Portrait et autoportrait : leur art, chez Julia Deck

Julia Deck, Viviane Élisabeth Fauville, 2014, couverture

Les autres : «L’entreprise Biron gagne beaucoup d’argent, elle occupe un immeuble de huit étages rue de Ponthieu, à deux pas des Champs-Élysées. Dans le hall, des hôtesses d’accueil souples et collantes comme les lanières en plastique des anciens rideaux de cuisine font patienter les visiteurs avec des trivialités équivoques» (p. 16-17).

Soi (en quelque sorte) : «Élevée dans l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, la gamme de vos affects s’en est trouvée considérablement réduite et vous n’y voyez aucun inconvénient» (p. 120).

Julia Deck, Viviane Élisabeth Fauville, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 99, 2014, 166 p. Édition originale : 2012.

L’art du portrait nucléaire

Simenon, la Mort de Belle, 1952, couverture

«Cependant, quand Miss Moeller vint enfin le prier d’entrer, il y avait dans un coin un grand jeune homme aux cheveux coupés en brosse.

On ne le lui présenta pas. On fit comme s’il n’existait pas. Il resta assis dans l’ombre, ses longues jambes croisées. Il portait un complet sobre, très Nouvelle-Angleterre, avait cet air sérieux, détaché, des jeunes savants qui s’occupent de physique nucléaire.»

Simenon, la Mort de Belle, dans Romans. II, Paris Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 496, 2003, p. 307-435 et 1544-1560, p. 408. Édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis. Édition originale : 1952.

Portrait couci-couça

Alexandre Vialatte, Un abécédaire, 2014, couverture

«La Grammaire est une belle personne, un peu sèche, un peu tatillonne, autoritaire, et chichiteuse, un peu osseuse, un peu chameau, mais enfin, pour un jeune homme pauvre et qui n’a pas trop d’ambition c’est un parti qui mérite un coup d’œil.

[…]

Elle distille l’ennui distingué. Après tout elle a le profil grec, et des endroits moins secs que d’autres; ceux qui la connaissent bien disent que c’est une fausse maigre. Bref, il y aurait plaisir à rompre en son honneur quelques lances dans les tournois.»

Alexandre Vialatte, «Chronique du dernier ronchonnement», la Montagne, 13 mars 1962, repris dans Un abécédaire, Paris, Julliard, 2014, 266 p., p. 82. Choix des textes et illustrations par Alain Allemand.

 

[Complément du 16 février 2015]

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 16 février 2015.

Peut mieux faire

En mars 2013, à un test intitulé «Les 8 astuces pour réussir une mauvaise photo d’écrivain», l’Oreille tendue avait eu un score parfait.

Elle a faibli depuis. Au palmarès de Paul Hiebert, «Against Promotional Author Photographs», elle n’a plus que 3,5 points sur 5.

Elle a une «photographie sophistiquée» («The Sophisticated Photograph (aka “The My-head-is-so-weighted-down-by-great-thoughts-it-requires-additional-support”)»). (Un point)

Benoît Melançon, portrait

Elle a une «photographie de bureau» («The Office Photograph (aka “The Oh-I-didn’t-hear-you-enter-please-come-in-it’s-really-no-problem”)»). (Un point)

Benoît Melançon, portrait

Elle a (presque) une «photo confo» («The Comfortable Photograph (aka “The Torso-twist-with-arm-resting-on-back-of-couch”)») : il y a la torsion du torse et la main qui se repose, mais pas sur un canapé. (Un demi-point)

Benoît Melançon, portrait

Non fumeuse, elle ne peut avoir la «photographie du fumeur» («The Smoker Photograph (aka “The You-can’t-be-bad-ass-by-doing-what’s-good-for-you-and-your-children”)»). (Aucun point)

Elle a, variation sur la première catégorie, une «photographie main / visage» («The Hand-To-Face Photograph (aka “The Face-alone-is-boring-and-therefore-not-enough”)»). (Un point)

Benoît Melançon, portrait

L’Oreille devra donc soigner ses clichés, histoire d’obtenir de meilleurs résultats. Devrait-elle se mettre à fumer ?

 

[Complément du 16 novembre 2017]

Autoportrait au menton, chez Jean-Philippe Toussaint, dans Made in China (2017) : «Chen Tong, qui fermait la marche dans le couloir, photographiait tout scrupuleusement sur son passage, la chambre des enfants, la bibliothèque, mon bureau, une photo de moi prise ce jour-là allait finir en pleine page d’un magazine chinois, un portrait où j’étais assis dans le salon, les jambes croisées dans mon fauteuil Marcel Breuer, le visage grave, les mains croisées sous le menton, l’air pensif, avec mon crâne lisse qui devait peut-être évoquer quelque figure de moine bouddhiste aux yeux asiatiques de Chen Tong (ou le Bouddha, lui-même, qui sait, avec sa cascade de bourrelets qui lui descend sur le ventre — quoique Chen Tong ne m’ait pas encore vu en maillot de bain à l’époque — et les lobes des oreilles disproportionnés, en signe de sagesse suprême, ou de virilité hors normes, tant l’alopécie révèle souvent l’excès de testostérone, ce qui explique la corrélation, à première vue énigmatique, entre la calvitie et l’ithyphallisme — ah, c’est donc ça ! me dit un jour Madeleine)» (p. 15-16).

 

Référence

Toussaint, Jean-Philippe, Made in China, Paris, Éditions de Minuit, 2017, 187 p.