L’ami sans complément

Voici une nouvelle campagne publicitaire pour la chaîne de pharmacies Jean Coutu.

Jadis, on disait qu’on pouvait tout y trouver, même un ami.

Aujourd’hui, à la radio, on affirme que tout y est disponible «pour débuter une vie».

Le premier slogan était cucu, mais il n’utilisait pas un verbe intransitif (débuter) avec un complément d’objet direct (vie). Cucu mais sans faute.

À employer avec modération

«Duceppe en pèlerinage au Canada-anglais», écrit le Devoir (1er avril 2010, p. A2). Non : «au Canada anglais» (même si ça fait moins monolithique).

«Un Mariage Traditionnel-Grec», annonce la Communauté hellénique de Montréal. Non : pas de majuscules, pas de trait d’union.

Place des arts, Montréal, mai 2010, publicité

(Pendant que nous y sommes.) «Radio tiret Canada point ca», recommande-t-on sur les ondes de la radio d’État. Non : il ne faut pas confondre le tiret (—) et le trait d’union (-). On met «abusivement» l’un pour l’autre, dit le Petit Robert, qui pèse ses mots. L’Oreille tendue serait beaucoup plus sévère.

Toi, mon associé

L’Oreille tendue aime bricoler, ce qui fait qu’elle fréquente plus souvent qu’à son tour les grandes surfaces du genre Réno-dépôt. Elle y était samedi dernier.

Elle passe à la caisse. Sa facture l’invite à visiter le site labonnejob.ca si elle est à la recherche d’un emploi. Elle y va, bien évidemment — mais pas pour l’emploi. Elle y trouve ceci :

Rébo-Dépôt, publicité, 2010


Une question et une remarque.

La question : pourquoi ainsi passer du tu au vous ? On se croirait dans un magasin de jeux électroniques.

La remarque : appeler associé celui qui n’est qu’un commis relève de l’euphémisation généralisée dans laquelle nous baignons, de ce refus d’appeler les choses par leur nom qui a conquis tant de sphères de la vie sociale.

 

[Complément du 20 mars 2014]

Selon le quotidien montréalais la Presse, le mot associé aurait remplacé employé d’abord dans les magasins de la chaîne Walmart en 1994 (17 mars 2014, cahier Affaires, p. 5).

 

[Complément du 11 novembre 2015]

Aujourd’hui, à l’émission Plus on est de fous, plus on lit ! de la radio de Radio-Canada, le journaliste économique Gérald Filion a notamment choisi le mot associé dans le segment de l’émission intitulé «Les mots à bannir de la bouche des économistes».

À la suite de son passage, sur Twitter, deux autres mots ont été rapprochés de celui-là, collaborateurs (@VGaudreau) et talents (@leblancetienne). Ce n’est pas mieux.

 

[Complément du 16 décembre 2017]

David Turgeon, dans son roman le Continent de plastique (2016), fusionne les deux fonctions : «Odette alla chercher une bouteille de rosé dont un commis-associé nous avait assuré plus tôt ce jour-là qu’elle accompagnerait finement les soirées chaudes et les viandes rouges grillées» (p. 79).

 

Référence

Turgeon, David, le Continent de plastique. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Écho», 16, 2017, 298 p. Édition originale : 2016.

Sport(ique)(ic)

Énigmatique : «l’énigmatique ailier devra batailler avec lui-même toute la saison» (site du Réseau des sports, 29 septembre 2009); «L’énigmatique numéro 74 ne sera pas du voyage» (site de Radio-Canada, 1er avril 2010). Parmi les Kostitsyn qui jouent pour les Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, vous choisissez votre énigmatique Bélarusse, le 46 (Andrei) ou son frère Sergei (le 74).

Poétique : «Nous pourrons continuer d’observer les faits et gestes de l’un des receveurs de passes les plus poétiques à avoir jouer [sic] au football» (la Presse, 15 mai 2010, cahier Sports, p. 8). Il s’agit bien sûr de Ben Cahoon, des Alouettes de la Ligue canadienne de football.

Prolifique : «“Je suis vraiment très content que tout ait fonctionné et je me réjouis déjà vraiment d’arriver lundi à Hambourg”, a déclaré le prolifique buteur néerlandais, âgé de 33 ans», Ruud van Nistelrooy; c’est la Presse du 23 janvier 2010 qui le dit.

(Cela pose un problème de langue. Par définition, le buteur est prolifique; sinon, il ne serait pas un buteur. Buteur prolifique n’est-il pas pléonastique ?)

 

[Complément du 9 juin 2010]

Grâce à la Lettre d’information de Gallica (Bibliothèque nationale de France) datée de juin 2010, l’Oreille tendue découvre le mot sphéristique. Définition de l’Encyclopédie méthodique : «On désignait sous ce nom chez les anciens, les différents jeux ou exercices pour lesquels on employait une balle.» Article complet à http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58282813.image.f000278?xtor=ES-1.

 

[Complément du 14 juin 2010]

À la radio de Radio-Canada hier : «le flegmatique Roger Federer».

 

[Complément du 15 octobre 2011]

Une preuve de plus que le Russe, par essence, est énigmatique. Ça se trouve en p. 8 du cahier Sports de la Presse du 15 octobre et ça porte sur le joueur de hockey Kirill Kabanov : «Après un début de parcours tortueux dans la LHJMQ à Moncton, l’énigmatique Russe de 19 ans a débloqué à Lewiston l’an dernier, surtout lors des séries alors qu’il a été jumelé à Michael Chaput.»

 

[Complément du 2 janvier 2012]

Le Russe a les mêmes traits en français et en anglais, et certains anglophones ont même pu parler de «facteur russe» : «There is a long string of stereotypes that the hockey world applies to Russian players. They are called “enigmatic”—sometimes referred to as “the Russian factor”—and often dismissed as greedy players interested only in themselves, not their teams» (Roy MacGregor, Wayne Gretzky’s Ghost and Other Tales from a Lifetime in Hockey, Toronto, Random House Canada, 2011, xx/369 p., p. 364).

 

[Complément du 20 octobre 2013]

S’il faut en croire la Presse+ du jour, il existerait aussi des «tirs poétiques».

 

[Complément du 4 août 2014]

Scientifique ? Pourquoi pas : «le scientifique joueur de centre Jos Primeau» (la Patrie, 10 août 1936). Merci à @JrmiPerrault pour la citation.

 

[Complément du 25 juillet 2015]

Les Canadiens de Montréal viennent d’engager, pour un an, Alexander Semin : «On le dit au mieux énigmatique, au pis carrément désintéressé» (la Presse+).

 

[Complément du 20 septembre 2015]

Dans la Presse+ du jour : «Et il y a un certain Semin qui, jusqu’ici, a réussi sa rentrée montréalaise. L’énigmatique Russe a au minimum rassuré ceux qui craignaient que sa blessure à un poignet ne le gêne encore.» Encore.

 

[Complément du 2 octobre 2017]

Alexander Radulov ? La Presse+ du jour le présente ainsi : «l’énigmatique attaquant russe». Plus ça change…

 

[Complément du 19 juin 2019]

En français dans le texte : «Podkolzin était attendu dans les cinq premiers choix pendant une bonne partie de la saison, mais une prestation en demi-teinte au Championnat du monde U18 lui a fait mal, et l’effet de récence joue parfois gros. Le facteur russe aussi» (la Presse+, 19 juin 2019).

Souche et souches

Le mot est passé dans l’usage : il y aurait les Québécois de souche, et les autres. Devenu courant, on peut (enfin) l’utiliser avec distance.

C’est ce qui permet aux Cowboys fringants de chanter «Je suis un Québécois de souche / J’ai une fleur de lys tatouée s’a bouche.»

C’est ce qui permet à une collègue, d’origine européenne, mariée à un Américain, vivant à Montréal, d’appeler son chat La Souche; c’était le seul autochtone de la maison.

C’est ce qui permet à Carla Beauvais de lancer le magazine féminin Souche, «un nouveau magazine qui s’adresse aux femmes âgées entre 25 et 40 ans issues des communautés culturelles», dixit la Presse du 28 avril 2010 (cahier Arts et spectacles, p. 3).

Les souches ne sont plus ce qu’elles étaient.

 

[Complément du 26 octobre 2015]

Certains préfèrent néanmoins ne pas employer de souche : «Cette radio censée couvrir la grande région métropolitaine cosmopolite et multigénérationnelle semble plutôt monopolisée par des mâles “souchiens” d’un certain âge» (le Devoir, 26 octobre 2015, p. B8). Sur le plan de l’euphonie («sous-chien» ?), ce n’est pas tout à fait ça.

 

Référence

Les Cowboys fringants, «Québécois de souche», Motel Capri, 2001.