Accouplements 57

Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, 1996, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

La semaine dernière, au micro d’Annie Desrochers à la radio de Radio-Canada, le professeur de philosophie Xavier Brouillette rappelait l’importance qu’il faut accorder aux mots : «Les mots, très souvent, peuvent penser à notre place.» Il faisait notamment allusion au grand livre de Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue (l’Oreille tendue en a notamment parlé ici).

Dimanche, c’était au tour d’Antoine Perraud, sur France Culture, de revenir sur l’indispensable attention au langage : «Interrogeons-nous plutôt sur ce qu’induisent de telles corruptions du langage, de la part d’une presse incapable de la moindre distance mesurée propre à l’observateur de bon aloi. […] Vider les mots de leur sens, c’est éroder notre démocratie républicaine fondée sur la beauté délibérative venue de la Révolution française.»

Ce n’est pas l’Oreille qui va les contredire.

 

Référence

Klemperer, Victor, LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue, Paris, Albin Michel, coll. «Agora», 202, 1996, 372 p. Traduit de l’allemand et annoté par Élisabeth Guillot. Présenté par Sonia Combe et Alain Brossat.

Anniversaire du jour

Photo de Plume Latraverse, 14 juin 2012

Plume Latraverse — bref : Plume — a 70 ans aujourd’hui.

Pour l’occasion, la radio de Radio-Canada relance sa série de quatre émissions «D’un Plume à l’autre» (2012).

L’Oreille tendue en profite pour rappeler…

…qu’une des pochettes de disque de Plume comporte un des usages les plus inattendus de la conjonction mais.

…qu’il aime sacrer.

…qu’il pratique l’allitération.

…qu’il ne recule pas devant une rime en -ounes.

…qu’il communie à l’autel du zeugme (ici, , ailleurs).

…qu’il tourne (tournait ?) à FIP.

…qu’il est doué pour la scène.

…qu’il patine.

 

Illustration : Douzeonze, photo de Plume Latraverse, 14 juin 2012, déposée sur Wikimedia Commons

De fils en père, au hockey

David McNeil, In the Pressure of the Moment, 2016, couverture

Vous vous appelez David McNeil. Gerry McNeil (1926-2004), votre père, a été gardien de but pour les Canadiens de Montréal — c’est du hockey. Vous êtes professeur de lettres et vous vous intéressez à la littérature sportive et à l’évolution du hockey. Vous publiez In the Pressure of the Moment. Remembering Gerry McNeil. Quel genre de livre allez-vous écrire ?

C’est une biographie sportive de Gerry McNeil : ses débuts au hockey dans sa ville natale, Québec; l’occasion offerte par la Deuxième Guerre mondiale de passer professionnel; les années dans la Ligue de hockey sénior du Québec avec les Royals, puis plus tard dans la Ligue américaine; la (brève) carrière montréalaise (essentiellement de 1950-1951 à 1953-1954), après Bill Durnan et avant Jacques Plante. Cela suppose le récit de matchs importants, appuyé par des souvenirs et une utilisation constante des sources journalistiques (articles, photographies, films), et une évaluation globale : «The small guy always played big when something was on the line» (p. 212; Le petit gardien jouait toujours de gros matchs quand l’enjeu était important). Une question est récurrente : Gerry McNeil a-t-il pris une retraite prématurée à cause de la pression nerveuse ? Cela a sûrement guidé en bonne partie sa décision (p. 208), mais il n’était pas le seul dans cette situation, comme l’atteste l’histoire personnelle de Bill Durnan, de Terry Sawchuck ou de Glenn Hall (p. 207).

Sauf dans le dernier chapitre, «The Hockey Sweater», In the Pressure of the Moment est d’abord et avant tout une biographie sportive; les autres éléments de la vie de Gerry McNeil ne sont pas le centre d’intérêt principal du livre. Cela étant, un fils parlant de son père ne peut pas ne pas se mettre en scène. David McNeil le fait sans insistance, dans le texte comme dans l’iconographie, utilisant ses souvenirs, mais aussi la mémoire familiale.

Au-delà du cas de Gerry McNeil, l’ouvrage propose une réflexion sur les discours entourant le hockey. David McNeil est particulièrement sensible à la photographie et c’est une des forces de son travail que de montrer son rôle dans la constitution des imaginaires sportifs (de la boxe et du hockey, surtout). Il aborde aussi la littérature sur le hockey (p. 232-242), bien que son père y ait été assez peu représenté (p. 218-220). Il est encore question de la télévision et de la radio. Dans le premier cas, il aurait probablement été utile de comparer la pénétration de la télévision selon les provinces canadiennes; en 1956, quatre ans après son introduction au pays, près des deux tiers des ménages québécois (64,2 %) auraient possédé la télévision, selon Yvan Lamonde et Pierre-François Hébert (1981, p. 65), ce qui suppose une importance peut-être plus grande qu’on ne le pense habituellement du spectacle hockeyistique télévisuel. L’importance de la radio, elle, ne doit jamais être sous-estimée. Ken Dryden l’avait parfaitement saisi en 2000, quand il parlait des années 1940 et 1950 et de l’image de Maurice Richard :

And this was an easier time to be a hero. This was before TV. Very few people ever actually saw Richard play. […] Radio was perfect for heroes. Radio was live. Radio games offered an unknowable result. Radio meant lying in the darkness and, to the words of an excited storyteller, painting pictures of everything you heard. It meant using your own imagination. There has never been a bad game played on radio.

(C’était plus facile alors d’être un héros. C’était avant la télé. Très peu de gens ont vraiment vu jouer Richard. […] La radio était parfaite pour les héros. La radio, c’était en direct. La radio, c’était des matchs imprévisibles. La radio, ça voulait dire être étendu dans le noir et, grâce aux mots d’un conteur ardent, peindre des images de ce que vous entendiez. Ça voulait dire vous servir de votre imagination. On n’a jamais joué un mauvais match à la radio.)

Avec la transformation de la couverture médiatique, c’est le rapport au temps et à la mémoire qui change chez les spectateurs : «In the day of the newsreel, the pressure of the moment could last a week» (p. 188; Au temps des actualités filmée, la pression du moment pouvait durer une semaine).

David McNeil livre enfin plusieurs réflexions sur l’évolution du hockey, à la fois comme sport (la disparition des matchs nuls, l’apparition de la reprise vidéo) et comme spectacle, souvent sur le mode de la nostalgie. Cet amateur respecte le caractère sacré du hockey («sacredness», p. 104), sa noblesse («nobility», p. 104). Dès lors, il accepte avec difficulté ce qu’est devenue l’expérience du spectateur dans les arénas modernes : les sources de distraction ne cessent de s’y multiplier, au détriment du match. (Ce n’est pas l’Oreille tendue qui va le contredire, elle qui a avancé, en 2014, «Seize mesures pour réformer le hockey et sa culture».)

Magnifiquement illustré, In the Pressure of the Moment fait découvrir une carrière, celle de Gerry McNeil, et la contextualise, tant sur les plans sportif qu’imaginaire. Son contenu est étonnant, qui mêle analyse socioculturelle, réflexions sur l’histoire et la culture du hockey, anecdotes familiales, personnelles et sportives, biographie sportive et histoire personnelle. On y apprend des masses de choses. Le fils a bien honoré la mémoire du père.

P.-S. — C’est trop rare pour ne pas être signalé : l’index de cet ouvrage ravira les lecteurs les plus maniaques.

P.-P.-S. — Ce n’est pas la première fois que l’Oreille parle de ce livre. Voir ici et .

 

Références

Dryden, Ken, «Farewell to The Rocket», Time, 155, 24, 12 juin 2000, p. 40-44. Texte traduit par Gilles Blanchard sous le titre «Il est arrivé à nous rendre fiers», la Presse, 7 juin 2000, p. S6.

Lamonde, Yvan et Pierre-François Hébert, le Cinéma au Québec. Essai de statistique historique (1896 à nos jours), Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1981, 478 p.

Melançon, Benoît, «Seize mesures pour réformer le hockey et sa culture», Nouveau projet, 05, printemps-été 2014, p. 133-137. https://doi.org/1866/28747

McNeil, David, In the Pressure of the Moment. Remembering Gerry McNeil, Vancouver, Midtown Press, 2016, 285 p. Ill.

Autopromotion 240

L’Oreille tendue a été impliquée au cours des dernières années dans la reconnaissance de la recherche-création dans son université.

Elle en parlera aujourd’hui à la radio de Radio-Canada durant la deuxième heure de l’émission de culture scientifique les Années lumière.

La journaliste Myriam Fimbry s’est notamment inspirée de ce dossier pour préparer son reportage.

 

[Complément du jour]

On peut (ré)entendre l’entretien ici.

Accouplements 53

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Samedi soir dernier, en écoutant le deuxième épisode de l’émission de radio C’est fou… consacré à la langue, l’Oreille s’est tendue d’étonnement quand elle a entendu l’expression «langue canadienne-française» dans la bouche de Serge Bouchard. Elle n’avait pas souvenir d’avoir entendu pareille expression.

Puis, hier, lisant une chronique cinématographique de Gilles Marcotte de 1954, elle tombe sur ceci : «Pour parler canadien-français, “Sabrina” est un film qui “lâche son fou…”»

De «lâcher son fou» à C’est fou…, y aurait-il une filiation linguistique ?

 

[Complément du 11 août 2022]

L’Oreille tendue a consacré une études aux chroniques cinématographiques de Gilles Marcotte : Melançon, Benoît, «Gilles Marcotte va aux vues», dans Karine Cellard et Vincent Lambert (édit.), Espaces critiques. Écrire sur la littérature et les autres arts au Québec (1920-1960), Québec, Presses de l’Université Laval, 2018, p. 311-323. https://doi.org/1866/28564

 

[Complément du 4 septembre 2022]

Une définition de lâcher son fou n’est peut-être pas inutile : «S’amuser, se défouler, se laisser aller au plaisir», dixit Usito.

«Lâcher son fou», la Presse+, 13 août 2022

 

[Complément du 30 août 2023]

On peut désormais lire le texte de l’Oreille ici.

 

Référence

Marcotte, Gilles, «Le cinéma. “Mam’zelle Nitouche” à l’écran», le Devoir, 29 octobre 1954, p. 7.