futur», Micheline Cambron, p. 49-69

«La rivalité Montréal-Québec. Histoire et mémoire d’un antagonisme», Harold Bérubé, p. 71-95

«Le Forum de Montréal», Benoît Melançon, p. 97-105 — https://doi.org/1866/28556

Deuxième partie. Quand ? Les moments de la culture

«La Conquête dans la mémoire et l’imaginaire québécois», Charles-Philippe Courtois, p. 109-138

«Patriotes ou rebelles», Michel Ducharme, p. 139-158

«Les rouges», Yvan Lamonde et Jonathan Livernois, p. 159-174

«Splendeurs et misères de la “revanche des berceaux”», Denyse Baillargeon, p. 175-195

«La Grande Noirceur, ou visa le noir, tua le blanc», Julien Goyette, p. 197-213

«Le kaléidoscope de la mémoire d’Octobre», Jean-Philippe Warren, p. 215-229

Troisième partie. Qui ? Les figures de la culture

«Nous autres, ou l’Autre en nous. Échos de la parole autochtone au Québec», Catherine Broué et Marie-Pier Tremblay Dextras, p. 233-255

«Les porteurs d’eau», Vincent Lambert, p. 257-271

«“C’est pas l’anglais qui vous fait peur”.  L’antagonisme anglais dans l’imaginaire québécois», Martine-Emmanuelle Lapointe, p. 273-286

«La mère de tous les maux. Le mythe du matriarcat au Québec», Karine Hébert, p. 287-305

«Les vestiges d’un passé catholique», Karine Cellard, p. 307-329

«De l’utilité des “maudits Français”. Une histoire d’amour vache et de bouc émissaire», Élisabeth Haghebaert, p. 331-356

Quatrième partie. Quoi ? Les objets de la culture

«Entre parler (le bon) français et parler joual», Chantal Bouchard, p. 359-369

«Le butin du cortège triomphal. Le patrimoine de la migration», Martin Pâquet, p. 371-395

«Un héritage problématique. La mémoire de la religion», Mathieu Bélisle, p. 397-412

«Les “grands romans québécois”», Élisabeth Nardout-Lafarge avec la collaboration de Chloé Savoie-Bernard, p. 413-433

«La fatigue culturelle», Michel Biron, p. 435-457

 

Référence

Caumartin, Anne, Julien Goyette, Karine Hébert et Martine-Emmanuelle Lapointe (édit.), Je me souviens, j’imagine. Essais historiques et littéraires sur la culture québécoise, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Champ libre», 2021, 461 p. Ill.