Révolution au Centre Bell ?

C’était dans les pages sportives de la Presse du 30 avril (p. 3) : durant la conférence de presse au cours de laquelle Pierre Gauthier, le directeur général des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, a dressé le bilan annuel de son équipe, il s’est adressé aux journalistes et aux joueurnalistes en les vouvoyant.

Ce que font tous les jours les représentants politiques — s’adresser aux journalistes en respectant une (relative) bienséance — bouleverse les pratiques sportives — là où il fait bon d’être copain-copain avec ceux dont on doit analyser les activités au quotidien.

Pierre Gauthier côtoie l’ex-entraîneur Michel Bergeron depuis des années. Il choisit de le vouvoyer en conférence de presse. C’est «fort déplacé», pontifie un chroniqueur de la Presse. Ce chroniqueur tutoierait-il un élu dans le cadre de ses fonctions ? On peut en douter. Pourquoi ? Parce que ce serait — là, oui — «fort déplacé».

Question d’accord

Avec ou sans les Canadiens de Montréal, les séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey sont l’occasion de réfléchir à la langue parlée au Québec — pas celle du joueurnaliste Benoît Brunet ni celle des joueurs eux-mêmes, mais celle des publicitaires.

À ce message télévisé, par exemple, dont le texte apparaît à l’écran pendant la diffusion des matchs :

Rafraîchissantes dans les deux sens de la patinoire.
Les dépanneurs Ultramar.
On vous en donne plus.

Question de l’Oreille tendue, peut-être exagérément naïve : avec quoi «Rafraîchissantes» s’accorde-t-il ?

Autopromotion 005

Because les séries éliminatoires, le hockey est à la mode. L’Oreille tendue en causera mardi soir, le 26 avril, à compter de 17 h 30, in English, à l’Université McGill, dans la salle de bal de la Thomson House, 3650, rue McTavish, sous le titre «Don Cherry was right (for once) : Maurice Richard as Canadian hero». Ce sera suivi de la diffusion, sur grand écran, du sixième match de la série Montréal-Boston.

L’Oreille s’explique de son titre à un journaliste du McGill Reporter, Jim Hynes, ici.

Conférence, 26 avril 2011, affiche

Portrait (journalistique) de groupe

What does Quebec want ? se demandait-on au Canada anglais dans les années 1960. Voici douze éléments de réponse.

Selon des manchettes des dernières semaines, «Les Québécois»…

…«souhaitent une industrie minière en santé qui ne mine pas leur environnement» (le Devoir, 11 février 2011, p. A7).

…«veulent rénover vert» (la Presse, 12 février 2011, cahier Mon toit, p. 1).

…«rejettent les baisses d’impôts aux entreprises» (le Devoir, 14 février 2011, p. A3).

…«appuieraient une coalition» (la Presse, 25 février 2011, p. A14).

…«ont le goût du changement» (la Presse, 26 février 2011, cahier Plus, p. 6).

…«doivent toucher leur dû» (le Devoir, 2 mars 2011, p. B3).

…«s’illusionnent sur la valeur de leur maison» (la Presse, 9 mars 2011, cahier Affaires, p. 6).

…«jugent le hockey trop violent» (la Presse, 10 mars 2011, p. A2).

…«ne partagent toutefois pas [la] position [de François Legault] en éducation» (le Devoir, 14 mars 2011, p. A2).

…«préfèrent l’opposition» (la Presse, 9 avril 2011, p. A37).

…«paient cher la désorganisation en oncologie» (le Devoir, 15 avril 2011, p. A2).

…«s’éclatent au jardin» (la Presse, 23 avril 2011, cahier Mon toit, p. 2).

On a les miroirs qu’on peut.

P.-S. — L’Oreille tendue a emprunté l’idée de ce bref florilège titrologique à Pierre Popovic.

De la difficulté de dire l’autre

Se dire, et dire l’autre auprès de soi, sont parfois des choses difficiles.

L’Oreille tendue a déjà noté que la catégorie Blanc a une étrange extension au Québec, puisqu’elle désigne n’importe quel non-autochtone.

Au fil des ans, les francophones qui vivent dans la Belle Province ont changé d’étiquette identitaire, ce qui a eu pour conséquence de modifier aussi celle des anglophones.

Les communautés qui ne sont pas de souche posent aussi des problèmes d’identification. Deux exemples. Sur Twitter, le 13 avril, on débat du débat. Cela donne, entre autres choses : «Pas encore vu une seule question de jeunes. Et pas beaucoup d’ethnies» (@PascalHenrard). Un marchand de voitures, cité dans la Presse du 9 avril, raconte la visite (promotionnelle) d’un joueur des Canadiens de Montréal dans son commerce : «La foule de P.K. [Subban] était un peu plus jeune et comprenait une plus grande portion d’ethnies» (cahier Sports, p. 6).

Entendons «proportion» plutôt que «portion» — ce qui évitera de se demander ce qu’est une «portion d’ethnies» — et concentrons-nous une seconde sur «ethnies» utilisé comme substantif pour désigner, non pas un «Ensemble d’individus que rapprochent un certain nombre de caractères de civilisation, notamment la communauté de langue et de culture» (le Petit Robert, édition numérique de 2010), mais des personnes jugées différentes de soi.

Dans la rubrique «ethnie, ethnique» de notre Dictionnaire québécois instantané, nous proposions en 2004 la définition et les exemples suivants :

Façon polie de désigner les autres (de peau ou de culture). Toi, Théo, t’es-tu une ethnie ? «Le balconnet broderie ethnique» est en vente chez Simons (publicité). «Pour en finir avec le vote ethnique» (le Devoir, 20-21 janvier 2001). «L’industrie s’éloigne du conservatisme pour courtiser ethnies et [baby-]boomers» (la Presse, 7 août 2002). «Marketing ethnique» (la Presse, 11 juin 2003). «Les ethnies secouées» (le Soleil, 14 novembre 2003).

Nous évoquions quelques (quasi-)synonymes : allophones, communautés culturelles, minorités visibles. Nous précisions que l’antonyme d’ethnies est gens d’ici ou pure laine.

Les choses ne paraissent pas avoir bougé des masses depuis 2004. Elles ne sont pourtant pas plus simples.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture