Causons musique, comme

Claude Dionne, Sainte Flanelle, gagnez pour nous !, 2012, couverture

Il y a jadis naguère, une collègue, et néanmoins amie, de l’Oreille tendue s’interrogeait sur la popularité du bémol.

Je suis allée dans l’Oreille, pour voir si elle ne s’était pas tendue vers quelques bémols. (Le «bémol» tout seul a quelque chose de loufoque, m’enfin).
Je n’en ai pas trouvé.

Corrigeons la situation, car il est vrai que le mot est populaire. Exemples entre mille :

«Bémol sur les manques des universités» (la Presse, 26 mars 2014, p. A8).

«La victoire, mais un bémol» (la Presse, 24 décembre 2013, p. A1).

«Baseball avec bémol» (la Presse+, 14 décembre 2013).

«Toutefois, elle prit soin de mettre un bémol au portrait accompli que je traçais de cette femme inconnue» (Sainte Flanelle, gagnez pour nous !, p. 131).

On ne s’étonnera pas (trop) de le trouver sous la plume de critiques musicaux.

«Ma recension à bémol léger du Maurane Live» (@_scorm).

«Dans une interview parue le jour même de la création attendue, Lefèvre avait loué la nouvelle œuvre en des termes dithyrambiques que le compositeur lui-même avait réduits d’un bémol» (la Presse, 16 juillet 2012, cahier Arts, p. 4).

À quoi sert-il ? À mettre de la distance. Qui formule un bémol pense nuance, restriction, différence, doute, voire désaccord.

Ce sens n’est pas recensé dans le Petit Robert (édition numérique de 2014), qui connaît les deux suivants : «Signe d’altération […] qui abaisse d’un demi-ton chromatique la note de musique devant laquelle, sur la ligne ou sur l’interligne de laquelle il est placé»; «Mettre un bémol : parler moins fort; radoucir son ton, ses manières; être moins arrogant, moins exigeant.»

Comment qualifier le bémol ?

Il y a le «grand bémol» (blogue Littéraires après tout, 7 septembre 2014).

Il y a son antonyme : «Mince bémol sur une riche inventivité» (le Devoir, 7-8 juin 2014, p. B2).

Il y a plus petit encore : «Nadine comprend sans le moindre microbémol le geste de l’actrice» (la Presse, 15 mai 2013, p. A6).

Quand on hésite, on peut dire «certain bémol» (Assieds-toi et écris ta thèse !, p. 75) ou «à quelques bémols près» (le Devoir, 2-3 novembre 2013, p. G3).

Quand on n’hésite pas, on peut les multiplier : «Immigration. Le paradoxe québécois. Derrière une apparente ouverture, beaucoup de bémols» (le Devoir, 6 décembre 2011, p. A1).

P.-S.—À l’émission le Masque et la plume (France Inter) du 21 septembre 2014, dans la bouche de Jérôme Garcin, ceci : «léger mébol».

P.-P.-S.—On sait que le mot peut s’accorder en nombre. En genre, c’est plus rare, Passion bémole étant peut-être la seule exception connue.

 

[Complément du 13 novembre 2014]

L’Oreille s’interroge. Si bémol signifie bel et bien nuance, restriction, différence, doute, désaccord, peut-on vraiment parler de «sérieux bémols» (la Presse+, 13 novembre 2014) ? N’est-on pas à la limite de l’oxymore ?

 

[Complément du 20 juillet 2024]

Vous avez une hésitation ? Surveillez le bémol.

«Premier week-end de la construction : un bémol à surveiller», application de MétéoMédia, juillet 2024

 

Références

Belleville, Geneviève, Assieds-toi et écris ta thèse ! Trucs pratiques et motivationnels pour la rédaction scientifique, Québec, Presses de l’Université Laval, 2014, 125 p. Ill.

Dionne, Claude, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! Roman, Montréal, VLB éditeur, 2012, 271 p.

Bref dictionnaire de Révolutions

Dominique Fortier et Nicolas Dickner, Révolutions, 2014, couverture

Dominique Fortier fait une proposition à Nicolas Dickner : à deux, «écrire tous les jours quelques lignes sur le thème proposé par le calendrier révolutionnaire» (p. 424), celui que l’on doit à Fabre d’Églantine (1750-1794) et à André Thouin (1747-1824). Dickner, qui est un geek, code alors une application, qu’il appelle Jeeves, «du nom de ce majordome surdoué né de la plume de P.G. Wodehouse» : «Chaque jour, à minuit pile, Jeeves nous enverrait le mot du jour» (p. 250). Après quoi, chacun rédige un texte. Parfois, le lien est direct entre le texte et le mot que ce texte accompagne; parfois, moins.

Cela donne Révolutions (2014), livre à deux têtes, quatre mains, 366 jours et 732 entrées. Son contenu ? Des souvenirs, des descriptions, des évocations, des portraits (d’humains et d’animaux), des choses vues, des citations, des notes érudites, des contes, des dialogues, des recettes, des listes, des instantanés de voyage, des chansons, etc. En un mot : des miscellanées. Ou encore : le «bonheur tranquille des petites sérendipités quotidiennes» (p. 125).

Mais qu’est-ce que ce calendrier révolutionnaire ?

Le calendrier révolutionnaire, en usage de 1793 à 1806 [en France], prétendait mettre un terme au règne des saints et des saintes qui peuplaient le calendrier grégorien pour marquer les jours au sceau de plantes, d’animaux et d’outils davantage en accord avec les vertus républicaines. Ses concepteurs le divisèrent en douze mois, chacun composé de trois décades constituées de huit végétaux, d’un animal et d’un outil; à ces mois tous égaux succédaient cinq ou six sans-culottides (selon qu’il s’agissait ou non d’une année bissextile), journées dédiées à des vertus particulières, ce qui donnait un tour de l’an complet : une révolution (p. 5; voir la liste des noms de mois).

Comme il se doit, l’ouvrage est tiré à 1793 exemplaires, numérotés (l’Oreille tendue a le numéro 1049).

Plutôt, pour en parler, qu’un (autre) calendrier, ce bref dictionnaire.

Autoréflexivité. C’était couru : une fois le projet lancé, les auteurs allaient se mettre à le commenter, à revenir sur les textes déjà écrits. Plus il avancent, plus c’est vrai. En nivôse : «Et si ce livre écrit à quatre mains était de ce genre d’hybrides ? Journalmanach; éphémémoires; calencyclopédie ?» (p. 122) En floréal : «C’est n’importe quoi, ce calendrier, et pour tout dire je commence à être mécontent» (p. 264). En fructidor : «Tu as raison, Nicolas, de voir dans ce calendrier une série de nuages que nous observons tous les jours chacun de notre côté en nous efforçant d’y discerner des formes plus ou moins fantaisistes selon notre humeur» (p. 407). Comment ne pas se remettre en question dans un projet de longue haleine comme celui-là ?

Barthes. (Remarque de pion) L’érudition ne fait défaut ni à l’un ni à l’autre, qu’il s’agisse de plantes, d’animaux, d’outils, etc., et dans des domaines où l’ignorance de l’Oreille tendue est considérable. Il est pourtant un domaine où elle peut pinailler. Page 221, il est question d’un «curieux homme-arbre du début du dix-neuvième siècle» (oto-italiques), au-dessus de cette illustration.

 

Planche d’anatomie, Encyclopédie, 1762

Or cette image est tirée de la section «Anatomie» du premier volume des planches de l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert, qui a paru en 1762. (Si ça se trouve, les encyclopédistes l’avaient eux-mêmes pompée à un traité d’anatomie.) On se souviendra que Roland Barthes l’a commentée en 1964.

S’il est bon de respecter les jours, il l’est tout autant de ne pas confondre les siècles.

Borges. Bien sûr, dès l’épigraphe.

Calendaristes. Fortier et Dickner, cette «paire de citoyens curieux» (4e de couverture), ne sont pas tendres pour Fabre d’Églantine et pour André Thouin, ces «calendaristes». Ils leur reprochent des oublis : où est l’épouvantail ? «Ils vont vraiment nous faire une année complète sans la moindre banane ?» (p. 353) Ils n’apprécient pas les (quasi-)doublons, ces répétitions inutiles à leurs yeux. Ils inventent des scénarios dans lesquels l’un (Thouin) empoisonne l’autre (Fabre d’Églantine). Du second, la guillotine s’occupera : l’auteur de «Il pleut, il pleut, bergère» finira «petite fleur tristement étêtée par le cours implacable de l’histoire» (p. 321).

Épicurien. «Je suis épicurien, sans doute, en ce sens que j’aime bien pouvoir me contenter de peu» (p. 366). Voilà, enfin, quelqu’un qui comprend ce qu’est l’épicurisme.

Famille. Ils ont chacun une vie de couple. Lui a des enfants et il parle beaucoup de son père. Elle apprend, en floréal, qu’elle est enceinte. Le dernier jour de fructidor, Victor, son chien, meurt. Elle se souvient de sa sœur.

Geek. Nicolas Dickner n’hésite pas à dire de lui-même qu’il est un geek. Le terme s’appliquerait tout également à Dominique Fortier, mais dans des domaines différents. Lui, entre autres choses : l’informatique, William Gibson, Neil Stephenson. Elle, entre autres choses : les odeurs, les couleurs, la nourriture. (N’allons pas la traiter de foodie.) Pas moins spécialisés l’un que l’autre. (Et ils sont tous les deux toujours fourrés dans Gallica et Google Books.)

Lettre. Les données de catalogage de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et de Bibliothèques et Archives Canada invitent à ranger l’ouvrage parmi les correspondances. Il a, en effet, quelque chose de l’échange épistolaire («Chère Dominique», «Cher Nicolas»), sans toutefois l’alternance parfaitement régulière des tours de parole. Il reste que les auteurs s’adressent autant l’un à l’autre qu’à leurs lecteurs.

Parfum. Ce n’est peut-être pas vrai de tous les exemplaires, mais le numéro 1049 avait un fort parfum «chimique» (à défaut de meilleur terme). D’où cela venait-il ? Du papier ? De la colle ? De l’encre ? Mystère.

Pastiche. En germinal, ils inversent les rôles (p. 240). Peut-être.

Printemps érable. Le livre a été composé de septembre 2011 à septembre 2012. Il y est pourtant assez peu question des grèves étudiantes de 2012 (p. 293, p. 302). Une phrase les évoque explicitement, qui mérite d’être citée : «Quelques minutes avant vingt heures, les casseroles sont apparues sur les trottoirs, formant des attroupements aux intersections» (p. 297). Pour être compréhensibles aujourd’hui, certains termes du calendrier républicain demandent des explications. Ce sera aussi le cas un jour pour ces «casseroles» qui formaient «attroupements» il y a deux ans.

Renvois circulaires. «Escourgeon» : «Voir Sucrion» (p. 389). «Sucrion» : «Voir Escourgeon» (p. 391). Diderot et D’Alembert n’auraient pas fait mieux.

Sport. Ce n’est pas leur truc (mais c’est celui de l’Oreille). Signalons toutefois cette chose inattendue qu’est la «boxe poitevine», dans laquelle Nini la Loutre Lutteuse se serait illustrée au début de la Révolution (p. 378).

Wikipédia. Elle s’en sert à l’occasion, lui y va quotidiennement : «Chaque matin, en recevant le mot du jour, j’ouvrais Wikipédia, puis Marie-Victorin» (p. 412). Il s’en explique précisément : «je suis assez vendu à Wikipédia — aussi bien au projet abstrait qu’à son incarnation» (p. 361). Les encyclopédies ne sont plus ce qu’elles étaient.

 

[Complément du 7 octobre 2014]

Remords, dit de conscience, de l’Oreille : la cible des attaques de Dominique Fortier et de Nicolas Dickner est bien plus Fabre d’Églantine qu’André Thouin.

C’est à cela qu’elle a pensé en tombant sur la citation suivante du vicomte Joseph-Alexandre de Ségur, le romancier de la Femme jalouse (1790).

Ségur parle de Collin d’Harleville, l’auteur de la pièce le Vieux Célibataire (1792) : «J’admire plus que tout sa superbe haine contre le septembriseur Fabre d’Églantine, qui avait plus de talent que lui. Ce drôle-là n’avait-il pas imaginé de remplacer le nom des saints du calendrier par des noms de légumes ! J’ai cherché celui qui avait pris la place de mon patron : il se trouva que je m’appelais Chou-Frisé.» Comme il se doit, Ségur avait les cheveux bouclés.

La phrase de Ségur est rapportée par Sophie Gay dans ses Salons célèbres (1837) et citée dans Ségur sans cérémonie (1977) de Gabriel de Broglie (p. 201).

 

[Complément du 10 juin 2020]

L’Oreille a repris ce texte, sous le titre «La Révolution programmée», dans le livre qu’elle a fait paraître au début de 2020, Nos Lumières.

 

Références

Barthes, Roland, «Les planches de l’Encyclopédie», dans l’Univers de l’Encyclopédie. Images d’une civilisation. Les 135 plus belles planches de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Paris, les Libraires associés, coll. «Images d’une civilisation», 457, 1964. Repris dans le Degré zéro de l’écriture suivi de Nouveaux essais critiques, Paris, Seuil, coll. «Points. Littérature», 35, 1972, p. 89-105.

Broglie, Gabriel de, Ségur sans cérémonie. 1757-1805 ou La gaieté libertine, Paris, Perrin, coll. «Présence de l’histoire», 1977, 331 p. Ill.

Fortier, Dominique et Nicolas Dickner, Révolutions, Québec, Alto, 2014, 424 p. Ill. Sur le Web : http://editionsalto.com/revolutions/.

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.

Numéro 1

Hervé Bouchard, Numéro six, 2014, couverture

Titre ? Numéro six d’Hervé Bouchard (2014).

Quoi ? Le passé hockeyistique (en quelque sorte) du narrateur. Atome. Moustique. Pee-wee. Bantam. Midget. (Local ou régional.) Première imbibition. Perte des dents (allusion à Bobby Clarke, p. 135). Perte de la virginité (le «jeu de notre reproduction», p. 145 et p. 151). «Ainsi s’achève le passage du six dans le hockey mineur» (p. 153).

Où ? Au Saguenay—Lac-Saint-Jean (Jonquière, Kéno[gami], Port-Alfred, Alma, Arvida, Sainte-Hedwige, Normandin, La Baie, Chicouti[mi], Métabetchouane).

Quand ? Fin des années 1960, début des années 1970. Avant la Zamboni, dans certains arénas.

Qui ? Le narrateur, le numéro six du titre, son père (le «montreur»), sa mère («la captive»), les filles (Pompon Julie, Mireille Carillon, dite «Clairon», une blonde aux «dents écartées», puis, enfin, l’«Anglaise»), des personnages au nom étonnant (au hasard, presque : Aquilin Néon ou Minier Desroches alias Sautillant Blanchon alias Roger Santillon).

Forme ? Fragmentaire et linéaire. Reprises et variations.

Organisation ? En neuf «passages».

Ton ? Ludique mais pas gai : «C’était en juillet quand le montreur entier des choses et la naine captive ont eu l’annonce du cancer à venir de l’un et de la cécité de l’autre» (p. 40); «Désormais tu n’es plus, ô matière vivante / Qu’un granit entouré d’une vague épouvante» (p. 93).

Ton, bis ? Non sans humour, comme dans ces cris confondus de deux spectateurs, «Premier bonhomme» et «Second bonhomme» : «Tue-le ! Enlevez-la-lui ! Tue-le ! Enlevez-la-lui ! Tue-le ! Enlevez-la-lui ! Tue-le ! Enlevez-la-lui ! Tue-le ! Enlevez-la-lui ! Tue-le !» (p. 140).

Langue ? Le Bouchard («J’ai connu la peur du ftougne», p. 32).

Langue, bis ? La langue de puck («C’est comme aller se refaire un temps dans la Ligue américaine des hommes pour réapprendre la vitesse du jeu en revenant à la base et retrouver le fond du filet», p. 120).

Ponctuation ? Personnelle : «J’ai couru dans la rue du Pow-wow devant l’abri des galériens à l’heure où les peupliers asséchés et cuits s’avançaient déguisés vers la caserne des hommes qui portaient des chemises à manches courtes et des lances à poignée» (p. 56).

Public ? Probablement pas les lecteurs des quotidiens montréalais qui consacrent plusieurs pages à l’absence de capitaine dans l’équipe des Canadiens de Montréal au début de la saison 2014-2015. Sûrement l’Oreille tendue.

P.-S. — Zeugmes ? «De son vivant Minier Desroches avait des cils d’albinos et un rendez-vous chez le dentiste» (p. 46); «Ils couraient nus dans les corridors et dans la joie» (p. 49); «je lui mettrais des gants de caoutchouc et un sac de rechange dans la poche de son tablier et un sourire permanent malgré un dentier qui bouge du bas» (p. 99); «L’entraîneur a un diplôme en éducation physique et des mots pour dire les choses comme s’il les expliquait au lieu de les faire comprendre» (p. 115).

 

[Complément du 4 août 2015]

L’Oreille tendue vient de faire paraître un compte rendu du roman dans la revue Canadian Literature (juillet 2015). https://canlit.ca/article/raconter-autrement/

 

Références

Bouchard, Hervé, Numéro six. Passages du numéro six dans le hockey mineur, dans les catégories atome, moustique, pee-wee, bantam et midget; avec aussi quelques petites aventures s’y rattachant, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 80, 2014, 170 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Dix livres

J. Cervon, l’Aiglon d’Ouarzazate, couverture

Dans la Presse+ du jour, le chroniqueur Pierre Foglia demande à ses lecteurs de dresser une liste de lectures : «Dans l’esprit du Bookbucket, sans réfléchir, les dix titres qui vous viennent, là, tout de suite.»

Voici ceux de l’Oreille tendue.

André Malraux, la Condition humaine

Jean Echenoz, Cherokee

Nicholson Baker, The Mezzanine

Philip Roth, The Great American Novel

Jean-François Vilar, Bastille Tango

J. Cervon, l’Aiglon d’Ouarzazate

Victor-Lévy Beaulieu, Monsieur Melville

Laclos, les Liaisons dangereuses

Mordecai Richler, Barney’s Version

Jacques Dubois, Pour Albertine

Le son du bon vieux temps

Cassette audio

Les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — n’avaient plus de capitaine. La Presse+ du 15 septembre faisait le portrait des «favoris pour porter le “C”». Parmi ceux-ci, le défenseur P.K. Subban :

Un maître. Malgré son grand charisme et son humour, il est aussi capable de «sortir la cassette» quand vient le temps de discuter de dossiers chauds.

Autre exemple, emprunté au Métier critique (2014) de Catherine Voyer-Léger :

Malheureusement, il arrive trop souvent que ce type d’articles nous fasse lire ou entendre la même entrevue partout avec un artiste qui a fait du speed-dating avec des journalistes, n’ayant pas beaucoup d’autres choix que de répéter une cassette, d’autant plus que les questions semblent souvent formatées (p. 87-88).

Qu’est-ce que cette «cassette» que l’on «sort» ou que l’on «répète» ? Des déclarations préparées à l’avance, comme si elles étaient pré-enregistrées, et qui ne veulent rien dire. Le contraire d’une parole spontanée.

Pour combien de temps encore cette expression sera-t-elle compréhensible, la cassette étant désormais au musée ?

P.-S. — Depuis la parution de l’article de la Presse+, on a appris que les Canadiens n’auront pas de capitaine attitré pour commencer la saison 2014-2015, mais plutôt quatre assistants-capitaines : quatre joueurs seront donc capitaines adjoints d’une équipe sans capitaine.

 

[Complément du 3 octobre 2017]

Si l’on en croit la Presse+ du jour, la cassette serait aussi un aliment : «S’accrochant désespérément à sa cassette prédigérée, la ministre [Mélanie Joly] semble pratiquer une sorte d’autisme politique.»

 

[Complément du 4 mars 2018]

Le mot va tellement de soi au Québec que le Devoir des 3-4 mars titre un de ses articles «De la cassette au livre» (Magazine D, p. 28-29) sans ressentir le besoin d’en expliquer le sens.

 

[Complément du 11 juin 2022]

Variation dans la Presse+ du jour : «Monsieur Paul, comme l’appelait ma collègue Louise Cousineau, mène des entrevues serrées et refuse d’entendre des réponses cassettes.»

 

Illustration : Grahamuk, «Tdkc60cassette», 2004, photo déposée sur Wikimedia Commons

 

Référence

Voyer-Léger, Catherine, Métier critique. Pour une vitalité de la critique culturelle, Québec, Septentrion, 2014, 209 p.