Accouplements 121

Pierre Lemaitre, Couleurs de l’incendie, 2018, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Lemaitre, Pierre, Couleurs de l’incendie. Roman, Paris, Albin Michel, 2018. Édition numérique.

«Il avait deux filles montées en graine, aux jambes maigres, aux genoux cagneux et à l’acné épanouie, qui pouffaient de rire en permanence, ce qui les contraignait à masquer avec la main la denture épouvantable qui faisait le désespoir de leurs parents; on aurait dit qu’à leur naissance, un dieu démoralisé avait balancé à chacune une poignée de dents dans la bouche, les dentistes étaient consternés; sauf à tout éradiquer et à leur poser un râtelier dès la fin de leur croissance, elles étaient promises à vivre derrière un éventail toute leur vie.»

Girard, Jean-Sébastien, émission la Soirée est encore jeune, radio de Radio-Canada, 8 septembre 2018, 11e minute.

«Tous les deux, on a une dentition qu’on pourrait qualifier de créative. Dans le monde de la santé dentaire, on appelle ça une dentition indépendante […] parce que chaque dent se crisse de l’autre.»

Autopromotion 377

Voltaire, buste

Entre 14 h et 15 h, l’Oreille tendue sera à la radio de Radio-Canada, à l’émission Plus on est de fous, plus on lit !, au micro de Marie-Louise Arsenault, pour parler de Voltaire, en compagnie d’Ethel Groffier.

Il devrait être question de cette entrée de blogue (sur l’utilisation du nom de Voltaire au moment des attentats de Charlie hebdo), de cette collection de Curiosités voltairiennes et de cette vidéo.

L’entrevue a lieu dans le cadre de la présentation, au Théâtre du Nouveau Monde, d’une adaptation du conte Candide par Pierre Yves Lemieux.

 

[Complément du jour]

On peut (ré)entendre l’entretien ici.

Accordons-nous

Première page de Libération, 4 septembre 2018C’est reparti.

En 2016, l’ensemble des éditeurs de manuels scolaires français décide d’appliquer les rectifications de l’orthographe proposées en… 1990. Commotion dans les médias. (Voir ici.)

Maintenant, c’est la Fédération Wallonie-Bruxelles qui suggère de passer à l’absence d’accord du participe passé accompagnant l’auxiliaire avoir, quelle que soit la place de ce participe dans la phrase. Nouvelle commotion.

Libération a annoncé la chose le 3 septembre en publiant une «Tribune», «“Les crêpes que j’ai mangé” : un nouvel accord pour le participe passé», signée par Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, «anciens professeurs de français». À Bruxelles, dans le Soir, des linguistes belges et français font paraître «Carte blanche : les leçons du (participe) passé». Les uns et les autres promeuvent l’invariabilité dans tous les cas avec l’auxiliaire avoir.

Les médias québécois n’ont pas été en reste; l’Oreille tendue, par exemple, a répondu aux questions de Jean-Sébastien Bernatchez de l’émission l’Heure du monde de la radio de Radio-Canada sur ce sujet.

Sa position ? Les langues évoluent. Les règles aussi. La règle d’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir pourrait être simplifiée. La centralisation de la langue française en France, voire à Paris, et le conservatisme linguistique qu’elle entraîne risquent toutefois de ralentir cette transformation souhaitable, et déjà présente chez nombre de locuteurs du français réputés par ailleurs avoir une excellente maîtrise de leur langue. Mot de la fin, donc : ne retenons pas notre souffle.

P.-S.—En 2015, l’Oreille avait consacré un mot à la question du participe passé. C’est par là,  en PDF.

P.-P.-S.—Un fois de plus, elle a utilisé, en ondes, le magnifique néologisme de son ami Jean-Marie Klinkenberg (1981, p. 46), lutétiotropisme.

P.-P.-P.-S.—Une vidéo avec ça ?

 

Références

Klinkenberg, Jean-Marie, «La production littéraire en Belgique francophone. Esquisse d’une sociologie historique», Littérature, 44, décembre 1981, p. 33-50. https://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1981_num_44_4_1360

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

Ne pas avoir la main trop lourde, heureusement

André Belleau, Notre Rabelais, couverture, 1990

«Cette série d’entretiens a été diffusée à la radio de Radio-Canada du 29 octobre au 2 novembre 1984, dans le cadre de l’émission Actuelles, réalisée par Fernand Ouellette. C’est Wilfrid Lemoine qui interviewait André Belleau. La transcription préparée par le Service des transcriptions et dérivés de Radio-Canada a fourni le canevas du texte, que nous avons entièrement réécrit en en conservant la forme dialogique et les divisions mais en y incorporant certains développements extraits des notes du cours d’André Belleau intitulé “Rabelais et la Renaissance” et d’autres documents personnels conservés aux archives de l’Université du Québec à Montréal. À l’occasion, nous avons également apporté les modifications que nécessitait le passage de l’oral à l’écrit et réaménagé l’enchaînement logique des propos de façon à assurer la cohérence du texte. Enfin, nous avons rectifié les inexactitudes, contresens ou imprécisions qui, dans le feu de la discussion, avaient pu se glisser çà et là. À cela se limitent nos interventions.»

La dernière phrase rassurera les lecteurs : l’éditrice est bien peu intervenue dans le texte qu’on va lire.

Diane Desrosiers, «Avertissement», dans André Belleau, Notre Rabelais, Montréal, Boréal, 1990, 177 p., p. 13. «Présentation» de Diane Desrosiers et François Ricard.

 

[Complément du 4 septembre 2018]

Voici une autre éditrice scrupuleuse :

«Le texte qui suit respecte strictement celui de l’édition dite de 1675, “à Paris, chez Claude Barbin, au Palais”.

Pour le confort du lecteur d’aujourd’hui, l’orthographe a été modernisée. Sans altérer la logique générale de la ponctuation, d’usage flottant dans les imprimés du XVIIe siècle, virgules, points-virgules et deux points ont pu, le cas échéant, être retranchés, ajoutés ou remplacés par un point.»

«Strictement.» C’est dit.

Sylvie Robic, «Note sur la présente édition», dans Madame de Villedieu, les Désordres de l’amour. Histoire de Givry, Paris, Payot et Rivages, coll. «Rivages poche. Petite bibliothèque», 2015, 141 p., p. 19. Édition originale : 1675.

 

[Complément du 9 octobre 2018]

Voici, de même, un «seule» qui rassure :

«Les quelques coupures effectuées dans le texte sont mentionnées en leur lieu et place. Seule la graphie a été modernisée; la ponctuation a été harmonisée.»

Martine Reid, «Note sur le texte», dans Madame Campan, Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette (extraits), Paris, Gallimard, coll. «Folio 2 €», série «Femmes de lettres», 4519, 2007, 132 p., p. 13.

Cultiver l’inquiétude linguistique ?

Louise Harel préside le Comité de la Fête nationale de la Saint-Jean. Le 22 juin, elle était l’invitée d’Annie Desrochers à l’émission le 15-18 de la radio de Radio-Canada. Interrogée sur la situation du français à Montréal («Êtes-vous inquiète de la santé et de la pérennité de cette langue commune, néanmoins, dans une ville où on entend encore des “Bonjour-Hi” ?»), elle a eu cette réponse (6e minute) :

Je pense qu’il faut avoir une vigilance de tous les instants et certainement cultiver l’inquiétude. Il faut vraiment cultiver cette inquiétude parce que les conditions qui sont les nôtres, en fait, voisins de l’Amérique dans une mondialisation des médias et des communications et de la culture également, eh bien, ces conditions-là nous obligent, non pas à nous replier sur nous-mêmes, mais au contraire à soutenir toutes les occasions de justement… de témoigner de notre culture, de le faire en français, alors je pense que c’est une inquiétude positive.

Il avait été question plus tôt dans l’entretien du rapport des nouvelles générations à la langue française au Québec. L’Oreille tendue n’est pas du tout convaincue que «cultiver l’inquiétude», fût-elle «positive», soit la meilleure façon de les convaincre de parler et de défendre cette langue.

P.-S.—L’Oreille a déjà abordé cette question ici.