La société du loisir

Point de vue du publicitaire : «1, 2, 3, rouge. Voici le transporteur loisirs d’Air Canada. Voyagez dans le style et le confort vers l’Europe et les Caraïbes à prix abordables» (la Presse, 19 décembre 2012, p. A9).

Point de vue du commentateur : «Air Canada rouge prend son envol. Le transporteur à faible coût effectuera son premier vol le 1er juillet 2013» (le Devoir, 19 décembre 2012, p. B1).

Donc, «loisirs», «style» et «confort» signifie «faible coût». C’est bon à savoir. Merci.

La gamme chromatique des carrés

Bixi et carré rouge

 

L’Oreille tendue a eu l’occasion, le 29 mai 2012, de dire un mot des couleurs des grèves étudiantes au Québec. Une nouvelle synthèse s’impose.

Les carrés rouges étaient portés par les grévistes et par ceux qui les appuyaient. Ils ne sont pas complètement passés de mode. (Contre la hausse des droits de scolarité; pour la grève.)

Face à eux, on portait le carré vert. (Pour la hausse des droits de scolarité; contre la grève.)

Le carré bleu, moins souvent repéré, aurait désigné les opposants à la hausse et à la grève. (Un conseiller municipal de Montréal, Carl Boileau, a revêtu aussi le carré bleu, mais en un autre sens : il se dit «indépendant et indépendantiste», «Québécois libre et éveillé». Cela n’a un rapport qu’indirect avec les grèves étudiantes.)

D’autres auraient préféré une trêve : leur carré était blanc.

Quand le gouvernement libéral du premier ministre Jean Charest a fait voter le projet de loi 78, on s’est plaint en plusieurs lieux de son contenu «liberticide». C’est à ce moment que le carré noir est apparu, par exemple chez le philosophe Normand Baillargeon, sans pourtant se substituer aux autres.

Durant la campagne électorale qui a précédé les élections du 4 septembre, certains ont bien sûr utilisé le symbole du carré à leurs propres fins. Ainsi, un candidat du Parti conservateur du Québec, Stéphane Gagné (il a perdu), sur une pancarte repérée à Granby par l’ami Antoine Robitaille, mêlait toutes les couleurs sur son carré à lui.

Le carré conservateur

Il y a peu, le service français de Radio-Canada annonçait cinquante mises à pied. On a vu apparaître des carrés orange, rapporte Anne Lagacé-Dawson sur Twitter.

Au suivant.

 

[Complément du 21 décembre 2012]

Grâce à @Hortensia68 (merci), l’Oreille découvre l’existence de carrés roses (sauf erreur, bien éphémères) : «Les carrés roses servent à identifier solidairement les enseignants de tous les horizons. Épingler un carré rose à côté d’un carré rouge vise à symboliser notre solidarité contre la hausse ainsi que notre totale opposition à toute forme de brutalité policière dirigée vers les étudiants alors qu’ils défendent pacifiquement les droits de toute une société.»

 

[Complément du 15 février 2013]

Il manquait un carré mauve ? Il ne manque plus : «Hôpital de Lachine. Des carrés mauves pour la survie» (la Presse, 15 février 2013, p. A8).

 

[Complément du 17 mars 2013]

Les redevances versées par les sociétés minières québécoises vous inquiètent ? Amir Khadir, le député de Québec solidaire, arbore désormais, rapporte Paul Journet, le carré brun.

 

[Complément du 26 juillet 2014]

Une bande dessinée inspirée des événements de 2012, Gangs de rue. La marche orange, signée Marc Beaudet et Luc Boily, a paru la même année. Le carré rouge y était remplacé par un cercle orange (voir ici).

Ces jours-ci, les policiers de Montréal veulent en découdre avec les autorités municipales et provinciales à la suite d’un différend sur leur caisse de retraite. Leur symbole ?

Le carré rouge du SPVM

(Merci à @NieDesrochers qui a fait circuler cette photo, de J.-P. Goyer, sur Twitter.)

 

[Complément du 27 juillet 2014]

L’Oreille tendue avait loupé le carré jaune de l’omnicommentateur Richard Martineau : «Je suis pour une hausse, mais modérée» (2 avril 2012). Il l’a porté lors d’un passage à l’émission télévisée Tout le monde en parle. Merci à @VeroMato d’avoir remis l’Oreille dans le droit chemin.

 

[Complément du 2 août 2014]

Le carré rouge au Festival d’Avignon

 

Grâce à @LiliovaSvetla, l’Oreille découvre que le carré rouge est devenu un produit d’exportation (en l’occurrence au festival de théâtre d’Avignon). Merci.

 

[Complément du 22 février 2017]

Comment les aînés du Québec devraient-ils manifester leur déplaisir envers les politiques du gouvernement du Québec ? En portant le carré gris. La proposition est du journaliste Antoine Robitaille sur les ondes de la station de radio 98,5 FM de Montréal le 21 février 2017 (vers la dixième minute).

 

[Complément du 11 mars 2018]

Le carré jaune, il y a aussi des citoyens montréalais qui l’ont porté, à une séance du conseil municipal d’Outremont, «pour protester contre l’affluence d’autobus scolaires juifs dans l’arrondissement» (la Presse+, 7 mars 2018). Tout le monde n’a pas la mémoire des symboles et des couleurs, semble-t-il.

 

[Complément du 29 mars 2018]

Variation sur une même couleur, rapportée dans le Devoir du 27 mars 2018 :

Inspirées par l’expérience des carrés rouges, des adolescentes de Québec ont lancé une campagne pour dénoncer les codes vestimentaires des écoles secondaires publiques parce qu’ils contribuent, selon elles, au sexisme.

[…]

Les carrés jaunes avaient en outre tapissé l’école d’affiches jaunes pour réclamer des changements et lancé une campagne sur les réseaux sociaux. Pourquoi le jaune ? Parce que l’une des filles de la bande a trouvé un paquet de tissu jaune dans son sous-sol la semaine dernière. «On veut que ça rayonne comme un soleil dans les autres écoles», ajoute Célestine Uhde (p. A1 et A8).

Only à Montréal

Dans le métro, cette publicité.

Publicité du Collège O’Sullivan (métro de Montréal)

Le texte en français est composé de caractères plus gros que celui en anglais. (Montréal est une ville française.)

Dans la colonne de droite, en français, on annonce les formations «en anglais seulement». Dans celle de droite, en anglais, on annonce les formations «in French only». (Montréal est une ville bilingue.)

Il n’est point de sot métier

Noël approche : l’Oreille tendue devra magasiner. Ce n’est guère son genre. Elle n’entre chez le chausseur qu’en dernier recours et elle ne va jamais dans les ventes de garage.

S’il n’en tenait qu’à elle, elle ne fréquenterait que les grandes surfaces de construction / bricolage / rénovation et elle ne consulterait que leurs associés. (Pour les associées, l’Oreille s’interroge toujours.)

Les bijouteries, elle ne connaît donc guère. Heureusement qu’elle a ses lecteurs pour ça.

C’est grâce à l’un d’eux — appelons-le Colibrius — qu’elle apprend que le vendeur de bijoux, du moins dans certains arrondissements montréalais, est out. Il a été remplacé par l’«ambassadeur de marque».

On ne le dira jamais assez : on n’arrête pas le progrès.

 

[Complément du 12 décembre 2012]

Pile-poil au moment où l’Oreille tendue mettait ce texte en ligne, elle recevait la publicité ci-dessous par courriel. Pile-poil. Big Brother serait donc un lecteur de l’Oreille ?

Publicité de bijouterie

Déménager du passé à aujourd’hui

L’Oreille tendue croyait désuet le mot mouver (au sens de partir, s’en aller, déménager, se déplacer, bouger), qu’elle avait repéré dans Maria Chapdelaine (éd. de 1980, p. 20 et p. 190) et dans une chanson de 1919 (citée dans le Diable en ville, p. 93). L’emprunt est manifeste à l’anglais to move.

Elle se trompait peut-être. C’est du moins ce que laisse croire une publicité parue récemment dans le Devoir (24-25 novembre 2102, p. C1).

On y apprend qu’un projet montréalais de construction d’appartements en copropriété prend de l’expansion. On ajoute vingt condos à l’ensemble MÙV (Modernité Urbanité Verdure). Slogan ? «Moi, j’mùv à Rosemont.»

Mùv comme dans move ? Tant de questions, si peu de réponses.

P.-S. — L’accent grave sur le Ù / ù est certifié d’origine.

 

Références

Hémon, Louis, Maria Chapdelaine. Récit du Canada français, Montréal, Boréal express, 1980, 216 p. Avant-propos de Nicole Deschamps. Notes et variantes, index des personnages et des lieux, par Ghislaine Legendre.

Lacasse, Germain, Johanne Massé et Bethsabée Poirier, le Diable en ville. Alexandre Silvio et l’émergence de la modernité populaire au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2012, 299 p. Ill.